La distribution actuelle des espĂšces de poissons dans les lacs prĂ©alpins est en grande partie le rĂ©sultat de la recolonisation des milieux aprĂšs le retrait des glaciers et de lâapparition, par le biais de lâĂ©volution, de nouvelles espĂšces sur place.[1] (cf. article 1 sur Projet Lac). Ces facteurs ne suffisent cependant pas, Ă eux seuls, Ă expliquer les variations de composition des communautĂ©s de poissons dâun lac Ă lâautre. Les conditions Ă©cologiques locales jouent aussi un rĂŽle dĂ©terminant.
Elles comptent notamment des facteurs naturels tels que la taille et la profondeur des lacs. Les grands lacs offrent une grande diversitĂ© de niches Ă©cologiques qui permettent la coexistence de nombreuses espĂšces diffĂ©rentes. De mĂȘme, ils offrent de meilleures opportunitĂ©s pour lâĂ©mergence locale de nouvelles espĂšces [2] (cf. article 1 sur Projet Lac). La grande taille des lacs accroĂźt dâautre part les chances de survie des populations et des espĂšces sur la durĂ©e car elle attenue les fluctuations environnementales qui sont donc moins souvent synonymes dâextinction totale [3]. La profondeur et, elle aussi, dĂ©cisive. En Ă©tĂ©, les lacs profonds prĂ©sentent une stratification thermique: leur eau est chaude en surface mais reste froide toute lâannĂ©e en profondeur. Les lacs ainsi stratifiĂ©s offrent ainsi des conditions de vie favorables aussi bien aux poissons apprĂ©ciant la chaleur quâĂ ceux infĂ©odĂ©s aux eaux froides, et permettent ainsi la survie dâune grande diversitĂ© dâespĂšces.
En plus de la diversitĂ© dâhabitats dans lâaxe vertical, les caractĂ©ristiques des rives et de la zone littorale sont importantes pour de nombreuses espĂšces [4]. Dans beaucoup de lacs, le littoral offre des habitats trĂšs variĂ©s. Les talus pentus alternent avec des berges plates, les zones abritĂ©es du vent et des vagues sont occupĂ©es par de luxuriantes roseliĂšres tandis que les rives exposĂ©es aux Ă©lĂ©ments sont rocailleuses et prĂ©sentent çà et lĂ des plages de sable ou de galets. Certaines espĂšces de poissons occupent ces habitats toute lâannĂ©e tandis que dâautres ne les frĂ©quentent quâĂ certaines pĂ©riodes pour la reproduction, la croissance des juvĂ©niles ou encore la recherche dâune nourriture particuliĂšre.
Enfin, la productivitĂ© des lacs, notamment conditionnĂ©e par lâabondance de matiĂšres nutritives, a Ă©galement une influence sur les communautĂ©s piscicoles. Dans les lacs prĂ©alpins, le phosphore est le facteur limitant pour la production de phytoplancton mĂȘme si, dans certaines conditions, lâazote et les oligoĂ©lĂ©ments peuvent Ă©galement jouer un rĂŽle dĂ©cisif [5]. Les lacs riches en nutriments prĂ©sentent une forte production dâalgues planctoniques (phytoplancton). Ces algues servent de nourriture Ă divers organismes microscopiques (zooplancton), de sorte que ces lacs prĂ©sentent Ă©galement une biomasse zooplanctonique plus Ă©levĂ©e [6]. Le zooplancton est, Ă son tour, consommĂ© par les poissons, si bien que les lacs riches en nutriments prĂ©sentent gĂ©nĂ©ralement une plus forte densitĂ© dâespĂšces planctophages dans leurs couches superficielles que les lacs pauvres en nutriments.
Toutes ces caractĂ©ristiques sont aujourdâhui influencĂ©es par les activitĂ©s humaines. On sait que ces activitĂ©s affectent aussi la composition des communautĂ©s piscicoles [7]. On ignore cependant encore largement de quelle façon cette influence sâexerce dans les grands lacs prĂ©alpins. Les nombreuses donnĂ©es recueillies dans les Ă©tudes standardisĂ©es du Projet Lac livrent de prĂ©cieuses informations Ă ce sujet qui permettent de cerner certains facteurs environnementaux qui influent sur les communautĂ©s piscicoles [1].
ConformĂ©ment aux attentes, on observe une corrĂ©lation entre le nombre dâespĂšces de poissons prĂ©sentes dans un lac et sa superficie (fig. 1). Une corrĂ©lation positive a Ă©galement Ă©tĂ© constatĂ©e avec le nombre dâespĂšces indigĂšnes, le nombre dâespĂšces introduites et le nombre dâespĂšces indigĂšnes disparues. La mĂȘme relation a dâautre part Ă©tĂ© observĂ©e avec le nombre dâespĂšces endĂ©miques dans les lacs du bassin rhĂ©nan (cf. article 1 sur Projet Lac, encart 1) [1]. Ces rĂ©sultats sont en accord avec le principe de lâĂ©cologie selon lequel les grands Ă©cosystĂšmes peuvent abriter davantage dâespĂšces parce quâils offrent une gamme plus large dâhabitats et que le risque dâextinction y est plus faible [1, 3, 8]. Le fait que cette relation ait Ă©galement Ă©tĂ© observĂ©e avec les espĂšces endĂ©miques sâaccorde avec le principe de la thĂ©orie de lâĂ©volution selon lequel une plus grande disponibilitĂ© dâhabitats accroĂźt le taux dâapparition de nouvelles espĂšces [2]. Ces deux grands principes nâexpliquent cependant pas pourquoi le nombre dâespĂšces disparues augmente Ă©galement avec la taille des lacs puisque les grands lacs sont censĂ©s abriter des populations plus grandes et plus stables. La cause du phĂ©nomĂšne est donc plutĂŽt Ă rechercher du cĂŽtĂ© des modifications environnementales dâorigine anthropique susceptibles de recouvrir lâeffet positif de la taille des lacs sur la taille des populations.
La profondeur des lacs a une influence particuliĂšrement forte sur le nombre dâespĂšces endĂ©miques quâils abritent. En effet, les lacs profonds prĂ©sentent une plus grande variĂ©tĂ© dâhabitats trĂšs diffĂ©rents dans lesquels de nouvelles espĂšces peuvent se former suite Ă leur colonisation (cf. article 1 sur Projet Lac, encart 2). Chez les corĂ©gones, les ombles et les chabots, en particulier, de nouvelles espĂšces sont ainsi souvent apparues dans les grands lacs profonds suite Ă des adaptations Ă diffĂ©rentes profondeurs [9â11]. Ă lâinverse, les donnĂ©es nâindiquent aucune relation entre la profondeur et la richesse en espĂšces chez les cyprinidĂ©s (famille des carpes) ou les percidĂ©s (famille des perches), dont les habitats se limitent principalement aux zones chaudes en Ă©tĂ©.
La superficie et la profondeur des lacs nâinfluent pas uniquement sur la diversitĂ© dâespĂšces mais aussi sur la densitĂ© de population des espĂšces prĂ©sentes. Les grands lacs prĂ©alpins prĂ©sentent une plus forte proportion dâhabitats dâeau libre (zone pĂ©lagique) que les petits. Les espĂšces de poissons qui vivent en milieu pĂ©lagique y sont donc particuliĂšrement frĂ©quentes. Dans les lacs du nord des Alpes, il sâagit surtout de diffĂ©rentes espĂšces de corĂ©gones et dâombles, souvent endĂ©miques, mais on y trouve Ă©galement des ablettes, des perches et des gardons (fig. 2). Au sud des Alpes, lâagone (une alose) et lâalborella (une ablette) sont particuliĂšrement frĂ©quentes dans la zone pĂ©lagique des lacs proches dâun Ă©tat naturel. Ces deux espĂšces sont devenues rares dans le lac Majeur et celui de Lugano mais sont encore frĂ©quentes dans le lac de Garde en Italie (fig. 2).
La tempĂ©rature de lâeau a Ă©galement une forte influence sur la nature des espĂšces et familles prĂ©sentes dans les lacs. Les lacs alpins, qui restent frais en Ă©tĂ© mĂȘme en surface, abritent ainsi presquâexclusivement des espĂšces adaptĂ©es au froid. Les seuls poissons naturellement prĂ©sents dans ces lacs sont les truites, les chabots et les vairons (lacs de Sils et de Poschiavo, fig. 2). Ă lâinverse, les espĂšces adaptĂ©es au froid sont rares dans les petits lacs peu profonds de plaine ou en sont totalement absentes. Les grands lacs profonds prĂ©alpins prĂ©sentent une diversitĂ© trĂšs Ă©levĂ©e dâespĂšces qui nâa quasiment pas dâĂ©quivalent dans les lacs europĂ©ens de mĂȘme taille. En effet, ils offrent des conditions de vie convenant aussi bien aux poissons adaptĂ©s Ă la chaleur quâĂ ceux adaptĂ©s au froid et peuvent ĂȘtre naturellement colonisĂ©s par les deux types dâespĂšces (cf. article 1 sur Projet Lac). Suivant leur richesse nutritive et la maniĂšre dont ils ont Ă©tĂ© recolonisĂ©s, leur faune piscicole est dominĂ©e par diffĂ©rentes espĂšces dâombles et de corĂ©gones, qui privilĂ©gient les eaux froides, ou par les perches ou les gardons, qui sont frĂ©quents dans les lacs chauds et riches en nutriments (fig. 2).
La figure 3 montre Ă partir dâune sĂ©lection de lacs comment la composition de la faune piscicole se modifie avec la profondeur et donc avec lâapparition de niches thermiques. Dans les lacs prĂ©alpins, la couche dâeau la plus chaude, prĂšs de la surface, est dominĂ©e par les cyprinidĂ©s, principalement les gardons, les rotengles et les ablettes (fig. 3). Les densitĂ©s les plus fortes de perches sont observĂ©es un peu plus en profondeur que chez les cyprinidĂ©s (fig. 3). Les densitĂ©s maximales de corĂ©gones ont Ă©tĂ© mesurĂ©es en dessous du maximum des perches, sous la thermocline. Ă noter quâil sâagit dĂ©jĂ ici dâun genre privilĂ©giant typiquement les eaux froides. Dans les lacs bien oxygĂ©nĂ©s, des densitĂ©s Ă©levĂ©es de corĂ©gones ont Ă©tĂ© observĂ©es jusquâau fond et la prĂ©sence de chabots et dâombles a Ă©tĂ© enregistrĂ©e jusqu'Ă une certaine profondeur [13, 14]. Au lac des Quatre-Cantons, il Ă©tait par ailleurs notable que la densitĂ© maximale dâombles sâobservait Ă une profondeur encore plus Ă©levĂ©e que celle des corĂ©gones (fig. 4).
La zone littorale prĂ©sente une grande biodiversitĂ© ainsi que des densitĂ©s et des biomasses Ă©levĂ©es de poissons (fig. 4). Dans beaucoup des lacs Ă©tudiĂ©s, la perche fluviatile Ă©tait le poisson le plus frĂ©quemment pĂȘchĂ© prĂšs des rives, suivie par les gardons et les rotengles. Fait intĂ©ressant, la zone littorale est aussi celle qui abrite le plus petit nombre dâespĂšces endĂ©miques.
Pour Ă©valuer lâimportance des diffĂ©rents habitats littoraux pour les poissons, une valeur dâassociation a Ă©tĂ© calculĂ©e pour chaque espĂšce et chaque habitat. Cette valeur est positive quand la frĂ©quence de lâespĂšce dans lâhabitat est plus Ă©levĂ©e que ce que ne le voudrait le hasard. En considĂ©rant tous les lacs, il apparaĂźt que les zones dâembouchure des affluents prĂ©sentent un taux trĂšs Ă©levĂ© dâassociations positives (fig. 5). Ces zones abritaient Ă©galement davantage dâespĂšces menacĂ©es que dâautres habitats littoraux. Ces observations soulignent toute lâimportance des deltas naturels pour beaucoup dâespĂšces lacustres dâeau peu profonde. Mais tous les autres habitats littoraux prĂ©sentent Ă©galement des taux plus ou moins Ă©levĂ©s dâassociations positives. Les habitats offrant des abris aux poissons, comme les blocs, les grosses pierres, les plantes aquatiques et les branchages, sont ainsi prĂ©cieux pour beaucoup dâespĂšces (fig. 5).
Lâobservation des valeurs dâassociation en fonction des espĂšces est particuliĂšrement instructive (fig. 6). Il apparaĂźt en effet que les cyprinidĂ©s ont Ă©tĂ© le plus souvent capturĂ©s dans les plantes aquatiques ou les hĂ©lophytes (comme les roseaux). Les petits poissons benthiques comme les chabots, les loches ou les vairons privilĂ©gient les cailloux ou galets. Et câest au niveau des blocs, qui offrent de bonnes caches, que les prĂ©dateurs comme les truites, les lottes et les silures sont souvent capturĂ©s. Dans lâensemble, les associations observĂ©es correspondent bien aux caractĂ©ristiques biologiques des espĂšces. Elles soulignent ainsi toute lâimportance dâhabitats littoraux variĂ©s et proches dâun Ă©tat naturel pour la diversitĂ© spĂ©cifique de la faune piscicole des lacs.
Le dĂ©pouillement des donnĂ©es a rĂ©vĂ©lĂ© que, dans les grands lacs, la biomasse de corĂ©gones mesurĂ©e Ă©tait plus Ă©levĂ©e dans les milieux pauvres en nutriments (oligotrophes) que dans les milieux riches (eutrophes) (fig. 7). Cette observation est remarquable dans la mesure oĂč elle indique une tendance inverse Ă celle des rendements de la pĂȘche professionnelle. Les statistiques de pĂȘche montrent en effet que les rendements de la pĂȘche au corĂ©gone sont plus Ă©levĂ©s dans les lacs modĂ©rĂ©ment riches en nutriments que dans les lacs pauvres. Cette apparente contradiction est probablement liĂ©e Ă lâobservation faite dans le Projet Lac selon laquelle les lacs oligotrophes abritent un grand nombre dâindividus de petites espĂšces de corĂ©gones. Câest particuliĂšrement le cas des lacs de Brienz et de Walenstadt. Ces petites espĂšces sont moins pĂȘchĂ©es par les pĂȘcheurs professionnels mais constituent une trĂšs forte biomasse dans les lacs. La forte densitĂ© de ces petites espĂšces pourrait sâexpliquer par la moindre pression de pĂȘche. Il est Ă©galement probable que les petites espĂšces de corĂ©gones rencontrent des conditions idĂ©ales dans les lacs oligotrophes (bonne oxygĂ©nation jusquâau fond, notamment) et y vivent donc dĂ©ployĂ©es sur toute la profondeur.
Si lâon ne considĂšre que les grandes espĂšces de corĂ©gones, on observe une corrĂ©lation positive entre les captures du Projet Lac et celles de la pĂȘche professionnelle [1], ce qui sâaccorde avec les statistiques de pĂȘche. Les lacs oligotrophes prĂ©sentent ainsi, rapportĂ©es Ă leur volume, une plus forte biomasse et une densitĂ© beaucoup plus forte de corĂ©gones (terme technique: «standing crop»), mais ceux-ci sont souvent de petite taille et donc peu intĂ©ressants pour la pĂȘche.
Chez la perche fluviatile, les observations du Projet Lac corroborent celles des pĂȘcheurs professionnels (fig. 7). La biomasse des captures Ă©tait beaucoup plus Ă©levĂ©e dans les lacs riches que dans les lacs pauvres et ce, indĂ©pendamment de la taille des perches.
Il nâest donc pas faux dâen dĂ©duire que de fortes teneurs en nutriments favorisent la capture de davantage de poissons de plus grande taille. Mais cet adage ne sâapplique pas Ă toutes les espĂšces. Certains profitent des fortes concentrations en nutriments, dâautres en pĂątissent. La nature des gagnants et des perdants dĂ©pend notamment de la charge en nutriments prĂ©existante et des habitats dans lesquels les individus des diffĂ©rentes espĂšces vivent et se reproduisent. Ainsi, les espĂšces qui profitent de la richesse nutritive sont surtout celles qui vivent toute lâannĂ©e prĂšs de la surface et prĂšs des rives et qui sây reproduisent (fig. 8). Il en va tout autrement de celles qui vivent au fond des lacs. Cette zone est moins pĂȘchĂ©e mais elle abrite beaucoup dâespĂšces endĂ©miques. Et ces espĂšces trĂšs spĂ©cialisĂ©es sont les grandes perdantes des forts apports de nutriments et de leur corollaire, la modification de lâoffre alimentaire et lâappauvrissement en oxygĂšne du fond. Ainsi, leur biomasse baisse trĂšs rapidement Ă mesure que la teneur en nutriments augmente (fig. 8). En consĂ©quence, lâabondance et la biomasse des poissons sont rĂ©parties de façon beaucoup plus homogĂšne dans la colonne dâeau dans les lacs pauvres en nutriments que dans les lacs riches oĂč elles se concentrent surtout dans les couches superficielles (voir aussi fig. 3).
Fait intĂ©ressant, les inventaires standardisĂ©s montrent aussi que, dans les lacs redevenus pauvres en nutriments aprĂšs une phase de rĂ©oligotrophisation, les fonds nâont toujours pas Ă©tĂ© recolonisĂ©s par les corĂ©gones, les ombles ou les chabots. Les lacs autrefois trĂšs eutrophisĂ©s, notamment, ont perdu la majeure partie de leurs espĂšces adaptĂ©es Ă la vie en profondeur [15]. Les espĂšces encore prĂ©sentes ne se dĂ©ploient pas Ă nouveau vers les fonds malgrĂ© lâamĂ©lioration des conditions dâoxygĂ©nation. En revanche, les lacs nâayant jamais Ă©tĂ© affectĂ©s par lâeutrophisation et la dĂ©soxygĂ©nation abritent des ombles jusquâĂ plus de 100 m de profondeur ainsi que des corĂ©gones et des chabots sur toute leur profondeur, de la surface jusquâaux abysses (fig. 9).
La seule espĂšce Ă avoir Ă©tĂ© capturĂ©e rĂ©guliĂšrement dans les couches profondes de tous les lacs, mĂȘme autrefois eutrophes, est la lotte. Fait intĂ©ressant, la lotte nâa pas besoin dâhabitats profonds pour se reproduire car elle produit des Ćufs et larves pĂ©lagiques et pond Ă©galement dans les zones peu profondes et les affluents. La prĂ©sence de la lotte au fond des lacs indique cependant que cette zone offre aujourdâhui de bonnes conditions dâhabitabilitĂ© pour les adultes. Lâabsence de recolonisation de la zone profonde par dâautres espĂšces aprĂšs le retour de bons niveaux dâoxygĂšne suggĂšre que la faune piscicole abyssale disparue prĂ©sentait des adaptations Ă la vie dans cet habitat qui font dĂ©faut aux espĂšces de moindre profondeur ayant persistĂ©. Il serait pertinent dâobserver si des sous-populations de ces espĂšces peuvent Ă nouveau sâadapter aux conditions de vie dans les grandes profondeurs et dans quelles conditions.
GrĂące Ă lâintervention combinĂ©e de deux facteurs, la Suisse est devenue un haut lieu europĂ©en de la biodiversitĂ© des poissons dâeau douce. Elle dispose dâune part dâun grand nombre de grands lacs profonds qui Ă©taient Ă lâorigine bien oxygĂ©nĂ©s jusque dans leurs eaux les plus profondes et qui, grĂące Ă leur stratification thermique, offrent des habitats favorables aussi bien aux espĂšces nĂ©cessitant des eaux froides quâĂ celles qui apprĂ©cient la chaleur. Par ailleurs, les lacs suisses ont pu ĂȘtre recolonisĂ©s Ă partir de quatre grands refuges glaciaires. Ils totalisent ainsi aujourdâhui au moins 106 espĂšces de poissons diffĂ©rentes [1].
En plus du passĂ© de recolonisation et des processus de spĂ©ciation locale favorisĂ©s par les grandes profondeurs, la composition naturelle en espĂšces de la faune piscicole des lacs et leur frĂ©quence relative sont notamment influencĂ©es par la profondeur, la tempĂ©rature maximale en surface, la productivitĂ© et la part respective des habitats littoraux, pĂ©lagiques et benthiques. La grande variĂ©tĂ© de lacs de diffĂ©rents types (lacs alpins froids toute lâannĂ©e, grands lacs prĂ©alpins, lacs du Plateau) et de diffĂ©rentes tailles et profondeurs est donc, elle aussi, Ă lâorigine de la grande diversitĂ© des communautĂ©s piscicoles de la Suisse, dont chacune prĂ©sente ses propres espĂšces prĂ©dominantes.
Mais les grands lacs du pourtour des Alpes sont aussi fortement sollicitĂ©s par les activitĂ©s humaines qui modifient les conditions environnementales et affectent ainsi la composition de la faune piscicole. Le rĂ©chauffement climatique agit ainsi directement sur la tempĂ©rature de lâeau et perturbe donc aussi la communautĂ© pisciaire. Les scientifiques estiment que, dans les dĂ©cennies Ă venir, le changement climatique constituera lâune des plus fortes menaces pour les peuplements pisciaires des lacs [1]. En effet, les poissons infĂ©odĂ©s aux eaux froides ne pourront pas se rĂ©fugier dans dâautres milieux plus frais et le retard du refroidissement des lacs Ă lâautomne et en hiver affecte la circulation verticale des eaux, ce qui, en outre, compromet la rĂ©oxygĂ©nation des fonds.
De mĂȘme, les atteintes dâordre hydrologique jouent un rĂŽle important. Ă cela sâajoutent la perte des apports sĂ©dimentaires naturels par les affluents, lâartificialisation des rives et le manque de connexions entre les lacs et les riviĂšres.
Il convient Ă©galement de citer le rĂŽle de la qualitĂ© de lâeau et, notamment, des micropolluants organiques. Depuis plusieurs dizaines dâannĂ©es, la pollution de nombreux lacs par des apports excessifs de nutriments a une influence majeure sur la composition de la faune piscicole. Suite Ă lâintroduction de la dĂ©phosphatation dans les stations dâĂ©puration dans les annĂ©es 1980, la qualitĂ© de lâeau sâest lentement amĂ©liorĂ©e dans de nombreux lacs, si bien que la productivitĂ© de certains se rapproche aujourdâhui de son niveau dâorigine. En consĂ©quence, la composition de la faune piscicole se modifie ou sâest dĂ©jĂ modifiĂ©e dans le sens de son Ă©tat naturel. Dans plusieurs lacs, toutefois, les espĂšces endĂ©miques qui Ă©taient adaptĂ©es aux grandes profondeurs ont Ă©tĂ© perdues Ă jamais.
Ă lâavenir aussi, les exigences liĂ©es aux usages se heurteront aux impĂ©ratifs de protection de la nature et des espĂšces. Il est important que les intĂ©rĂȘts de la sociĂ©tĂ© en termes dâutilisation des lacs soient Ă©valuĂ©s en tenant compte des intĂ©rĂȘts de la protection des espĂšces et des habitats dans un processus encadrĂ© par la loi. Les engagements de la Suisse au niveau international pour la prĂ©servation de la biodiversitĂ© ne devront alors pas ĂȘtre oubliĂ©s.
Au vu des rĂ©sultats prĂ©sentĂ©s dans le rapport de synthĂšse du Projet Lac, les recommandations suivantes peuvent ĂȘtre Ă©mises pour les futurs pesĂ©es dâintĂ©rĂȘts:
[1] Alexander, T.; Seehausen, O. (2021): Diversity, distribution and community composition of fish in perialpine lakes â «Projet Lac» synthesis report, Eawag: Swiss Federal Institute of Aquatic Science and Technology, Kastanienbaum
[2] Seehausen, O. et al. (2014): Cichlid speciesâarea relationships are shaped by adaptive radiations that scale with area. Ecology letters 17 (5), 583-592
[3] Diethart, M. et al. (2004): Population size and the risk of local extinction: empirical evidence from rare plants, OIKOS, Bd. 105, S. 481â488
[4] Winfield, I. J. (2004): Fish in the littoral zone: ecology, threats and management, Limnologica, Bd. 34, S. 124â131
[5] BAFU (2021): KonzentrationsverhĂ€ltnis von Stickstoff (N) zu Phosphor (P) in Schweizer Seen im Kontext des Po. 15.3795 der UREK-N «Standortbestimmung zur Fischerei in Schweizer Seen und FliessgewĂ€ssern» â Bericht zuhanden der UREK-N, Bundesamt fĂŒr Umwelt BAFU, Bern
[6] Korhonen, J. J.; Wang, J.; Soininen, J. (2011): Productivity-Diversity Relationships in Lake Plankton Communities, PLOS One, Bd. 6, Nr. 8, S. 1â11
[7] Degerman, E. et al. (2001): Human Impact on the Fish Diversity in the Four Largest Lakes of Sweden, Ambio, Bd. 30, Nr. 8
[8] MacArthur, R. H.; Wilson, E. O. (1967): The theory of island biogeography. Princeton: Princeton University Press
[9] Vonlanthen, P. et al. (2009): Divergence along a steep ecological gradient in lake whitefish (Coregonus sp.), Journal of Evolutionary Biology, Bd. 22, S. 498â514, MĂ€rz
[10] Doenz, C. (2014): Diversity and diversification in two fish radiations in the same pre-alpine lake, Lake Thun, UniversitÀt Bern, Bern
[11] Lucek, K. et. al. (2018): Distinct colonization waves underlie the diversification of the freshwater sculpin (Cottus gobio) in the Central European Alpine region, Journal of Evolutionary Biology, Bd. 31, S. 1254â1267
[12] Alexander, T. J. et al. (2015): Estimating whole-lake fish catch per unit effort, Fisheries Research, Bd. 172, S. 287â302
[13] Vonlanthen, P.; PĂ©riat, G. (2013): Artenvielfalt und Zusammensetzung der Fischpopulation im Brienzersee, Eawag, Kastanienbaum
[14] Eawag (2014): Artenvielfalt und Zusammensetzung der Fischpopulation im Walensee, Kastanienbaum
[15] Vonlanthen, P. et al. (2012): Anthropogenic eutrophication drives extinction by speciation reversal in adaptive radiations, Nature, Bd. 482, S. 375â362
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