Plateforme pour l’eau, le gaz et la chaleur
Article technique
03. juin 2021

Source des Pilettes à Fribourg

Vers une diminution de la capacité des sources urbaines?

Les changements climatiques et l’imperméabilisation font peser un grand nombre d’incertitudes sur l’évolution de nos ressources en eau, particulièrement sur les sources. L’analyse détaillée du comportement de la Source des Pilettes à Fribourg montre l’impact des changements déjà intervenus, les changements attendus dans le futur et donnent des pistes pour remédier à ces impacts.
Nathan Bongard, Luca Rossi, Michael Pfister, 

Les changements climatiques font peser un grand nombre d’incertitudes sur l’évolution de nos ressources en eau, particulièrement sur les sources: Vont-elles s’assécher? Peut-on prendre des mesures pour compenser les effets néfastes de ces change­ments? Pour répondre à ces questions, l’analyse de données historiques est précieuse. Elle nous permet d’établir un modèle de fonctionnement du bassin versant d’une source, modèle que l’on peut par la suite extrapoler dans le futur en se basant sur différents scénarios climatiques. Encore faut-il disposer de données sur de longues périodes.

La Source des Pilettes, située en ville de Fribourg, est à ce titre particulièrement intéressante à analyser. Des données de mesure historiques sont disponibles depuis plus de 70 ans et son bassin versant a fortement évolué au cours du temps. Grâce à ces données, il est possible non seulement de reconstituer l’évolution du comportement de la source, mais également de se projeter dans le futur sur la base d’un modèle de comportement calé sur les données historiques. Il est ainsi possible d’estimer l’évolution de cette source en tenant compte de différents scénarios climatiques. Finalement, les actions à entreprendre au niveau du bassin versant même de la source pour contrecarrer les effets des changements climatiques peuvent également être analysées. L’effort de «désimperméabiliser» le bâti montre ici toute son importance.
Cette analyse est d’autant plus pertinente que la Source des Pilettes va être réhabilitée pour alimenter le quartier de blueFACTORY, sous forme d’eau grise pour toutes les alimentations ne nécessitant pas d’une qualité d’eau potable (arrosage, chasse d’eau des toilettes, etc.) [1].

LA SOURCE DES PILETTES

La Source des Pilettes se situe au centre-ville de Fribourg à proximité de la gare CFF dans les falaises du bois de Pérolles, sur la rive gauche de la Sarine à une altitude approximative de 570 m s.m. L’histoire récente de la Source des Pilettes, captée dès 1891, est intimement liée à la brasserie Cardinal [2]. En 1904, la brasserie connut un développement commercial qui l’obligea à quitter la Basse-Ville de Fribourg pour investir dans un site proche de la gare. Dès lors, l’eau de la Source des Pilettes était utilisée pour brasser la bière. Ce n’est que plus tard, lors du raccordement de la Brasserie au réseau communal d’eau potable, que la source a connu une deuxième vie à usage industriel sur le site. Actuellement gérée par BlueFactory Fribourg – Freiburg SA, l’infrastructure n’est plus en fonction depuis la fermeture de la brasserie Cardinal en 2011. La Source des Pilettes compte trois réservoirs (fig. 1), une station de pompage désaffectée, 12 drains situés dans le réservoir III en amont ainsi que de plusieurs arrivées d’eau non recensées.

Les données de débit et de température de la source correspondent aux relevés effectués par l’ancienne brasserie Cardinal et l’entreprise Sinef SA. Entre 1947 et 2010, lorsque la brasserie Cardinal exploitait la source, des relevés annuels du débit et de la température de l’eau ont été effectués [3]. Dès 2018, l’entreprise Sinef SA a mis en place des relevés horaires du débit et de la température de l’eau.
Les restrictions légales sur les sources (zones de protection) ne permettent plus d’assurer la sécurité nécessaire à la production d’eau potable à partir de cette source. Néanmoins, la qualité de l’eau est largement suffisante pour des usages sous forme d’eau grise, par exemple pour l’arrosage ou les chasses d’eau des toilettes. La surface du bassin d’alimentation de la source correspond au secteur Au de protection des eaux souterraines, comme défini dans le portail cartographique de l’État de Fribourg (map.geo.fr.ch; fig. 2). Celui-ci a une surface de A = 970'000 m2 en zone urbaine.

MÉTHODOLOGIE D’ANALYSE

La méthodologie d’analyse de l’évolution des débits de la Source des Pilettes repose sur les étapes suivantes, qui ont abouti à la définition du modèle type «bilan de volume»:

  • Recueil des données pour le bilan (mesures de débit, météo, etc.), avec la caractérisation du bassin versant (surface, pentes, développement urbain, etc.)
  • Calcul du bilan volumique et validation du modèle sur la base des données
  • Choix de scénarios climatiques et extrapolation des résultats à long terme
  • Recherche de solutions limitant les conséquences des impacts climatiques

Le bilan volumique de la source [4] se base sur une simple conservation du volume d’eau durant les années 1947 à 2019 afin que la somme des volumes d’infiltration profonde VI sur le bassin d’alimentation soit égale à la somme des volumes sortant VS de la Source des Pilettes. Cette conservation est formulée dans l’équation 1:

La figure 3 illustre schématiquement les composants entrants et sortants du système. La surface du bassin est exposée aux précipitations, qui sont rendues à l’atmosphère par évapotranspiration sur les surfaces végétalisées, transformées en ruissellement sur les surfaces (partiellement) imperméables, ou s’infiltrant en profondeur. La somme de tous ces flux d’eau est zéro, afin de respecter l’équation de la continuité.
L’infiltration profonde VI comprend ainsi les volumes annuels de précipitations VP, de ruissellement VR et d’évapotranspiration VE (équation 2). Tous les paramètres varient en fonction du développement du bassin d’alimentation et des conditions météorologiques.

Si l’apport des précipitations dépasse la somme du ruissellement et de l’évapotranspiration, une infiltration profonde pour l’année considérée est calculée. Cependant, si les précipitations ne suffisent pas pour une certaine année à satisfaire le ruissellement et l’évapotranspiration, aucune infiltration profonde est supposée (VI = 0). L’échelle temporelle de base est mensuelle puis les volumes sont intégrés de manière annuelle avant d’être insérés dans l’équation 2. Ce simple bilan hydrique permet d’estimer la variation du volume potentiel de la source au cours du temps.

Les volumes annuels des précipitations VP représentent le volume d’eau entrant dans le bassin d’alimentation. Il est basé sur les relevés cumulatifs des précipitations spécifiques p [m] (Meteo Suisse 2020, [5]) sur la surface totale A [m2] du bassin d’alimentation (équation 3):

Les volumes annuels du ruissellement VR sont définis pour les i secteurs quasi-homogènes du bassin versant (i = 8). Ce volume tient compte de l’évolution de l’urbanisation exprimée via les coefficients de ruissellement φ en fonction du temps par secteur, sur la base du coefficient d’imperméabilité C moyen [6] et de la superficie relative γ (équation 4):

Les volumes annuels d’évapotranspiration VE sont définis sur la base de l’équation 5, en tenant compte de la réduction des surfaces végétalisées AV qui évoluent entre 596'000 m2 en 1947 et 435'000 m2 en 2019. Ce volume d’évapotranspiration représente le volume d’eau transféré par les plantes vers l’atmosphère. Il désigne la valeur maximale, indépendamment de la quantité d’eau que les plantes ont effectivement à disposition [7]. Le stockage d’eau dans la terre végétale est considéré suffisant pour satisfaire l’évapotranspiration maximale.

L’évapotranspiration dépend des conditions de l’atmosphère, du sol ainsi que de la végétation (équation 6). De nombreuses approches ont été publiées afin de la déterminer. L’approche empirique selon Turc [8], régulièrement utilisée en Suisse (selon [7]), est retenue. Cette équation prend en compte la température T, le rayonnement global R ainsi que l’humidité relative H. L’évapotranspiration est calculée mensuellement en mètre de colonne d’eau puis rapportée sur l’année en faisant la somme des mois, avec J comme nombre de jours sur le mois (28 ≤ J ≤ 31). Avec cette modification, l’équation de Turc [8] donne une évapotranspiration spécifique mensuelle e – c’est-à-dire par m2 de surface végétalisée AV, considérant une humidité relative toujours supérieure à 50%.

DONNÉES

Données de mesure de débits 

Les relevés de la source effectués par la brasserie Cardinal ont été réalisés de manière systématique, néanmoins quelques données sont manquantes. Les mesures annuelles manquantes sont remplacées par la moyenne des volumes respectivement entre 1947 et 1990 et entre 2000 et 2019 (fig. 4). Chaque année où une donnée est manquante, celle-ci est remplacée par cette moyenne. Une comparaison de toutes les mesures ne montre aucun effet saisonnier.

Données météorologiques 

Les données météorologiques de deux stations de Météo Suisse [5] à proximité du bassin versant sont analysées et organisées pour répondre aux différentes équations de bilan (fig. 5). La station principale pour la collecte des données est celle de Posieux à Fribourg située à 4,5 km de la source et à une altitude de 651 m s.m. L’altitude moyenne du bassin d’alimentation est de 640 m s.m., quasiment identique à celle de la station. La station secondaire est située à Payerne à 16 km de la source et à une altitude de 490 m. Les données utilisées comprennent les précipitations, l’humidité relative, le rayonnement solaire global et les températures. La période considérée comprend les relevés mensuels entre 1947 et 2019.
Toutefois, les deux stations ne permettent pas d’avoir tous les relevés entre 1947 et 2020. C’est pourquoi certaines valeurs sont prises sur la base des médianes des données existantes (tab. 1). Ces valeurs médianes sont par exemple considérées pour le rayonnement solaire entre 1947 et 1981.
Les températures sont celles relevées à la station de Posieux qui se situe au milieu d’un pré. Les données doivent être adaptées afin de prendre en compte le phénomène d’îlot de chaleur qui provoque une augmentation de la température dans les zones urbaines. La prise en compte de la différence de températures entre les zones rurales et urbaines est faite sur base de Gehrig et al. [9] qui porte sur l’étude climatologique selon les mesures de cinq villes Suisses. Par sa similitude et sa proximité, le cas de la ville de Berne est considéré ici. Les différences de températures dT entre ville et zone rurale tirées de manière globale sont de 0,5 °C pour la zone moyennement urbaine (Berne, Ittigen) et 1,0 °C pour la zone fortement urbaine (Berne, Bollwerk). Ces valeurs sont ensuite reportées à Fribourg selon l’évolution du coefficient de ruissellement du bassin (voir fig. 8) afin d’interpréter une tendance en fonction du temps, passant par un dT de 0 °C pour le bassin de 1949, 0,5 °C en 1969 et 1,0 °C pour 2019.

Caractérisation du bassin versant 

Le relief du bassin d’alimentation influence considérablement le ruissellement potentiel des surfaces perméables. Selon la pente du terrain, une part de l’eau a tendance à ruisseler, y compris sur les surfaces perméables. Un regroupement des pentes a ainsi été considéré. Ce regroupement consiste à séparer le bassin d’alimentation en quatre secteurs (fig. 6), à déterminer une pente représentative puis d’y associer un coefficient d’imperméabilité C moyen [6].
L’évolution de la couverture du sol du bassin d’alimentation est considérée entre les années 1947 et 2019 afin d’en tirer par secteur les surfaces perméables (C < 1; tab. 2) et les surfaces urbanisées imperméables (C = 1). Ce développement de l’urbanisation est considéré sur la base de cartes historiques (geo.admin.ch; 1949, 1969, 1989, 2009 et 2019) et des données de la mensuration officielle [10]. Afin d’éviter des incertitudes liées à un image-processing des cartes historiques, les données de la mensuration officielle actuelles ont servi comme base, puis la couverture du sol a été adaptée selon le dévalement historique. La figure 7 illustre cette évolution du bassin d’alimentation entre 1949 et 2019..

RÉSULTATS

Analyse des données historiques 

La figure 8 montre le développement du coefficient de ruissellement φ global du bassin d’alimentation en fonction du temps. Cette augmentation illustre l’urbanisation et l’imperméabilisation croissante de la ville. L’effet d’îlot de chaleur dT ajouté aux températures mesurées à Posieux, est également illustré dans cette figure 8 sur l’axe de droite. Une augmentation des températures de l’air de l’ordre de 1 °C est estimée comme conséquence de l’urbanisation.

Au niveau des mesures de températures de l’eau, on constate dans la figure 9 une augmentation de la température de l’eau des Pilettes de l’ordre de 2,5 °C sur la période considérée. Le rapport de l’OFEV «Effets des changements climatiques sur les eaux suisses» [11] fait mention d’une augmentation de 3 °C à Bale entre 1993 et 2016. Une corrélation entre la température de l’air et de l’eau de ruissellement, établie par Van Buren [12] et validée pour la Suisse [13] montre que cette évolution, en lien avec l’évolution de l’imperméabilisation du bassin versant urbain et l’augmentation de température estimée, est cohérente.

Les volumes annuels d’évapotranspiration VE (fig. 10) sont à relier avec la prise en considération de la diminution des surfaces vertes (fig. 7) et du climat récent. Étant donnée la diminution des surfaces végétalisées AV du bassin d’alimentation dans le temps, les volumes annuels de l’évapotranspiration VE vont diminuer dans un premier temps, avant l’augmentation des températures qui se manifeste autour de l’année 2000. Le réchauffement climatique fait augmenter les volumes de l’évapotranspiration après l’année 2000, malgré la réduction des surfaces vertes.

Le bilan hydrique volumétrique selon l’équation 2 donne le volume annuel d’eau infiltré en profondeur VI sur le bassin d’alimentation de la source. Des variations de l’infiltration en profondeur annuelle apparaissent (fig. 11), alors que les volumes annuels relevés à la source sont relativement constants (fig. 4). Ceci induit une variation du niveau de la nappe phréatique sans, toutefois, avoir d’influence majeure sur la source.
L’augmentation de la fréquence des années avec VI ≈ 0 m3/a (fig. 11a: 1949, 2003, 2011, 2015, 2017 et 2018) où de faibles volumes sont infiltrés en profondeur représente une source d’inquiétudes. L’infiltration des eaux de ruissellement urbaine, comme exigées dans la loi sur les eaux (LEaux; RS 814.20) et soutenue dans les directives VSA sur la gestion des eaux en milieu urbain [14], afin de limiter le ruissellement de surface, semble jouer un rôle de plus en plus important afin de maintenir le niveau de la nappe phréatique.
Le cumul de VS et VI sur les 73 années observées (fig. 11b) conduit à une différence minime. Le bilan hydrique volumétrique, sur la base des données disponibles, est ainsi validé. Les incertitudes sur les données analysées sont faibles, autant pour les données cadastrales actuelles et historiques que pour les relevés effectués aux différentes stations météorologiques. L’incertitude la plus importante se situe sur la taille du bassin d’alimentation de la source, la capacité de rétention du sol, et les paramètres utilisés dans les différentes équations.
Le bilan hydrique historique montre que le développement urbain du bassin influence bel et bien le débit de la source. L’imperméabilisation des surfaces dans une première phase (1947 à 1980) et un changement des conditions climatiques dans une deuxième phase (dès 2000) ont causé une réduction des débits moyens fournis de 16,75 m3/h (1947 à 1999) à 13,09 m3/h (2000 à 2019). Ce modèle validé nous permet de tisser différents scénarios futurs pour la Source des Pilettes.

Evolution future de débits de la source 

Le bilan hydrique volumétrique futur de la Source des Pilettes se base sur le bilan hydrique volumétrique passé validé et des estimations climatiques et cadastrales futures.
Les variations cadastrales du bassin d’alimentation devraient être faibles durant les prochaines années. Les conséquences d’une éventuelle densification urbaine seront compensées par des mesures de rétention et infiltration locales, comme prévu par la LEaux. Ainsi, par hypothèse, le bilan hydrique volumétrique futur considère le bassin d’alimentation dans l’état cadastral de l’année 2019, sans évolution.
Les estimations climatiques futures se basent sur les scénarios climatiques CH2018 [15]. Sur cette base, les paramètres climatiques peuvent être extrapolés à partir d’une valeur de référence (moyenne des années 1981 à 2010). Concrètement, les précipitations, l’humidité relative, le rayonnement global et finalement la température évoluent dans le futur selon trois scénarios RCP (Representative Concentration Pathways):

  • RCP8.5: Émissions de CO2 non réduites. Ce scénario considère aucune mesure de protection du climat et une augmentation des émissions au même rythme qu’actuellement.
  • RCP4.5: Scénario climatique intermédiaire qui prévoit une atténuation insuffisante des émissions pour atteindre l’objectif d’une augmentation de 2 °C maximum.
  • RCP2.6: Scénario d’atténuation impliquant des réductions rapides et substantielles des émissions mondiales pour maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2 °C.

Les données météorologiques futures des trois scénarios RCP sont estimées pour les années 2035, 2060 et 2085. Le bilan hydrique volumétrique futur permet ainsi de calculer – pour ces années – des volumes de précipitations VP, de ruissellement VR, d’évapotranspiration VE, puis sur la base de l’équation 2, l’infiltration en profondeur VI. Cette valeur de VI est par hypothèse identique à celle du rejet de la source VS, ce qui permet d’estimer le débit moyen futur aux trois périodes considérées.

Les trois scénarios climatiques RCP, illustrés dans la figure 12, indiquent que le volume futur des précipitations sur le bassin d’alimentation ne varierait que faiblement (fig. 12a). Pour les précipitations, les trois scénarios restent quasiment constants à l’exception d’une faible diminution pour le scénario RCP8.5 en 2085. Le volume de ruissellement (fig. 12b) ne variera également que faiblement, avec la même tendance que les précipitations futures.
L’évapotranspiration est le paramètre déterminant pour le bilan hydrique volumétrique futur, sensible aux augmentations des températures, du rayonnement solaire et de l’humidité. Une adaptation a été appliquée au rayonnement, deux variantes ont été élaborés pour l’évapotranspiration:

  • La variante A suit strictement la procédure proposée par CH2018 [15] en considérant les données météorologiques de référence comme la moyenne entre 1981 et 2010. Elle est identique à l’approche des prévisions des précipitations et du ruissellement (fig. 12c).
  • La variante B suit l’observation faite que le rayonnement dépasse de manière considérable, environ depuis l’année 2010, la moyenne de référence entre 1981 et 2010. Contrairement à la procédure de CH2018 [15], la moyenne entre 2007 et 2019 a été considérée comme valeur de référence du rayonnement, ce qui augmente l’évapotranspiration future. Les autres données météorologiques se réfèrent à la période standard entre 1981 et 2010 (fig. 12d).

L’effet des îlots de chaleur en milieu urbain est pris en compte avec une valeur dT = 1 °C pour le futur, en cohérence avec l’hypothèse qu’aucune variation cadastrale n’est considérée.

Selon la variante A, qui suit strictement CH2018 [15] (fig. 12c), les débits du futur devraient diminuer faiblement pour les cas RCP2.6 (87% de la valeur de référence en 2085) et RCP4.5 (82% en 2085; fig. 13a et tab. 3). Puisque les derniers débits relevés sont similaires aux débits du futur pour les cas RCP2.6 et RCP4.5, ce résultat reste abstrait. Pour le cas RCP8.5, les débits se verraient quant à eux significativement réduits jusqu’à atteindre 45% en 2085. La période entre 1981 et 2010 sert de référence, avec un débit moyen de 15,40 m3/h.
Avec la variante B, qui inclut une adaptation du rayonnement global (fig. 12d) et un débit de référence de 12,91 m3/h issu des années 2007 à 2019, la source connaîtrait une diminution prononcée de son débit dans le futur (fig. 13b et tab. 3). Pour les scénarios RCP2.6 et RCP4.5, une diminution du débit de la source à 78% et 71% sont estimées en 2085. La tendance implique que la source pourrait quasiment disparaitre autour de l’année 2100 avec le scénario RCP 8.5.

COMPENSATION DES EFFETS DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES

Pour remédier aux conséquences des changements climatiques et à la diminution estimées des débits futurs de la Source des Pilettes (tab. 3), une augmentation des surfaces perméables peut être envisagée. Ceci permettrait d’augmenter l’infiltration de l’eau en profondeur pour compenser un probable déficit futur. Afin de tester cette hypothèse, les surfaces imperméabilisées de l’année 2019 ont été réduits d’un facteur R dans le bilan volumétrique futur. Les surfaces imperméables «supprimées» n’ont cependant pas été attribuées aux surfaces vertes afin de ne pas interagir avec l’évapotranspiration.
L’analyse de cette «dés-imperméabilisation» urbaine (fig. 14) montre qu’il est nécessaire de réduire les surfaces imperméables de 14,6% pour le scénario RCP8.5, de 5,0% pour le scénario RCP4.5 et de 3,6% pour le scénario RCP2.6, afin que la source maintienne sa capacité de l’année 2019 en considérant la variante B. La réduction des surfaces imperméables pourrait se faire par la collecte d’eaux de ruissellement non ou peu polluées (toitures p. ex.) et son infiltration en profondeur.
Ces résultats soulignent la nécessité d’une gestion des eaux urbaines intégrée, par exemple sur la base des concepts appliqués aux villes «éponge» [1, 16, 17]. Les surfaces à connecter à un système d’infiltration «en profondeur» (environ 27'000 m2 pour le scénario RCP 4.5, sur la base de la surface imperméable de 535'440 m2 en 2019) apparaissent réalisables dans le cadre de mesures préconisées par le PGEE.

SYNTHÈSE

Les aquifères souterrains subissent les conséquences de l’imperméabilisation des surfaces. En ville, ces impacts seront encore renforcés, comme on a pu le voir dans cette étude, par les changements climatiques. Il est donc essentiel de considérer la gestion des eaux urbaines en trois dimensions, en considérant également le réservoir «sol» comme un élément clé. C’est ce réservoir qui va notamment contribuer au soutient d’étiage de nombreuses sources et cours d’eau. Même si de plus en plus de sources sont «abandonnées» en milieu urbain par suite de conflits d’usage et des problèmes de contamination, leur importance reste cruciale dans le bilan hydrologique.

Une méthodologie très simple est présentée dans cet article pour établir un bilan volumétrique validé sur les données historiques nombreuses et sur une longue période. Les résultats obtenus apparaissent cohérents et permettent de tester différents scénarios d’évolution. Bien entendu des incertitudes sont présentes au niveau de la taille du bassin alimentant la source, la capacité de stockage d’eau de la terre végétale, des approches servant comme base des équations 4 et 6 et des scenarios climatiques CH2018 [15], cependant les tendances peuvent être considérées comme probables.

Le bilan du passé montre que le développement urbain du bassin influence le débit de la source. L’imperméabilisation des surfaces dans une première phase (1947 à 1980) et un changement des conditions climatiques dans une deuxième phase (dès 2000) ont causé une réduction des débits moyens fournis.

Les scénarios climatiques futurs montrent un impact prononcé sur les débits de la source. Sans aucune action entreprise au niveau du bassin d’alimentation, les débits vont diminuer, dans un ordre de grandeur qui dépend de notre capacité aujourd’hui à réduire nos émissions de gaz à effet de serre.
Une gestion urbaine favorisant l’infiltration des eaux montre les effets potentiels bénéfiques sur les eaux souterraines. La notion de «sponge city» se développe de plus en plus, mettant en avant le rôle de l’eau pour juguler les effets des changements climatiques. Notre étude montre cependant qu’il faut également favoriser l’infiltration en profondeur, pour autant que cela soit possible. En effet, toutes les mesures en lien avec le «verdissement» des surfaces urbaines vont considérablement favoriser l’évapotranspiration, avec un effet de refroidissement bienvenu en période de canicule, mais impactant la recharge des aquifères souterrains. Pour le cas de la Ville de Fribourg, la mise en place de sites d’infiltration sur le bassin d’alimentation devrait permettre, selon les hypothèses retenues, de contrebalancer efficacement les conséquences du changement climatiques. Les surfaces imperméables concernées, de l’ordre de 5%, peuvent être définies dans le cadre de mesures PGEE.
Un modèle thermodynamique reste nécessaire pour évaluer l’évolution des températures de la source pour les années futures. L’évolution de la qualité de l’eau n’est pas non plus considérée dans notre étude. Néanmoins, si les préceptes de protection des eaux lors de l’infiltration (présentés dans les directives VSA, [14]) sont appliqués correctement, le risque de contamination des aquifères souterrains devrait rester limité.
La méthodologie proposée pour le cas de la Source des Pilettes est certainement applicable à d’autres cas d’études en milieu urbain. Elle démontre l’effet bénéfique des exigences légales sur l’infiltration des eaux en milieu urbain.

 

Bibliographie

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[2] Cardinal (2020): Histoire de la Brasserie Cardinal. Online: www.cardinal.ch. Dernière consultation: 20.04.2021

[3] Cardinal (2010): Données historiques de la Source des Pilettes. Carnets de mesure des débits et des températures de 1947 à 2010. BlueFACTORY, Fribourg

[4] Bongard, N. (2020): Étude hydrique de la Source des Pilettes à Fribourg. Projet de Bachelor, Haute École d’Ingénierie et d’Architecture de Fribourg

[5] Météo Suisse (2020): Relevé des stations météorologiques, online, gate.meteoswiss.ch

[6] FR (2017): Pluies de projet et débits ruisselés. Aide à l’exécution 4.2.007. Service de l’environnement, État de Fribourg, 8 pp.

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[16] Chamoun, S. et al. (2020): Sponge Cities and the concept of Green Infrastructure: An introduction. Quatrième séminaire VSA Hydraulique des canalisations, 103–142, Haute École d’Ingénierie et d’Architecture de Fribourg

[17] Bachmann, F.; Seguin, G. (2020): Eau en ville – vers un changement de pratiques. Aqua & Gas 7/8-2020: 22–27

Remerciement

Les auteurs remercient l’entreprise Pascal Bongard Ingénieur Géomètre SA à Fribourg pour les données cadastrales, le Smart Living Lab SLL (Fribourg) pour le financement du projet blueEnergy, Philipp Neuenschwander de SINEF SA pour l’accès à la source, ainsi que Stéphane Giroud (sd ingénierie) et François Genolet (iDEALP) pour leurs renseignements.

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