Plateforme pour l’eau, le gaz et la chaleur
Article technique
09. juillet 2020

Protection des eaux souterraines - aires d'alimentation

La protection des eaux souterraines doit garantir la qualité de l’eau potable - Aires d’alimentation: mesures urgentes requises

En Suisse, de nombreux captages d’eau potable ont d’ores et déjà dû être abandonnés du fait de la pollution des eaux souterraines par des substances indésirables. Les nitrates et les produits de dégradation des produits phytosanitaires constituent la cause la plus fréquente de cette contamination. Entre densité de population élevée et exploitation agricole intensive, les solutions appropriées font défaut et les lieux non pollués se raréfient sur le territoire suisse. Pour garantir à long terme une eau potable de bonne qualité, il est par conséquent indispensable d’adapter l’utilisation des surfaces situées dans les aires d’alimentation d’où proviennent la plupart des eaux souterraines captées, afin de mieux protéger ces dernières.
Contexte

La densité de population étant inégale sur le territoire suisse, l’approvisionnement en eau incombe principalement aux quelque 2200 communes. Ces dernières exploitent pour ce faire essentiellement les eaux souterraines locales, qui représentent près de 80 pourcent des ressources nationales en eau potable. On estime à environ 18'000 le nombre de captages d’eau souterraine d’intérêt public utilisés par les services publics d’approvisionnement en eau potable et les producteurs alimentaires.

Afin de protéger efficacement les captages d’eau souterraine contre les pollutions, l’ordonnance sur la protection des eaux (OEaux) a introduit l’aire d’alimentation Zu. Celle-ci couvre la surface du bassin versant d’un captage à partir de laquelle proviennent environ 90 pourcent des eaux souterraines captées (fig. 1). Les substances qui s’infiltrent dans l’aire d’alimentation et qui sont insuffisamment retenues ou dégradées par la capacité de filtration naturelle du sol pénètrent dans les eaux souterraines puis s’écoulent jusqu’au captage. Pour prévenir les pollutions, il convient donc de prendre des mesures afin de préserver les aires d’alimentation.

Dans le cas des aquifères des vallées alpines et du Plateau suisse, densément peuplé, restreindre l’utilisation des PPh dans les zones de protection des eaux souterraines ne suffit généralement pas à protéger efficacement les ressources en eau potable [1]. Ces zones situées à proximité des captages s’étendent approximativement sur une dizaine d’hectares. L’aire d’alimentation, quant à elle, est nettement plus vaste. Pour les captages de faible envergure, elle peut déjà s’étendre sur plusieurs dizaines d’hectares, alors que pour les plus importants elle peut atteindre plusieurs kilomètres carrés.

Les mesures de protection mises en place dans les aires d’alimentation des captages d’eau souterraine ont vocation à prévenir la présence excessive de substances susceptibles de polluer l’eau potable. Une fois qu’elles ont pénétré les eaux souterraines, ces substances y persistent pendant plusieurs années, voire des décennies, et polluent l’eau potable. En vertu de l’OEaux, les cantons déterminent l’aire d’alimentation Zu destinée à protéger la qualité des eaux qui alimentent les captages d’intérêt public si l’eau est polluée par des substances ou si de telles substances présentent un danger concret de pollution (art. 29, al. 1, let. c, OEaux).

Le risque de pollution est exacerbé dans les régions à forte densité de population pratiquant une agriculture intensive. En Suisse, il pèse essentiellement sur le Plateau et les grandes vallées alpines. Conformément à l’ordonnance sur les zones agricoles, il s’agit ici de la zone de plaine et de la zone des collines. Pas moins de 2800 captages d’eau souterraine assurant l’approvisionnement public y sont installés. Pour certains d’entre eux, dont le bassin versant est par exemple entièrement situé en forêt, il n’est pas nécessaire de définir une aire d’alimentation. Toutefois, des aires d’alimentation devront certainement aussi être déterminées en dehors des zones à forte densité de population en raison des risques existants. L’Office fédéral de l’environnement (OFEV) estime ainsi qu’à l’échelle nationale, une aire d’alimentation devrait être déterminée pour 2800 des 18'000 captages d’eau souterraine. En 2019, il a relevé l’état des aires d’alimentation définies et le degré de mise en œuvre par les cantons des mesures requises dans ces régions. Il ressort de cette évaluation qu’une soixantaine d’aires d’alimentation seulement ont été définies en raison de pollutions des eaux souterraines et que des mesures d’assainissement bénéficiant du soutien financier de la Confédération ne sont mises en œuvre que dans une vingtaine d’entre elles.

Pollutions

Les hydrocarbures halogénés volatils (HHV) dépassent la valeur limite fixée par l’OEaux dans 3% des stations de mesure de l’Observation nationale des eaux souterraines (NAQUA) [2]. Depuis le milieu des années 1980, la mise sur le marché et l’utilisation de plusieurs de ces substances sont toutefois interdites ou soumises à de fortes restrictions. Au plus tard depuis 1998, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance sur les sites contaminés (OSites), les sites contaminés par des HHV font l’objet de mesures d’assainissement afin d’éliminer les pollutions. Dans ce cadre, les coûts correspondants sont, autant que possible, à la charge du pollueur ou, si celui-ci ne peut plus assumer ses obligations, des cantons ou du Fonds d’assainissement des sites contaminés (ordonnance relative à la taxe d’assainissement des sites contaminés, OTAS).

Dans les nappes d’eau souterraine situées aux abords des cours d’eau, on observe également d’autres micropolluants, notamment des résidus de médicaments ou de produits anticorrosifs provenant de l’industrie, de l’artisanat ou encore des ménages. Le développement des stations d’épuration des eaux usées (STEP) décidé par le Parlement prévoit des mesures pour éliminer ces composés traces et réduire de manière ciblée la pollution des ressources en eau potable. Aujourd’hui, 8% des eaux usées communales sont assainies dans des STEP déjà équipées d’une étape de traitement supplémentaire. Ce chiffre devrait atteindre environ 50 pourcent en 2026 et près de 70 pourcent à l’horizon 2040 (terme du programme). L’optimisation des STEP étant également financée selon le principe de causalité, les STEP concernées s’acquittent d’une redevance annuelle de 9 francs par habitant raccordé.

Les eaux souterraines sont néanmoins majoritairement polluées par les produits de dégradation (métabolites) des PPh et les nitrates [3, 4]. Parmi les concentrations de résidus supérieures à 0,1 microgramme par litre (µg/l) d’eau potable, qui dépassent ainsi la valeur maximale admise dans l’ordonnance du Département fédéral de l’intérieur (DFI) sur l’eau potable et l’eau des installations de baignade et de douche accessibles au public (OPBD), ce sont les métabolites du fongicide chlorothalonil qui sont les plus répandus. Fin 2019, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) a estimé que tous les métabolites du chlorothalonil présentent un risque pour la santé – autrement dit qu’ils sont potentiellement toxiques. L’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) a par conséquent interdit l’utilisation de ce fongicide à partir du 1er janvier 2020. Comme en témoignent les précédentes expériences de contaminations par des PPh, il faudra encore de nombreuses années avant que les aquifères soient exempts de métabolites du chlorothalonil. Citons, à titre d’exemple, les résidus de l’atrazine, qui sont aujourd’hui encore largement répandus dans les eaux souterraines bien que cet herbicide initialement réservé à la culture du maïs, mais également utilisé par les ménages et sur les infrastructures de transport, soit interdit depuis 2012.

Pour évaluer l’ampleur de la pollution des eaux souterraines par les produits de dégradation du chlorothalonil, l’OFEV a réalisé une première estimation approximative. Il en ressort que, sur le Plateau, la valeur limite de 0,1 µg/l admise dans l’OPBD est dépassée – parfois même largement – par au moins l’un des métabolites dans plus de la moitié des stations de mesures NAQUA. En l’état actuel des connaissances, les cantons de Schaffhouse, de Thurgovie, de Zurich, de Zoug, de Lucerne, d’Argovie, de Soleure, de Berne, de Fribourg, de Vaud, de Genève et du Tessin entrent dans ce cas de figure. Sur la base des résultats relevés dans 70 stations de mesure, la figure 2 rend compte des dépassements des valeurs limites du métabolite du chlorothalonil R471811 constatés dans les eaux souterraines [3]

Près d’un million d’habitants sont actuellement approvisionnés avec de l’eau potable contenant des concentrations excessives de métabolites [5]. L’OSAV appelle les cantons à déterminer aussi rapidement que possible comment réduire cette pollution afin de garantir un approvisionnement en eau potable qui respecte les valeurs limites fixées pour les métabolites du Chlorothalonil. Un délai de deux ans leur a été accordé pour mettre en œuvre les mesures correspondantes. L’approvisionnement en eau potable doit être assuré, au moins provisoirement, à partir de nappes d’eau souterraine ou de lacs non pollués. Lorsque cela n’est pas possible, d’autres solutions transitoires s’imposent. À savoir que seules des méthodes de traitement rares, très coûteuses et non durables permettent d’éliminer les métabolites du chlorothalonil [6]. Tenus d’observer ces prescriptions, les distributeurs d’eau concernés font face à un défi de taille. L’OSAV interroge actuellement les cantons sur les mesures qu’ils envisagent d’adopter afin de se conformer aux limites maximales dans les délais qui leur sont impartis.

Des concentrations de nitrates (NO3-) supérieures aux valeurs limites sont observées depuis plusieurs décennies dans les eaux souterraines suisses [7] . Mis en place en 1993, le système des paiements directs écologiques et de complément de revenu visait, entre autres, à réduire la pollution des eaux souterraines induite par les nitrates d’origine agricole. Par la suite, l’excédent d’azote imputable à l’agriculture a globalement diminué de 130'000 tonnes à 115'000 tonnes par an. Sur la période de 2002 à 2003, la teneur en nitrates dans les captages d’eau potable des bassins versants à vocation agricole a reculé d’approximativement 3 à 4 milligrammes de NO3- par litre (mg/l) par rapport à la période de 1990 à 1992. Si l’objectif initial de 5 mg/l n’a pas été atteint, cette mesure a en revanche permis d’abaisser la teneur en nitrates en dessous du seuil de 40 mg/l dans plus de 90 pourcent des captages d’eau potable. Néanmoins, le fait que les distributeurs d’eau aient fermé les captages fortement contaminés par les nitrates durant la période étudiée [8] joue également un rôle non négligeable dans ce résultat. Depuis une vingtaine d’années, l’excédent d’azote imputable à l’agriculture ne diminue plus, si bien que la pollution par les nitrates stagne depuis le passage au nouveau millénaire. Afin de pouvoir utiliser les eaux souterraines polluées en dépit de leur teneur excessive en nitrates, les services d’approvisionnement en eau les mélangent avec une eau moins polluée avant d’alimenter le réseau d’eau potable. Malgré ces diverses possibilités, l’eau de nombreux captages ne peut plus être prélevée depuis l’an 2000 en raison de sa concentration excessive en nitrates. Depuis lors, 42 pourcent des distributeurs d’eau ont ainsi abandonné au moins une zone de captage du fait de la qualité insuffisante de l’eau et des risques engendrés par les utilisations dans les zones de protection (renseignement communiqué oralement par M. André Olschewski, SSIGE; [9-12]).

Bien entendu, la teneur en nitrates des eaux souterraines n’est généralement que de l’ordre de quelques milligrammes par litre. Sur le Plateau, elle est toutefois supérieure à 10 mg/l dans plus de 80 % des stations de mesure NAQUA. La valeur limite de 25 mg/l fixée par l’OEaux pour les nitrates est dépassée dans près de 40 pourcent des stations de mesure situées dans les régions de cultures assolées [13]. En outre, la valeur maximale de 40 mg/l pour l’eau potable est dépassée dans 12 pourcent des sites (cf. fig. 3). Des concentrations en nitrates supérieures à 40 mg/l ont notamment été observées dans plusieurs stations de mesure situées dans l’ouest du Plateau – notamment dans le Seeland et la plaine de la Broye – ainsi que dans l’Unterland et le Weinland zurichois.

Il faut savoir aussi que les nitrates ne polluent pas uniquement les eaux souterraines et l’eau potable du territoire suisse, mais également la mer du Nord. La Convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est, dite convention OSPAR, signée par la Suisse, visait notamment à diminuer de moitié jusqu’en 2010 les apports d’azote dans les cours d’eau par rapport à 1985, soit, selon des modélisations, une réduction des intrants agricoles d’environ 24'500 tonnes. À ce jour, les apports d’azote n’ont diminué que de 12'500 tonnes, si bien qu’il en résulte un écart pratiquement aussi important vis-à-vis des objectifs définis.

Instrument d’assainissement de la Confédération

En ce qui concerne la pollution des nappes d’eaux souterraines, la Confédération peut cofinancer une grande partie des mesures visant à empêcher le lessivage de substances provenant de l’agriculture, notamment les nitrates ou les PPh (art. 62a loi fédérale sur la protection des eaux, LEaux) [14]. La mesure la plus importante en ce sens consiste à convertir une partie des terres cultivées situées dans l’aire d’alimentation du captage en surfaces herbagères à l’année. La participation des agriculteurs à ces projets d’assainissement s’effectue sur une base volontaire. À titre de compensation de la perte de recettes imputable à l’adaptation de leur mode d’exploitation, ils reçoivent une indemnité financière. De tels projets doivent s’inscrire sur le long terme, le résultat pouvant se faire attendre des années. En 2018, la Confédération soutenait 24 projets destinés à réduire le lessivage des nitrates dans les eaux souterraines. Actuellement, aucun projet équivalent de réduction des PPh n’est mis en œuvre au sens de l’art. 62a LEaux. Toutefois, un projet d’utilisation durable des ressources a débuté en 2016 pour réduire les effets secondaires dus aux PPh, en particulier la pollution des eaux souterraines.

Dans les trois quarts des projets mis en place afin de réduire la concentration de nitrates, celle­-ci est passée sous la valeur limite de 25 mg/l dans au moins un des captages situés dans la zone de projet. Selon la situation, les teneurs ont progressivement diminué sur une période comprise entre 3 et 16 ans (cf. fig. 4). Le changement du mode d’exploitation dans une aire d’alimentation peut donc permettre d’assainir une nappe d’eau souterraine polluée.

Si les projets ne sont pas menés à terme, l’indemnité concédée au titre de la baisse de recettes n’est plus versée aux agriculteurs. En pareil cas, il faut en effet supposer que ces derniers renoueraient avec une agriculture intensive, avec les conséquences négatives que l’on connaît sur la pollution des eaux souterraines par les nitrates. Une telle démarche réduirait à néant les succès rencontrés dans les projets menés jusqu’alors. C’est la raison pour laquelle un changement durable du mode d’exploitation s’impose si l’on veut pérenniser la qualité des eaux souterraines et l’utilisation de l’eau potable. Si modifier le mode d’exploitation agricole d’une aire d’alimentation a un coût, il est néanmoins sans commune mesure avec celui du traitement technique des eaux souterraines polluées par les nitrates. Ramené à 1 mètre cube d’eau souterraine captée, le coût total des projets de conversion agricole – y compris les coûts de planification et d’administration et les indemnités versées au titre de la baisse de recettes – revient en moyenne à 70 centimes. Un traitement technique des nitrates pourrait, quant à lui, atteindre 120 centimes par mètre cube d’eau potable, soit un surcoût d’environ 70 pourcent.

Lacunes dans la détermination des aires d’alimentation

Bien que les valeurs limites pour les nitrates soient dépassées en maints endroits dans les eaux souterraines captées, les cantons concernés n’ont déterminé à ce jour qu’une soixantaine d’aires d’alimentation pour remédier à la situation actuelle. Plusieurs raisons expliquent ce faible nombre. Ainsi, la détermination des aires d’alimentation, le relevé de l’utilisation agricole et l’adoption volontaire d’un mode d’exploitation visant à réduire le lessivage des nitrates sont autant de tâches extrêmement ambitieuses [15].

Les substances actives des PPh – autrement dit les substances d’origine sans leurs produits de dégradation – ne dépassent que très rarement les valeurs limites fixées. Il n’y a donc pas lieu de déterminer des aires d’alimentation afin de les réduire. Jusqu’à récemment, ce constat valait également pour les métabolites des PPh, aucun de ceux classés comme pertinents en vertu de l’OPBD n’étant répandu dans des concentrations supérieures à 0,1 µg/l.

Action menée sur la scène politique

La législation sur la protection des eaux, la protection de l’environnement et l’agriculture ainsi que d’autres instruments de la Confédération – notamment le «plan d’action visant à la réduction des risques et à l’utilisation durable des produits phytosanitaires» entré en vigueur en 2017 – doivent contribuer à limiter voire à réduire les apports de PPh et de nitrates dans les cours d’eau. Pourtant, nombreux sont les cours d’eau qui affichent aujourd’hui encore des concentrations excessives de PPh et de nitrates. Dans son message relatif à l’évolution future de la Politique agricole à partir de 2022 (PA22+), le Conseil fédéral veut continuer de réduire la pollution des cours d’eau due à ces substances. La Commission de l’économie et des redevances du Conseil des États abonde dans le même sens avec son initiative parlementaire 19.475 «Réduire le risque de l’utilisation de pesticides».

La PA22+ prévoit notamment que les exploitations agricoles bénéficiant de paiements directs ne puissent plus utiliser que des substances présentant un faible risque environnemental, tout en encourageant le non-recours aux PPh. Afin d’éliminer l’azote présent dans l’environnement, le Conseil fédéral vise également une réduction quantifiée. Dans ce contexte, il prévoit d’adopter toute une série de mesures et de contraindre les branches à réduire l’utilisation d’azote. Le Conseil fédéral entend par ailleurs soutenir la protection des ressources régionales à travers des contributions destinées à promouvoir une agriculture adaptée aux conditions locales, qui améliore et renforce la durabilité par l’utilisation ciblée des ressources naturelles. La réduction des apports de PPh et de nitrates dans l’environnement s’inscrit dans ce cadre. Ces mesures sont détaillées sur la page Internet de l’OFAG dans la présentation relative au message susmentionné ainsi que dans les projets de loi du Conseil fédéral. L’initiative parlementaire 19.475 propose d’inscrire dans la loi une trajectoire de réduction des risques environnementaux découlant de l’utilisation des PPh qui contraindrait aussi les différentes branches à réduire les risques et exigerait un relevé précis de l’utilisation des PPh [16-19].

Au Parlement, d’autres interventions ayant trait à la qualité de l’eau potable sont en suspens: la motion 19.4314 «Mieux protéger l’eau potable. Durcissement des autorisations» demande à ce qu’aucun pesticide ne soit plus autorisé si l’on prévoit que la concentration de ses métabolites dépassera 0,1 µg/l dans les lixiviats. En raison des lourdes conséquences que cette réglementation aurait pour l’agriculture, le Conseil fédéral a rejeté cette motion. Toutefois, si elle devait être adoptée par le Conseil national, le Conseil fédéral demanderait au Conseil des États d’interdire le recours aux PPh dans l’aire d’alimentation des captages d’eau potable lorsque ceux-ci risquent d’être à l’origine de concentrations excessives en métabolites.

Les deux motions 20.3022 «Pour une participation financière de la Confédération aux mesures d’assainissement nécessaires pour assurer une qualité optimale de l’eau potable» et 20.3052 «Abaissement des valeurs limites applicables aux pesticides. Financement des installations supplémentaires de traitement des eaux conforme au principe du pollueur­-payeur» proposent une orientation légèrement différente. Elles appellent le Conseil fédéral à créer les bases juridiques nécessaires au financement des investissements dans l’infrastructure requise (p. ex. stations de traitement d’eau et conduites) afin que les valeurs limites soient respectées. Le Conseil fédéral rejette également ces deux motions. Il motive son refus en arguant qu’il n’est pas souhaitable de passer d’une infrastructure actuellement décentralisée à des installations centralisées équipées d’un système de traitement de l’eau à haute intensité énergétique. Plutôt que de renouveler les conduites d’alimentation et les infrastructures, le Conseil fédéral préfère mettre l’accent sur la protection préventive des eaux souterraines. Si ces motions devaient être adoptées par le Conseil national, le Conseil fédéral envisage de demander au Conseil des États de le mandater pour introduire une obligation cantonale générale de détermination des aires d’alimentation. Pour financer les travaux afférents, le Conseil fédéral étudierait également une participation aux coûts conforme au principe du pollueur-payeur. Par la position adoptée vis-à-vis des trois motions citées, le gouvernement entend restreindre de manière ciblée les utilisations présentant des risques dans l’aire d’alimentation – autrement dit, intervenir exclusivement là où c’est absolument nécessaire – et, ce faisant, protéger plus efficacement l’eau potable.

Conclusions

À l’origine de la contamination des eaux souterraines se trouve notamment l’utilisation excessive, dans les aires d’alimentation des captages, d’engrais azotés de ferme, de recyclage et minéraux, ainsi que de produits phytosanitaires entraînant des concentrations en métabolites élevées. La Confédération soutient d’ores et déjà financièrement des mesures d’assainissement visant à ramener la pollution en deçà des valeurs limites en vigueur. Pour en bénéficier, le canton concerné doit déterminer l’aire d’alimentation d’un captage d’eau potable et élaborer un projet d’assainissement pour celle-ci.

Avec sa politique agricole PA22+, le Conseil fédéral propose d’aider les cantons à mettre en œuvre une agriculture adaptée aux conditions locales en leur allouant des contributions supplémentaires, lorsque les objectifs environnementaux, notamment l’exigence d’une eau potable propre, ne sauraient être atteints autrement. Pour mettre en œuvre des mesures de protection de l’eau potable, il est indispensable que des aires d’alimentation soient déterminées. Comme en témoignent les réponses du Conseil fédéral aux trois motions précitées, celui-ci considère que la détermination des aires d’alimentation des captages est essentielle, en ce qu’elle représente une condition indispensable à la mise en place de mesures ciblées de protection de l’eau potable. Ce principe ne s’applique pas exclusivement aux régions à vocation agricole, mais également aux sites présentant une part importante de surfaces artisanales, industrielles et d’habitation ainsi qu’un réseau dense d’infrastructures de transport. Si les aires d’alimentation des captages d’où provient une grande partie des eaux souterraines sont identifiées, il est possible d’analyser les eaux souterraines concernées de manière précise afin de déceler de potentielles sources de pollution et, le cas échéant, de réduire les apports en conséquence. En premier lieu, les cantons devraient procéder dès que possible à la détermination des aires d’alimentation de 2800 captages sur les quelque 18'000 existants. Les étapes suivantes consisteraient à analyser en détail l’utilisation qui est faite du territoire couvert par ces aires et, au besoin, à adopter un mode d’exploitation ménageant les ressources en eau potable – par exemple dans le cadre d’une agriculture adaptée aux conditions locales. À long terme, la détermination des aires d’alimentation et une utilisation respectueuse des ressources en eau constituent la solution la plus sûre, la plus durable et la plus économique pour garantir la qualité de l’eau potable.

 

Dernières initiatives politiques
La WAK-S s’engage à prendre des mesures de précaution en matière de protection des eaux souterraines et à renforcer l’aire d’alimentation de captages d’eau potable.

À l’issue de sa réunion en date du 2 et 3 juillet, la Commission de l’économie et des redevances du Conseil des États (WAK-S) a adapté son projet destiné à mettre en œuvre l’initiative parlementaire «Réduire le risque de l’utilisation de pesticides» (19.475) en y ajoutant des points importants concernant la protection des eaux. Le projet modifié a été adopté à l’unanimité et transmis au Conseil des États.
La commission a, notamment, apporté deux changements à la loi fédérale sur la protection des eaux (LEaux). Elle propose de compléter l'art. 9 LEaux en ce sens qu’une autorisation doit être examinée lorsque dans les eaux servant à l’approvisionnement en eau potable ou dans les eaux superficielles, la valeur limite pour les produits phytosanitaires ou les produits biocides est dépassée de manière répétée et étendue. Par ailleurs, l’art. 27, al. 2 LEaux doit être adapté de telle sorte que dans l’aire d’alimentation de captages d’eau potable ne puissent être utilisés que des produits phytosanitaires n’entraînant pas des concentrations en substances actives et en produits de dégradation trop élevées dans les eaux souterraines.
Les changements proposés à l’art. 9 et l’art. 27, al. 2 LEaux permettent de prendre en compte deux problèmes majeurs et de mettre en place des mesures préventives en matière de protection des eaux souterraines et de l'eau potable. Toutefois, la condition préalable à la mise en œuvre des lois adaptées par la commission WAK-S requiert que le nombre d’aires d'alimentation déterminées soit largement supérieur à celui d’aujourd'hui (voir article). Les motions récemment déposées par M Zanetti (20.3625) et Mme Roth (20.3679) demandent une détermination des aires d’alimentation au niveau national. LEaux devrait prévoir une obligation pour les cantons de déterminer les aires d’alimentation d’ici 2035 pour tous les captages d’eau potable d’importance régionale, ainsi que pour les captages présentant un danger de contamination.
En acceptant ces motions, d’autres éléments essentiels pour une protection des ressources et de l’eau potable seraient pris en compte et permettraient de protéger les eaux souterraines sur le long terme.

Communiqué de presse de la Commission de l’économie et des redevances du Conseil des États (WAK-S): https://www.parlament.ch/press-releases/Pages/mm-wak-s-2020-07-03.aspx?lang=1036

Bibliographie

[1] Hunkeler, D.; Chochand, F. (2020): Wirksamkeit eines PSM-Verbots in Grundwasserschutzzonen. Centre d’hydrogéologie et de géothermie (CHYN), Université de Neuchâtel. Rapport sur mandat de l’Office fédéral de l’environnement OFEV

[2] Office fédéral de l’environnement OFEV (2020): Hydrocarbures halogénés volatils

[3] Office fédéral de l’environnement OFEV (2020): Métabolites du chlorothalonil dans les eaux souterraines: première estimation de la pollution en Suisse 

[4] Office fédéral de l’environnement OFEV (2019): État et évolution des eaux souterraines en Suisse. Résultats de l’Observation nationale des eaux souterraines NAQUA. État de l’environnement No 1901, Berne

[5] Sager, M. (2020): Blog: Ne pas banaliser ni dramatiser. Aqua & Gas, 27 février 2020

[6] Kiefer, K. et al. (2019): Pflanzenschutz-Metaboliten im Grundwasser. Ergebnisse aus der NAQUA-Pilotstudie «Screening». Aqua & Gas 11/2019: 14-23

[7] Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage OFEFP et Office fédéral de l’agriculture OFAG (1996): Stratégie de réduction des émissions d’azote. Cahier de l’environnement

[8] Cornaz, S. et al. (2005): Évaluation des mesures écologiques – Domaines de l’azote et du phosphore. Les cahiers de la FAL 57: 132

[9] Reist, V.; Olschewski, A. (2019): Nutzungskonflikte bei Trinkwasserfassungen. Aqua & Gas 6/2019: 44-49

[10] Office fédéral de l’agriculture OFAG (2019): Rapport agricole 2019

[11] Office fédéral de l’environnement OFEV (2008): Objectifs environnementaux pour l’agriculture. Connaissance de l’environnement

[12] Office fédéral de l’environnement (OFEV), Office fédéral de l’agriculture (OFAG) (2016): Objectifs environnementaux pour l’agriculture. Connaissance de l’environnement

[13] Office fédéral de l’environnement OFEV (2019): Nitrates dans les eaux souterraines 

[14] Loi fédérale sur la protection des eaux  (LEaux) (1991)

[15] Schwab, C.; Guhl, F. (2018): Protection des captages d’eau souterraine en Suisse: état de l’exécution. OFEV

[16] Parlement suisse: Procédure de consultation: 19.475 IV. PA. «Réduire le risque de l’utilisation des pesticides»

[17] Office fédéral de l’agriculture OFAG: PA22+. Documentation «Présentation AP22+»

[18] Procédure de consultation PA22+ 

[19] Office fédéral de l’agriculture OFAG (2018): Consultation relative à la Politique agricole à partir de 2022 (PA22+). Rapport explicatif », 14 novembre 2018 

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