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Article technique
02. juillet 2018

Températures des eaux souterraines

Températures des eaux souterraines: un aperçu de l’état et de l’évolution en Suisse

La température, paramètre important du comportement et de la qualité des eaux souterraines, a fait l’objet d’une étude à l’échelle nationale. Des analyses de données basées sur l’Observation nationale des eaux souterraines NAQUA, complétées par des séries de données historiques plus étendues, permettent un premier aperçu de l’état et de l’évolution de la situation en Suisse. Les moyennes pluriannuelles et les tendances sur une période de plus de 15 ans sont analysées à la lumière de différents facteurs, incluant les impacts anthropiques directs et indirects, influençant la température des eaux souterraines.
Marc Schürch, Monica Bulgheroni, Michael Sinreich, 

Introduction

Paramètre d’observation

La température est un paramètre clé du comportement et de la qualité des eaux souterraines. Elle constitue non seulement un indicateur des conditions de recharge et du flux thermique dans l’aquifère, mais elle contrôle aussi l’activité bactérienne et les équilibres hydro-chimiques dans le sous-sol. De ce fait, une augmentation de la température de l’eau peut, par exemple, entraîner une diminution de la concentration en oxygène dissous, favorisant la présence de bactéries pathogènes et provoquant ainsi la diminution des microorganismes indicateurs de la bonne qualité de la ressource [1]. Enfin, la température représente un critère de qualité intrinsèque, notamment pour ce qui est de la ressource en eau potable.
En Suisse, étant donné que les eaux souterraines fournissent 80 % de l’eau potable, il est essentiel de connaître l’état et l’évolution de leur température afin d’évaluer leur qualité ainsi que l’impact anthropique thermique. La température constitue un paramètre standard des études spécifiques sur la qualité des eaux souterraines ainsi que des programmes de monitoring à long terme, telle l’Observation nationale des eaux souterraines NAQUA [2]. Cependant, les analyses ciblées sur la température des eaux souterraines sont plutôt rares, particulièrement à grande échelle, et la durée des séries temporelles disponibles est souvent insuffisante.

Flux thermiques

La température des aquifères est influencée par la surface et la profondeur. Dans les aquifères peu profonds, elle est principalement déterminée par la température de l’air et de l’eau de surface des bassins d’alimentation. De ce fait, la température naturelle des eaux souterraines proches de la surface avoisine la moyenne annuelle de la température de l’air, qui, sous nos latitudes, se situe souvent autour de 10 °C. En profondeur, elle augmente en fonction du gradient géothermique d’environ 3 °C par 100 mètres. En zone saturée, le flux thermique terrestre commence à supplanter le flux thermique en provenance de la surface à partir de 20 à 30 mètres de profondeur environ [3] et, à partir de 50 mètres, les variations annuelles de la température se stabilisent [4]. Typiquement, la température des eaux thermales est déterminée par le flux terrestre, tandis que la grande majorité des aquifères exploités en Suisse pour l’approvisionnement en eau potable sont peu profonds et répondent au flux thermique provenant de la surface.

Impacts anthropiques

Les impacts anthropiques sur la température des eaux souterraines sont doubles. D’une part, les impacts anthropiques directs comprennent les constructions et infrastructures souterraines (p. ex. bâtiments, tunnels, conduites d’eaux usées) ainsi que l’utilisation énergétique du sous-sol (p. ex. par des sondes géothermiques). D’autre part, l’augmentation de la température de l’air ces prochaines décennies prévue par les scénarios climatiques [5] constitue un impact anthropique indirect. La température de l’air détermine celle des eaux souterraines et celle des eaux de surface, qui sont en étroite interaction [6]. Ainsi, dans le contexte du réchauffement climatique, le suivi de l’évolution de la température des eaux souterraines est particulièrement pertinent, celle-ci étant un indicateur de l’impact des changements climatiques.

Exigences legales

L’ordonnance sur la protection des eaux (OEaux; [7]) fixe les normes suivantes lors d’interventions anthropiques: «La qualité des eaux du sous-sol doit être telle que la température présente des caractéristiques proches de l’état naturel» (OEaux, annexe 1, ch. 1, al. 3a). Elle précise également que «l’apport ou le prélèvement de chaleur ne doit pas modifier la température naturelle des eaux du sous-sol de plus de 3 °C; les fluctuations de température localement très limitées sont réservées» (OEaux, annexe 2, ch. 21, al. 3). Ainsi, en Suisse, il est légalement reconnu que les impacts thermiques anthropiques doivent rester limités, notamment dans les zones urbanisées (installations géothermiques, constructions dans le sous-sol et interventions hydrauliques interférant avec les eaux souterraines). La surveillance et l’exécution de ces normes incombent aux cantons.

Observation Ă  grande Ă©chelle

En Suisse, la température fait partie des paramètres de base relevés dans le cadre des réseaux d’observation cantonaux et fédéraux et de nombreuses études hydrogéologiques spécifiques à durée limitée. Cependant, une analyse à grande échelle de l’état et de l’évolution de la température des eaux souterraines fait encore défaut. En effet, l’observation à long terme et la précision des mesures restent difficiles et ne représentent souvent pas une priorité en ce qui concerne la qualité des eaux souterraines. En Autriche, par exemple, l’analyse des données acquises entre 1997 et 2009 a permis d’identifier, dans certaines régions, une augmentation générale de la température des eaux souterraines [8]. La présente étude se base sur les données disponibles à l’échelle de la Suisse, en se concentrant sur les aquifères de faible profondeur et les données à long terme.

Methodologie

Données disponibles

À l’échelle de la Suisse, l’Observation nationale des eaux souterraines NAQUA, gérée par l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) en étroite collaboration avec les cantons depuis le début des années 2000, est constituée de 4 modules: QUANT pour la quantité des eaux souterraines, TREND et SPEZ pour la qualité des eaux souterraines et ISOT pour les isotopes de l’eau dans le cycle hydrologique. Dans le cadre des modules QUANT et TREND, la température est relevée en continu, tandis que le module SPEZ ne porte que sur des prélèvements ponctuels. Seules les données relevées en continu sont considérées dans la présente étude. Elles sont complétées par des données de stations KLIGW, réseau qui compile des séries à long terme sur le débit des sources, le niveau et la température des eaux souterraines [9].
Au total, 65 stations de mesure ont été prises en compte pour cette étude, dont 48 des modules QUANT et TREND et 17 du réseau KLIGW. Leurs séries de données s’étendent en principe sur au moins dix ans. Ces stations sont réparties dans toute la Suisse, représentant globalement les différentes conditions en matière d’hydrogéologie, de géographie et d’occupation du sol. Les stations dans les roches meubles sont des piézomètres et des puits de pompage d’une profondeur de quelques dizaines de mètres au plus, tandis que celles dans les aquifères en roches cohérentes sont essentiellement des sources. L’analyse des eaux thermales ne fait pas partie de la présente étude.

Analyse de données

Les analyses portent toutes sur la période de 2000 à 2016. Elles se basent sur des moyennes mensuelles dérivées des moyennes journalières, elles-mêmes calculées à partir de données relevées toutes les 5 minutes. La moyenne et la tendance pluriannuelles de la température des eaux souterraines à chacune des stations sont ensuite déduites sur la base des séries de données les plus longues à l’intérieur de la période susmentionnée.
L’évolution de la température est classée en quatre catégories selon la tendance sur 10 ans:
– diminution de la température: ≤ –0,2 °C/10 ans
– stabilité de la température: > – 0,2 °C/10 ans et < 0,2 °C/10 ans
– augmentation de la température: ≥ 0,2 °C/10 ans et < 0,6 °C/10 ans
– forte augmentation de la température: ≥ 0,6 °C/10 ans

L’analyse statistique des données se fonde sur le test de corrélation de Pearson afin de vérifier la significativité de la tendance calculée mathématiquement [10]. Ce test ne pouvant être appliqué à une série de données sinusoïdales, les valeurs de probabilité (valeur-p) ont été calculées sur la base des moyennes annuelles. Une marge d’erreur plus importante a ainsi été considérée et le seuil de significativité a été fixé à 10%, indiquant qu’une valeur-p supérieure à 0,1 n’est pas significative et que la tendance ne peut pas être considérée comme représentative de la série de données.

Facteurs limitants

Outre une éventuelle durée d’observation insuffisante, deux facteurs limitants doivent être considérés lors de l’analyse des résultats de la température des eaux souterraines: la précision et les sautes des mesures. La majorité des stations sélectionnées pour cette étude sont munies d’une sonde avec une résolution de 0,01 °C, tandis que 6 stations sont équipées de sondes avec une résolution de 0,1 °C. Ces deux instruments de mesure ont une précision de ± 0,2 °C. Si un faible pourcentage de stations présentent une variation saisonnière de la température plus petite ou égale à la précision des mesures (p. ex. station NQQ21 dans fig. 1), la plupart des stations enregistrent des variations supérieures à celle-ci (p. ex. station NTQ10 dans fig. 1). Dans le premier cas, les variations saisonnières restent toutefois visibles et significatives.
Plusieurs facteurs peuvent induire une hausse ou baisse soudaine dans les séries de données et, par conséquent, influencer ou même fausser les calculs de la moyenne et de la tendance. Ils sont liés aux instruments (changement de sondes et mode d’acquisition des données), à des modifications soudaines d’utilisation du sous-sol (p. ex. démarrage d’exploitation géothermique) ou à des phénomènes naturels, comme l’oscillation du régime climatique [11]. Pour les identifier, les données ont été comparées à d’éventuelles influences et corrigées en cas d’artefacts dus à l’instrumentation.

ouverture de session

Moyennes pluriannuelles

Variations spatiales et temporelles

La représentation des moyennes pluriannuelles sur 17 ans (2000 à 2016) de toutes les stations donne un bon aperçu de la gamme et de la variabilité de la température des eaux souterraines en Suisse. Les figures 2 et 3 montrent que la température moyenne varie entre 5 °C et 15 °C environ et que la température moyenne pluriannuelle des eaux souterraines sur l’ensemble des stations est d’environ 10,5 °C. Quant à la variabilité de la température, elle s’étend de moins de 1 °C à 11 °C au maximum selon la station. Ces fluctuations sont essentiellement saisonnières: les températures minimales sont souvent relevées en mars et en avril et les températures maximales, en septembre et en octobre, présentant un décalage de quelques mois par rapport à la température de l’air.

Régions géographiques

L’altitude, le climat et l’exposition du bassin d’alimentation exercent, selon les conditions hydrogéologiques, une influence plus ou moins grande sur l’état et l’évolution de la température des eaux souterraines. Des facteurs d’impact anthropique direct, tels que l’occupation du sol et le milieu bâti, peuvent avoir une influence supplémentaire. La moyenne pluriannuelle de la température des eaux souterraines diffère donc selon les régions géographiques (fig. 3). Le Plateau, avec une altitude moyenne des bassins d’alimentation entre 500 et 850 mètres, accueille les grandes vallées alluviales, les principaux centres urbains et leurs infrastructures, ainsi que les régions d’agriculture intensive. Les bassins d’alimentation du Jura, dont l’altitude moyenne se situe entre 500 et 1150 mètres, et ceux des Alpes, dont l’altitude moyenne se situe entre 800 et 1900 mètres, subissent moins d’impacts anthropiques directs. Ces deux dernières régions se caractérisent par un relief plus accentué, des altitudes plus élevées et un climat plus froid. Au sud des Alpes, les altitudes et l’occupation du sol varient fortement et le climat est généralement influencé par les courants atmosphériques venant de la mer Méditerranée.

Emplacement géographique et altitude

Étant donné que la température des eaux souterraines est principalement déterminée par la température de l’air (fig. 4a), elle varie également avec l’altitude (fig. 4b). De manière générale, les aquifères des Alpes et du Jura se situent à des altitudes élevées et présentent, par conséquent, des températures moyennes pluriannuelles des eaux souterraines entre 5 °C et 11 °C, inférieures à la moyenne suisse. Selon [12], la température des aquifères alpins décroit de 0,37 °C par 100 mètres d’altitude. Sur le Plateau et au sud des Alpes, la température moyenne pluriannuelle des aquifères alluviaux, majoritairement situés dans les plaines le long des rivières, à plus basse altitude, se situe entre 10 °C et 13 °C (fig. 3).

Type d’aquifère et régime des eaux souterraines

La température et sa variation dépendent du type d’aquifère (fig. 2) ainsi que du régime des eaux souterraines. Ce dernier détermine la provenance de l’eau – type de recharge des aquifères par l’eau des précipitations, des cours d’eau, de la fonte des neiges et des glaciers [13] – et donc sa température. Le régime nivo-glaciaire concerne surtout les aquifères fissurés et karstiques des Alpes, ainsi que les aquifères en roche meuble situés le long des rivières alpines. De ce fait, les eaux provenant de la fonte des neiges et des glaciers sont plus froides que les eaux souterraines des aquifères en roche meuble du Plateau et du Jura, qui connaissent un régime pluvial. Par leur emplacement géographique, les aquifères fissurés et karstiques sont par contre peu sujets à des impacts anthropiques directs.

Profondeur de l’aquifère

La plupart des aquifères en roche meuble étudiés sont proches de la surface avec des niveaux d’eau situés à une profondeur inférieure à une vingtaine de mètres. Bien qu’une relation directe entre la température moyenne et la profondeur du niveau des eaux souterraines ne puisse pas être constatée, une corrélation existe entre la profondeur des eaux souterraines et l’amplitude des variations annuelles de leur température (fig. 4c): plus les eaux souterraines sont profondes, moins les fluctuations saisonnières de température sont visibles. Pour les aquifères en roche cohérente, dont l’amplitude des températures reste inférieure à 3 °C dans la présente étude, le niveau des eaux souterraines est plus difficile à déterminer, mais se situe souvent à au moins quelques dizaines de mètres de profondeur.
Une stratification de la température est généralement observée à l’intérieur des aquifères. Sa détermination requiert des méthodes de mesure plus détaillées, non disponibles pour les stations évaluées. Aussi, les données prises en compte représentent-elles des moyennes locales.

Interaction eaux de surface – eaux souterraines

Comme le montrent [14], entre autres, ainsi que les régimes des eaux souterraines, les variations saisonnières sont plus prononcées dans les aquifères rechargés par les cours d’eau. Pour ce type d’aquifères, les évènements extrêmes tels que les forts orages ou encore la canicule de l’été 2003 ont un impact, notamment sur la température des eaux souterraines (voir station NTG19 dans la fig. 8). À l’inverse, les aquifères plus éloignés des cours d’eau ont tendance à présenter de faibles fluctuations saisonnières de la température. Ainsi, selon la distance de la station de mesure dans l’aquifère par rapport au cours d’eau rattaché, les variations saisonnières peuvent être très marquées ou pratiquement nulles. La valeur extrême de la figure 4c d’une amplitude de 11 °C, par exemple, représente une station de mesure ayant une forte interaction hydraulique avec une rivière à proximité. 

Occupation du sol

Les valeurs de la température se sont révélées généralement plus élevées dans les zones urbanisées, avec une moyenne pluriannuelle de 11,9 °C, alors que cette dernière est de 10,1 °C pour les autres types d’occupation du sol (zones agricoles, pâturages, terres boisées, régions improductives). Des études dans plusieurs pays européens confirment ces résultats en mettant l’accent sur la différence entre les températures des eaux souterraines dans les zones urbanisées et dans les régions rurales [15–18], les premières étant significativement plus élevées. En effet, dans les zones urbanisées, les précipitations entrent en contact notamment avec les toits, les routes et les façades, ce qui augmente, tout particulièrement en été, la température des eaux d’infiltration. De plus, dans les zones urbanisées, le nombre des activités anthropiques augmentent de plus en plus le potentiel d’impacts directs sur les eaux souterraines. En revanche, pour les autres types d’occupation du sol, la présence de la végétation et la percolation de l’eau à travers le sol permettent à la température de l’eau de mieux s’équilibrer avec son environnement naturel.

Évolution à long terme

Tendances sur 10 ans

La figure 5a montre, sur une période de 10 ans à partir des données relevées entre 2000 et 2016, les tendances calculées pour chacune des 65 stations classées selon les trois types d’aquifère. Les tendances pour les aquifères fissurés et les aquifères karstiques se limitent aux deux catégories «stabilité» et «augmentation». En revanche, dans les aquifères en roche meuble, les tendances calculées sont réparties en quatre catégories; aux deux catégories mentionnées précédemment, s’ajoutent les catégories «diminution» et «forte augmentation», ce qui signifie que les tendances varient dans l’ensemble entre –0,6 °C/10 ans et 0,9 °C/10 ans.
De 2000 à 2016, 45 % des 65 stations de mesure choisies indiquent une augmentation de la température des eaux souterraines de plus de 0,2 °C/10 ans – dont 8%, une augmentation supérieure à 0,6 °C/10 ans – et 9%, une diminution de la température des eaux souterraines de plus de 0,2 °C/10 ans (fig. 5b). La majorité des stations présentent cependant des séries à tendance stable (46%); elles se situent souvent dans de grands aquifères ayant une forte inertie ou ne répondant pas ou très faiblement et lentement aux influences de la surface (voir station NQQ21 dans figure 1).

Variations interannuelles

Pour illustrer les variations interannuelles, différenciées par type d’aquifère, les tendances sont aussi calculées pour chaque mois entre 2000 et 2016 (fig. 6). La température aux stations de mesure se situant dans les aquifères en roche meuble présente plusieurs tendances: diminution, stabilité, augmentation et forte augmentation. Dans les aquifères en roche meuble, au moins 40 % des stations de mesure enregistrent des tendances à l’augmentation ou à la forte augmentation, 50%, des tendances à la stabilité et 10 %, des tendances à la diminution pour tous les mois. Ces pourcentages ne varient que peu entre janvier et décembre et n’ont donc pas un caractère saisonnier.
Dans les deux types d’aquifères en roche cohérente, 70% des stations affichent essentiellement des tendances à la stabilité et 30 %, des tendances à la diminution. Cette distribution ne varie que légèrement pendant l’année. Toutefois, les aquifères fissurés en particulier présentent une faible variation saisonnière: les tendances à l’augmentation y sont plus fréquentes durant les mois estivaux. Cela peut être en partie lié au fait que certains aquifères fissurés sont plus sensibles aux modifications du régime de recharge que les aquifères en roche meuble. En outre, les aquifères karstiques peuvent répondre de façon immédiate aux variations extérieures de la température, ce qui explique les tendances inégales d’un mois à l’autre. Le nombre relativement faible de stations de mesure situées dans des aquifères en roche cohérente ne permet toutefois pas de postuler une éventuelle saisonnalité des tendances.

Tendances des 60 dernières années

De très longues séries de données permettent de mieux mettre en évidence l’évolution à long terme. Les séries de données sur environ 60 ans livrées par 6 stations KLIGW ont été analysées. Ces stations de mesure se situent toutes dans des aquifères en roche meuble rattachés à un cours d’eau. En général, elles indiquent une évolution à la hausse, même si elles enregistrent des valeurs de tendances différentes [6, 9, 11].
Certaines stations montrent que l’évolution de la température des eaux souterraines en Suisse n’a pas été continue. En effet, la tendance générale se décompose souvent en une alternance régulière de périodes de quelques années à quelques décennies dominées par des valeurs supérieures ou inférieures à la moyenne pluriannuelle. De plus, l’évolution de la température des eaux souterraines peut être régulièrement marquée par des effets à court terme tels que la hausse soudaine à la fin des années 1980, due à la modification à grande échelle du régime climatique de l’hémisphère nord [14].
La station KLIGW de Neuhausen dans la vallée du Rhin illustre ces différents effets (fig. 7). L’évolution est d’abord caractérisée par une tendance à l’augmentation d’environ 0,3 °C/10 ans, calculée sur 58 ans. La température des eaux souterraines présente des fluctuations annuelles situées entre 8 °C et 14 °C pour la période de 1954 à 1976, suivie par une hausse des valeurs minimales au printemps pendant 4 ans. Dès 1988, les moyennes mensuelles sont supérieures aux moyennes mensuelles pluriannuelles pour la période de 1954 à 2011.

Effets anthropiques

Impacts directs

Les constructions et infrastructures situées dans le bassin d’alimentation, ainsi que les propriétés de la station de mesure, peuvent avoir un effet direct sur la température des eaux souterraines. Les zones urbanisées comportent un nombre accru d’ouvrages souterrains générant de la chaleur qui peut se diffuser dans l’aquifère. Dans la région de Bâle par exemple, la température des eaux souterraines peut atteindre des valeurs qui excèdent de 9 °C celles mesurée à l’état naturel [18]. D’autres activités en milieu urbain, notamment l’exploitation géothermique, consistant à prélever de la chaleur, peuvent avoir l’effet inverse et exercer un effet de baisse sur la température des eaux souterraines.
Dans la présente étude, seule une station de mesure sur les 29 stations caractérisées par une tendance à l’augmentation ou à la forte augmentation de la température des eaux souterraines présente un impact anthropique direct clairement identifié. Sur les 6 stations enregistrant une tendance à la diminution, 5 sont considérées comme influencées par des infrastructures géothermiques. D’ailleurs, plusieurs études suisses, notamment des cantons d’Argovie [19], du Valais [20], de Zoug [21] ainsi que de l’Université de Bâle [22, 23], ont déjà porté sur ce phénomène dans les eaux souterraines.
Les modèles qui associent des paramètres hydrogéologiques et thermiques représentent la variation spatiale et temporelle de la température dans un aquifère permettant d’estimer l’impact direct des activités anthropiques. Le canton de Zurich, par exemple, se base sur un de ces modèles pour évaluer les demandes relatives à l’installation de sondes géothermiques dans la vallée alluviale de la Limmat [24]. Ce modèle permet de vérifier si, dans un milieu urbain tel que la ville de Zurich, les éventuelles installations risquent de provoquer le dépassement de la limite de 3 °C fixée dans l’OEaux. À Bâle, de tels modèles sont également utilisés [23].

Impacts indirects

Les effets liés aux changements climatiques peuvent générer un impact anthropique indirect sur la température des eaux souterraines. En effet, de 2000 à 2016, la moyenne annuelle des principales stations de mesure suisses montre une tendance moyenne à la hausse de 0,16 °C/10 ans pour la température de l’air et de 0,13 °C/10 ans pour celle des cours d’eau [25], avec de légères variations d’un site à l’autre. Étant donné que la température des eaux souterraines proches de la surface est en général corrélée à la température de l’air (fig. 4a), il est probable que ces évolutions se répercuteront également sur la température des eaux souterraines.
Dans la présente étude, les valeurs de 19 stations sur les 29 présentant une tendance à l’augmentation ou à la forte augmentation sont considérées comme influencées par une hausse de la température de l’air. En revanche, l’augmentation de la température de l’air favorise la fonte des glaciers et l’infiltration d’eau froide dans les aquifères ayant un régime nivo-glaciaire. Durant les prochaines décennies, cela peut exercer un effet à la baisse sur la température des eaux souterraines. De façon similaire, un changement dans la distribution temporelle des précipitations tout au long de l’année peut avoir une influence sur la température de l’eau de recharge.
La température des eaux souterraines le long des cours d’eau suit, de manière atténuée et décalée dans le temps, les variations de la température des eaux de surface. Les résultats du Programme national de recherche «Gestion durable de l’eau» (PNR 61) montrent que la température des eaux souterraines d’aquifères alimentés par les cours d’eau subira de manière accentuée les effets des changements climatiques [6]. Cette hypothèse est illustrée par la figure 8, qui affiche une augmentation de 0,4 °C/10 ans pour la température des eaux souterraines à la station NTG19, située dans les graviers de la vallée du Rhin, et pour celle du fleuve. L’aquifère étant connecté au Rhin, le niveau et la température de l’eau souterraine suivent ceux du fleuve.

Conclusions

Les données acquises dans le cadre de l’Observation nationale des eaux souterraines NAQUA ont permis d’élaborer un premier aperçu de l’état et de l’évolution de la température des eaux souterraines en Suisse. Des analyses des moyennes pluriannuelles et des tendances sur une période de 17 ans, complétées par de longues séries de données historiques, permettent d’illustrer les facteurs impliqués et de représenter la situation à l’échelle nationale. Il est cependant difficile, sur la base des données disponibles, de distinguer précisément les rôles des processus influençant la température des eaux souterraines.
La température moyenne pluriannuelle des eaux souterraines proches de la surface est avant tout influencée par l’altitude. Déterminée par la moyenne annuelle de la température de l’air dans le bassin d’alimentation, la température moyenne des eaux souterraines observée en Suisse se situe entre 5 °C et 15 °C, avec des amplitudes allant jusqu’à 11 °C selon la station.
Pour l’heure, une hausse généralisée de la température des eaux souterraines reflétant l’évolution de la température de l’air et les résultats des modèles climatiques [26], n’est pas constatée. Toutefois, presque la moitié des stations indiquent une augmentation significative de la température (supérieure à 0,2 °C/10 ans), alors que seul un faible pourcentage de celles-ci présentent une tendance à la diminution significative. Une hausse de la température des eaux souterraines est observée pour des stations dans tous les types d’aquifères et peut être attribuée aux impacts anthropiques directs et indirects, à savoir à l’urbanisation et aux changements climatiques. Une diminution de la température des eaux souterraines est observée uniquement dans les aquifères en roche meuble et peut être attribuée à l’utilisation des eaux souterraines pour l’extraction de chaleur destinée au chauffage des bâtiments ou à un décalage de la période principale de recharge des aquifères vers une saison plus froide.
Sur la base de ces résultats, l’état général de la température des eaux souterraines ne doit pas inspirer de craintes particulières. Des hausses de température significatives pouvant entraîner la détérioration de la qualité de l’eau n’ont pas été observées de manière continue. Elles ont cependant été enregistrées de manière temporaire et locale, notamment dans les zones urbanisées. De plus, lors de l’été caniculaire de 2003 par exemple, les températures élevées des eaux souterraines ont, dans certains aquifères, créé des conditions anoxiques, qui se caractérisent par une absence d’oxygène dissous [2]. Quant aux impacts directs dans les zones urbanisées, la présente étude ne permet pas une évaluation de la situation par rapport au critère des 3 °C fixé dans les bases légales en raison du faible nombre de stations disponibles.
Les données actuellement disponibles à l’échelle nationale ne permettent pas non plus d’obtenir une image représentative de l’état et de l’évolution de la température des eaux souterraines pour l’ensemble de la Suisse. À ce stade, il est indispensable de continuer le monitoring de la température des eaux souterraines afin d’accroître la couverture temporelle des mesures. En effet, des séries de longue durée, comme celles de certaines stations KLIGW [9], sont plus robustes par rapport aux valeurs extrêmes survenant au cours d’une année et au cours de cycles pluriannuels. Ces variations agissent sur les eaux souterraines avec des successions de périodes de température plus ou moins élevées et influencent ainsi fortement les statistiques de séries de courte durée [27]. De plus, les techniques de mesure utilisées doivent être améliorées en augmentant la résolution et la précision des instruments. Enfin, un nombre de stations de mesure cantonales et fédérales toujours plus élevées doivent à l’avenir pouvoir livrer des séries suffisamment longues afin d’affiner les connaissances sur l’état et l’évolution de la température des eaux souterraines et de mieux valider les hypothèses émises dans la présente étude.

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