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Article technique
03. janvier 2023

Interview avec Florence Dapples

«Des défis majeurs façonnent l’épuration des eaux du Canton de Vaud»

Grâce au développement quasi généralisé des STEP, qui a pris son essor il y a une soixantaine d’années, la qualité des eaux en Suisse s’est fortement améliorée au cours des dernières décennies. Les défis en matière d’épuration des eaux usées consistent désormais à améliorer le système d’épuration des eaux usées et à maintenir un niveau élevé à long terme. Actuellement, c'est surtout l’élimination des micropolluants et de l’azote qui est au centre des préoccupations. Florence Dapples, cheffe de la division Protection des eaux du canton de Vaud, décrit la situation actuelle de l’épuration des eaux dans le canton et présente la voie à suivre.
Margarete Bucheli 

Actuellement, de manière générale, comment se caractérise l’épuration des eaux usées dans le canton de Vaud?

Le canton de Vaud présente une particularité: il existe un grand nombre de stations d’épuration des eaux usées, 152 au total. A titre de comparaison, il y a environ 760 stations d’épuration en Suisse. Cela s’explique par des raisons historiques. Dans les années 1970 et 1980, presque chaque village, chaque commune a construit sa propre STEP, les subventions fédérales et cantonales jouant un rôle important. Une approche régionale ne faisait donc pas partie des réflexions à l’époque. En résumé, il existe un grand parc de STEP, surtout de petites STEP, éparpillées dans tout le canton. En outre, les STEP ont aujourd’hui un âge moyen de plus de 40 ans.
Pendant 30 ou 40 ans, le traitement des eaux usées dans le canton de Vaud a été d’un bon niveau, mais aujourd’hui, les problèmes se manifestent: les STEP ont été construites à des périodes où les exigences fédérales étaient différentes. De plus, la population a considérablement augmenté entre-temps. Ainsi, il existe actuellement de nombreuses STEP dans le canton qui ne respectent pas les normes en vigueur. De nombreuses STEP sont désormais trop petites. En plus des problèmes techniques, il existe également un problème de gestion et de surveillance en raison du manque de personnel qualifié, en particulier dans les petites communes.

Si l’on regarde de plus près: qu’est-ce que cela signifie à l’heure actuelle pour l’épuration des eaux usées en termes de nutriments?

Beaucoup de STEP du canton de Vaud sont vieilles. Les premières STEP construites ne traitent quasiment que le carbone. Plus tard, le traitement du phosphore est venu s’y ajouter. Seules quelques STEP construites dans les années 1980 ont commencé à traiter également l’azote. En effet, en raison de l'historique de construction, il existe de nombreuses STEP, dont certaines de grande taille comme celle de Lausanne, qui a aujourd’hui environ 60 ans, qui ne traitent que le carbone et le phosphore. Cette dernière est par ailleurs en cours de travaux de modernisation.

... et en termes de micropolluants?

Toutes les STEP reçoivent des micropolluants. Pour le moment, sans étapes d’élimination des micropolluants, il n’y a qu’une réduction limitée de certains micropolluants qui sont biodégradables. Mais pour cela, il faut un bon processus de traitement en biologie en ce qui concerne l’azote. C’est pourquoi seules les STEP les plus récentes ont la capacité de réduire un tout petit peu les micropolluants. A l’heure actuelle, il n’y a qu’une seule STEP dans le canton qui dispose d’une étape de traitement pour éliminer les micropolluants, la STEP de Penthaz, répondant aux exigences fédérales. Avant l’intégration de l’étape d’élimination des micropolluants, l’ensemble de la STEP a été remise à neuf.

«Il existe un grand parc de STEP, surtout de petites STEP, éparpillées dans tout le canton. Les STEP ont aujourd’hui un âge moyen de plus de 40 ans.»

Quels sont donc les défis que le canton doit relever dans le domaine des eaux usées ces prochaines années?

Les défis sont énormes: en bref, nous devons passer à STEP 2.0 et repenser l’épuration des eaux usées dans le canton de Vaud. Deux aspects sont au centre de cette démarche: d’une part, la planification cantonale basée sur les exigences fédérales relatives au traitement des micropolluants et, d’autre part, la volonté de réduire le nombre de STEP en les regroupant.

Comment se présente la planification cantonale concernant l’épuration des eaux usées et quelles mesures y sont prévues?

Le canton a élaboré et publié en 2016 un «Plan Cantonal Micropolluants» basé sur les exigences formulées par l’OFEV. La réflexion ne s’est pas limitée à la mise en place de traitements complémentaires, mais a porté sur l’ensemble de la problématique de l’épuration, en particulier le renouvellement d’un parc de STEP vieillissant et l’amélioration générale de la qualité de traitement par des mesures de régionalisation. La planification prévoit 16 grandes STEP avec un niveau de traitement élevé, incluant l’élimination des micropolluants. Les STEP de petite et moyenne taille situées à proximité seront, dans la mesure du possible, raccordées à ces 16 pôles. De cette manière, plus de 50 des 152 STEP actuelles devraient disparaître. Des raisons financières plaident également en faveur de ce regroupement. L’assainissement nécessaire de toutes les STEP cantonales coûterait beaucoup plus cher par habitant que la construction d’infrastructures de raccordement et l’assainissement et l’extension des 16 pôles. Des économies d’échelle sont en effet démontrées avec le regroupement de l’épuration.

Comment les différents projets, notamment ceux de la régionalisation, sont-ils encouragés et soutenus?

Pour lancer un projet de cette envergure, il faut d’une part une incitation politique et d’autre part un soutien financier. Depuis une dizaine d’années, nous sommes en train de créer, au niveau du canton, une dynamique de réflexion politique autour de ces 16 pôles régionaux, afin que les communes se mettent ensembles. Pour cela, nous sommes allés dans chacune des 16 régions, nous avons lancé des discussions, suscité et financé des études de faisabilité. Cette phase de démarrage, déclenchée et suivie de près par le canton, a été suivie d’une phase d’autonomie accrue des communes pour concrétiser les regroupements politiques et le démarrage des phases de projet de construction.
Pour soutenir financièrement la démarche, il existe à la fois des subventions fédérales pour les infrastructures de traitement des micropolluants et des subventions cantonales. Nous avons actuellement un premier crédit-cadre cantonal de 80 millions de francs pour accompagner la régionalisation. Il y a deux objets que nous pouvons subventionner à hauteur de 35 pour cent chacun: premièrement les tuyaux, c’est-à-dire les raccordements, et deuxièmement le renforcement du traitement biologique, qui est la base de l’élimination des micropolluants.

 

Comment peut-on résumer le concept du traitement des eaux usées dans les STEP vaudoises à l’avenir?

Les 16 grandes STEP régionales seront dotées d’un équipement tout à fait moderne et présenteront donc un niveau d’épuration élevé, non seulement en ce qui concerne les micropolluants, mais aussi le carbone, l’azote et le phosphore. Ainsi, 90% de la population vaudoise pourra bénéficier d’une épuration remise à neuf et à l’état de la technique avec un rapport coût-­efficacité optimal. Avec les 16 pôles, nous parviendrons certes à couvrir toutes les villes et les grandes communes, mais il restera toujours des villages dans les zones rurales, pour lesquels le raccordement est trop compliqué. Peut-être que de petits regroupements de deux ou trois STEP seront possibles ici et là. Quoi qu’il en soit, ce parc de STEP non raccordables doit également être renouvelé et mis en conformité avec les exigences actuelles. Globalement, nous espérons que dans les 15 à 20 prochaines années, toutes les STEP du canton auront été soit abandonnées, car raccordées à une autre STEP, soit renouvelées.

Quels progrès ont déjà été réalisés dans les principaux projets d’épuration dans le canton?

Comme mentionné précédemment, la STEP de Penthaz est la première STEP du canton à avoir été rénovée et à disposer d’une étape de traitement des micropolluants (depuis 2018). Une autre STEP, celle de Commugny, a été rénovée il y a six ans, mais elle attend toujours de remplir le critère de 24'000 habitants pour pouvoir commencer la construction de l’étape de traitement des micropolluants. De plus, il y a quelques projets en cours de construction, dont la STEP de Lausanne, la plus grande STEP du canton, et la STEP d’Yverdon-les-Bains.
Dans les autres pôles, il y a deux niveaux de dynamique différents. D’une part, il y a les régions où les communes sont déjà bien structurées entre elles, c’est-à-dire que la structure intercommunale est en place. C’est là que les projets techniques doivent maintenant être lancés. D’autre part, il y a les régions où la structuration politique entre les communes doit encore être trouvée.

«Globalement, nous espérons que dans les 15 à 20 prochaines années, toutes les STEP du canton auront été soit abandonnées, car raccordées à une autre STEP, soit renouvelées.»

Si des mesures sont prises, il faut également définir des indicateurs et des instruments de suivi afin de vérifier l’effet des mesures. Qu’est-ce qui a été mis en place à cet égard dans le canton de Vaud?

Dans tous les cas, les STEP qui éliminent les micropolluants doivent satisfaire aux exigences fédérales d’un taux d’élimination moyen d’au moins 80%, calculé sur la base de 12 substances. La STEP de Penthaz remplit très bien cette exigence avec un abattement de 85 à 90% des micropolluants. Pour les eaux réceptrices, nous n’avons pas encore défini d’indicateurs. Nous essayons toutefois d’obtenir des indications par le biais d’analyses de la qualité biologique des cours d’eau. Globalement, nous en sommes encore à la phase de définition d’un concept de surveillance approprié.

Des effets positifs des mesures mises en œuvre ont-ils pu être observés?

Dans le bassin versant de la Venoge, la STEP de Penthaz réduit très efficacement les micropolluants depuis 2018. Plus en aval, dans l’agglomération lausannoise, se trouvait la STEP de Bussigny, qui a été supprimée complètement en 2020 et raccordée à la STEP de Lausanne, comme prévu dans le plan cantonal sur les micropolluants. A la suite de ces deux mesures, les charges en micropolluants arrivant dans la Venoge ont nettement diminué. Des effets positifs peuvent également être observés à la station de mesure NAWA, située en aval de Bussigny sur la Venoge. Par exemple, la concentration de diclofénac, une substance hautement écotoxique, a nettement diminué et la faible valeur requise par l’OEaux de 0,05 μg/l est respectée, contrairement à ce qui se passait auparavant, où les dépassements étaient fréquents.

Les exigences en matière de traitement par les stations d’épuration vont dans le sens d’un renforcement – mots clés: entrée en vigueur d’un critère supplémentaire pour l’élimination des micropolluants en 2028 ainsi que deux motions visant à ré­duire les apports d’azote par les STEP et à éliminer les micropolluants dans toujours plus de STEP. Est-ce que la planification cantonale en tient compte?

Dans le monde des STEP, les adaptations rapides sont généralement impossibles. Comme je l’ai déjà mentionné, deux grandes STEP du canton sont actuellement en phase de transformation. Il est fort possible que peu après leur mise en service, elles ne répondent déjà plus aux nouvelles exigences formulées dans l’OEaux suite aux motions, tout simplement parce que la planification et la construction ont eu lieu à un moment où ces exigences n’étaient pas encore connues. Il est donc essentiel d’accorder des délais d’adaptation suffisamment longs au niveau de l’OEaux. Actuellement, nous ne pouvons pas fixer d’exigences élevées en matière de traitement de l’azote – les bases légales manquent encore –, mais nous essayons de sensibiliser les STEP qui planifient actuellement une rénovation, afin qu’elles prévoient une chaîne de traitement qui intègre également une élimination renforcée de l’azote. En ce qui concerne les micropolluants, nous devrons certainement adapter la planification cantonale de 2016. Mais pour l’instant, nous attendons de voir comment les nouvelles exigences de traitement seront définies dans la législation sur la protection des eaux.

A la personne

Après des études et un doctorat en géologie à l’Université de Fribourg, Florence Dapples a travaillé pendant quelques années pour le Comité International de la Croix Rouge (CICR) dans le cadre des programmes Eau et Habitat, d’abord dans différents pays d’Afrique et d’Asie, puis à Genève. Depuis 2014, Florence Dapples travaille pour le canton de Vaud à la Direction générale de l’environnement (DGE) et depuis 2017, elle est cheffe de la division Protection des eaux.

Pour en savoir plus

Vous trouverez ici des informations sur les STEP ainsi que sur la planification de l’épuration des eaux usées du canton de Vaud.

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