Plateforme pour l’eau, le gaz et la chaleur
Article technique
12. juillet 2021

Cytometrie de flux en ligne

Appréciation de l'efficacité de la filtration et de la désinfection par cytométrie de flux en ligne

Des essais de cytométrie en flux en ligne ont été effectués par le Service de l’Eau de Lausanne sur deux de ses sites de production d’eau potable entre janvier et août 2019. Ils ont été opérés dans l’optique d’évaluer l’impact des différentes étapes de potabilisation sur la bactériologie, et notamment des étapes de filtration et de désinfection, mais aussi de contrôler la convergence des résultats issus du BactoSense avec ceux obtenus en laboratoire. Cette mesure en ligne permettrait notamment de diminuer les délais requis aujourd’hui entre le prélèvement sur site et l’obtention des mesures en laboratoire et d’optimiser le suivi qualitatif de l’eau produite.
Alexandra Hauret, Christophe Mechouk, Fereidoun Khajehnouri, Archjana Chandramohan Elangko, Jérémy  Senouillet, Simon  Künzi, Luigino Grasso, 

Le Service de l’Eau de la Ville de Lausanne alimente environ 380'000 usagers en eau potable par l’intermédiaire de quatre usines de production, que sont celles de Saint-Sulpice, Lutry, Bret et Sonzier (respectivement 1 m3/s, 0,8 m3/s, 0,25 m3/s et 0,25 m3/s) auxquelles s’ajoute le prélèvement sur 120 sources de la région. Le Service de l’Eau de Lausanne assure la conformité de l’eau distribuée via un suivi régulier par laboratoire des paramètres physico-chimiques, microbiologiques et en micropolluants. Par ailleurs, un suivi en ligne de la qualité de l’eau est opéré sur les stations de production afin de contrôler en tout temps les paramètres chimiques principaux. La qualité biologique n’est pas directement suivie sur les sites de production. Le suivi de la mesure de chlore (libre et total) permet de mettre en évidence certaines évolutions de la qualité de l’eau traitée. Cette méthode de suivi indirect ne permet néanmoins pas de qualifier les éventuels évènements observés. En cas de doute sur la qualité de l’eau traitée, une analyse de contrôle en laboratoire est effectuée et la production est interrompue dans l’attente de l’obtention des résultats. Le délai minimal entre l’échantillonnage et la communication des résultats est de 24 à 72 heures en fonction du type d’analyse microbiologique.

Au cours des dernières années, l’utilisation de la cytométrie en flux s’est largement répandue dans l’industrie de l’eau. Cette technique permet de dénombrer le nombre de bactéries présentes dans l’eau en quelques minutes seulement et donc de délivrer des résultats plus rapidement qu’avec les méthodes classiques de culture bactérienne. Le Service de l’Eau de la Ville de Lausanne, a testé un appareil de cytométrie en flux automatique [1]: le BactoSense, capable de surveiller en ligne et en temps quasi-réel la charge microbienne présente dans l’eau (fig. 1). Ces mesures ont permis de s’affranchir des suivis indirects de la qualité microbiologique par la mesure de chlore, qui de surcroît pourrait ne plus être mesurable dans le cas de l’application d’un réseau sans chlore, tout comme il est aujourd’hui d’usage à Zurich par exemple [2, 3]. De ce fait, les mesures en ligne offrent l’avantage d’écourter les temps de latence et d’optimiser le suivi des eaux et l’appréhension des évènements de variation de la microbiologie [4, 5]. Ces essais, réalisés entre les mois de janvier à août 2019 sur les usines de production d’eau potable de Saint-Sulpice et de Lutry [1], ont eu pour vocation de:

  • mesurer l’activitĂ© biologique de l’eau en ligne et en direct sans suivi des concentrations de chlore (libre et total),
  • Ă©tablir la cohĂ©rence et l’exactitude des mesures en ligne en comparaison avec la mĂ©thode de cytomĂ©trie standard employĂ©e en laboratoire, et
  • apprĂ©cier l’influence des diverses phases de traitement sur la microbiologie de l’eau: incidence de la filtration selon les seuils de coupure et de la dĂ©sinfection finale Ă  la javel ou de façon mĂ©canique par ultrafiltration.

Matériels et méthodes

Les campagnes de mesures ont été effectuées sur les appareils de mesure de la cytométrie en flux en laboratoire, en parallèle des mesures relevées sur les appareils de mesure en ligne de type BactoSense afin de comparer les deux types de mesure et leur précision.

Principe général de la cytométrie en flux

La cytométrie en flux permet d’analyser les particules présentes en suspension dans l’eau. Les particules, en particulier les bactéries, peuvent ainsi être dénombrées et caractérisées. Pour ce faire, l’échantillon d’eau est passé dans un très fin capillaire en verre, dans lequel il est excité par une source lumineuse, généralement un laser. Les cellules analysées peuvent être auto-fluorescentes (grâce à certains types de pigments, chlorophylliens par exemple) ou bien être préalablement colorées par un marqueur fluorescent. En passant devant le laser, une par une, les particules vont ainsi être détectées et émettre une série de signaux permettant d’étudier différents paramètres les caractérisant (fig. 2). Des détecteurs vont ensuite collecter les signaux émis par chaque élément afin de pouvoir par exemple déterminer la concentration de particules, certaines de leur propriétés structurelles, fonctionnelles, ou encore leur taille, en fonction du type de marqueurs utilisés (marquage de l’ADN, anticorps fluorescents, activité enzymatique, etc.). Finalement toutes les données sont traitées informatiquement afin de générer automatiquement les résultats correspondants.

Cette technique a été développée dans les années 1970 et est rapidement devenue une méthode d’analyse de routine pour les cellules sanguines et le diagnostic en hématologie. Bien que coûteuse et dédiée uniquement aux spécialistes à ses débuts, la cytométrie en flux s’est constamment améliorée et développée au fil des années pour conquérir de nouvelles applications, tout en devenant de plus en plus performante. À partir des années 1990 et l’arrivée sur le marché de nouveaux marqueurs fluorescents, cette technique a pu se démocratiser totalement, et notamment en microbiologie. Jusqu’à présent, la cytométrie n’a néanmoins pas encore su franchir le pas du domaine industriel et reste majoritairement utilisée dans les laboratoires. Le BactoSense s’inscrit donc dans cette démarche, en prolongeant le champ d’application de la cytométrie en flux jusqu’en milieu industriel, et en s’affranchissant des contraintes des appareils de laboratoire.

L’appareil BactoSense
Descriptif de l’appareil

Le BactoSense est un instrument d’analyse développé pour mesurer en continu la concentration des bactéries dans l’eau. Cet outil emploie la technologie de cytométrie en flux industrielle créée par bNovate Technologies qui permet une utilisation sur le terrain, dans l’industrie, sans avoir besoin de spécialiste de laboratoire. bNovate a pensé le BactoSense pour répondre aux besoins industriels, qui nécessitent généralement une solution automatisée, fiable, robuste, simple d’utilisation et avec une maintenance la moins contraignante possible. L’instrument permet de reproduire le protocole complet d’une analyse de laboratoire, en englobant les multiples étapes devant être répétées manuellement avec un cytomètre classique. Ainsi, la prise d’échantillon, le marquage microbiologique, l’incubation, l’analyse, le nettoyage et la gestion des déchets sont traités entièrement et automatiquement par le BactoSense.

Grâce à un système de cartouche rechargeable qui contient tous les produits chimiques nécessaires à son fonctionne­ment, le BactoSense peut assurer une autonomie allant jusqu’à 1000 analyses d’eau. Les analyses peuvent ainsi être programmées selon un intervalle s’échelonnant de 30 minutes à 6 heures. Il est seulement nécessaire d’intervenir pour charger une cartouche pleine une fois les 1000 mesures effectuées ou lors d’une maintenance annuelle. Le reste du temps, l’appareil fonctionne en totale autonomie. Les résultats générés peuvent aussi bien être collectés sur le terrain qu’à distance suivant le mode de connexion choisi (ethernet, ModBus, USB, router 4G, sorties 4–20 mA, etc.). L’utilisation de l’interface web permet de consulter les résultats directement depuis un ordinateur ou un smartphone.

Le principe de mesure est identique aux cytomètres de laboratoires. On retrouve une première étape avec la prise d’échantillon, qui est ensuite mélangé avec les marqueurs fluorescents. Après une période d’incubation, l’échantillon ainsi coloré passe devant un module optique qui utilise un laser 488 nm, chargé d’illuminer les bactéries présentes dans l’échantillon (fig. 3). Au fur et à mesure de l’analyse, les signaux fluorescents émis par chaque bactérie sont récoltés par les détecteurs optiques et traités par l’ordinateur embarqué. Enfin, une série de nettoyages est enclenchée afin de prévenir toute contamination croisée du système.

Les résultats sont immédiatement générés à la suite de l’analyse, donc environ 20 minutes après le prélèvement de l’échantillon. Ils se présentent sous deux niveaux de détails: le premier affiche la concentration en bactéries par millilitre d’eau ainsi que le ratio entre les bactéries contenant peu d’ADN (LNA pour Low Nucleic Acid) et celles ayant une grande quantité d’ADN (HNA pour High Nucleic Acid); le deuxième niveau affiche des graphiques en deux dimensions, en nuage de points ou en histogramme, représentant la répartition des bactéries selon les différents signaux de fluorescence récoltés. On peut ainsi directement évaluer le contenu bactérien de l’eau et aisément visualiser les différentes populations de bactéries mesurées ainsi que les débris organiques ou inorganiques. Suivant le modèle de cartouche utilisée, il est également possible de différencier les bactéries intactes (vivantes) des bactéries endommagées (mortes).

Interprétation des résultats

La figure 4 présente un exemple de résultat obtenu avec un BactoSense équipé d’une cartouche ICC (Intact Cell Count), qui permet de différencier les cellules vivantes des mortes. Le champ en bas à gauche affiche les données principales mesurées:

  • TCC (Total Cell Count) [/ml]: le nombre total de bactĂ©ries prĂ©sentes dans l’échantillon mesurĂ©, par millilitre
  • HNAP [%]: le pourcentage de bactĂ©ries HNA (haute densitĂ© d’ADN)
  • ICC [/ml]: le nombre de bactĂ©ries vivantes prĂ©sentes dans l’échantillon mesurĂ©, par millilitre
  • DCC (Damaged Cell Count) [/ml]: le nombre de bactĂ©ries mortes prĂ©sentes dans l’échantillon mesurĂ©, par millilitre

Dans la figure 4 le graphique en haut à gauche représente un nuage de points qui contient le bruit de fond de l’appareil ainsi que les bactéries intactes (ICC) et endommagées (DCC). L’axe FL1 représente la fluorescence verte (535 nm), qui est proportionnelle à la quantité de molécule de fluorophore vert fixée sur l’ADN. Cette coloration s’attache aussi bien sur les bactéries intactes que sur celles endommagées. L’axe FL2 représente la fluorescence rouge (715 nm), qui est proportionnelle à la quantité de molécule de fluorophore rouge fixée sur l’ADN. Ce marquage se fixe uniquement sur les bactéries endommagées. On voit donc que les bactéries endommagées sont doublement colorées, en vert et en rouge, ce qui permet de les distinguer des bactéries intactes qui sont simplement colorées en vert. Ce double marquage sélectif se base sur les propriétés membranaires des cellules, qui lorsqu’elles sont intactes, sont perméables à certaines molécules et imperméables à d’autres. À l’inverse, lorsqu’une bactérie meurt, sa membrane se fragilise et présente une porosité augmentée, ce qui autorise la pénétration de molécules précédemment refoulées.

Enfin, il convient de noter que chaque point dans les différentes fenêtres de mesures (ICC et DCC) représente une bactérie selon ses propriétés de fluorescences. Le code couleur intervient pour révéler la densité des différentes populations de bactéries: plus la couleur est chaude, plus la densité est élevée et inversement. Une seule bactérie sera donc affichée en bleu, tandis que des dizaines, centaines, ou milliers de bactéries superposées apparaîtront en vert, jaune et rouge respectivement. Ce graphique permet de suivre les évolutions de la répartition des densités de bactéries, par exemple à la suite d’un changement environnemental ou dans le procédé de traitement de l’eau, ou encore suite à une évolution générale de la qualité de la ressource [6]. La combinaison des paramètres ICC/ml, DCC/ml et HNAP permet un suivi très fin de la microbiologie de l’eau ce qui facilite la détection précoce de tout changement.

Dans la figure 4 le graphique en haut à droite reprend les mêmes bases de visualisation mais affiche cette fois le SSC (Side Scatter) à la place de l’axe FL2. Le SSC est la lumière du laser 488 nm qui a été déviée à 90° par la bactérie mesurée. Le paramètre SSC donne une indication sur la granulosité de la bactérie ainsi qu’une estimation de sa taille. Ce graphique en nuage de points permet donc de représenter la densité d’ADN des bactéries en fonction de leur taille/granulosité. Il permet par exemple de distinguer des types de cellules différents comme des algues ou des levures, d’identifier une population de bactéries particulière, ou encore de visualiser des débris. Le graphique en bas à droite (fig. 4) représente les données FL1 du graphique FL1/SSC mais sous forme d’histogramme. On obtient ainsi une visualisation de la répartition des bactéries par intensité FL1, ce qui permet d’ajuster les fenêtres de mesures (matérialisées par les encadrements rouges sur le graphique FL1/FL2) et la limite entre HNA et LNA (matérialisée par une ligne verticale rouge sur les trois graphiques de la fig. 4).

Les eaux analysées

Deux cytomètres de flux en ligne BactoSense ont été mis à disposition et installés par bNovate sur les usines de Saint-Sulpice, puis de Lutry. Ceci dans l’optique de procéder au suivi des eaux brutes et traitées en parallèle. Ces deux usines de production prélèvent leur ressource dans le lac Léman. Les eaux analysées lors des campagnes de mesures de cytométrie en flux sont les suivantes:

  • Eau brute de Saint-Sulpice (EB SSP)
  • Eau traitĂ©e de Saint-Sulpice, après filtration sur sable et avant dĂ©sinfection finale Ă  la javel (ET SSP)
  • Eau traitĂ©e de Saint-Sulpice, après filtration sur sable et dĂ©sinfection finale Ă  la javel (ET SSP Cl2)
  • Filière pilote d’ultrafiltration (UF) exploitĂ© avec rĂ©trolavages non chlorĂ©s et sans dĂ©sinfection finale Ă  Saint-Sulpice (UF SSP)
  • Filière pilote UF exploitĂ© avec rĂ©trolavages chlorĂ©s et sans dĂ©sinfection finale Ă  Saint-Sulpice (UF SSP Cl2)
  • Pilote UF membrane non intègre Ă  Saint-Sulpice (UFNI)
  • Eau brute de Lutry après injection de charbon actif en poudre (CAP), di­rectement dans les puits d’eau brute (EB LTY)
  • Eau traitĂ©e de Lutry, après ultrafiltration (avec rĂ©trolavages chlorĂ©s) et avant dĂ©sinfection finale Ă  la javel (ET LTY)
  • Eau traitĂ©e de Lutry, après ultrafiltration (avec rĂ©trolavages chlorĂ©s) et dĂ©s­infection finale Ă  la javel (ET LTY Cl2).

Les mesures sur le BactoSense ont été relevées à une fréquence d’une fois toutes les trente minutes, ce qui équivaut à un changement de cartouche toutes les trois semaines. Les échantillonnages pour les mesures en laboratoire ont été effectués une fois par semaine.

L’usine de production d’eau potable de Saint-Sulpice

La station de pompage des eaux de Saint-Sulpice a été mise en service en 1971 et alimente, depuis, largement la région Ouest lausannoise. Sa filière repose sur la chloration d’une eau filtrée sur sable et permet une production jusqu’à 1 m3/s. Des essais pilote ont été menés sur une membrane Inge® de type multibore® de 8 m2 en polyethersulfone (PES), sur les eaux brutes de l’usine après préfiltration à 130 µm. La membrane a été exploitée avec des rétrolavages chlorés (UF SSP Cl2) et non chlorés (UF SSP) pour visualisation de l’action du chlore sur deux campagnes de sept à dix jours chacune avec mise en parallèle systématique de l’eau brute. La première campagne a donné lieu à un défaut d’injection de chlore. L’essai a donc été réitéré quelques semaines après, dans de bonnes conditions d’opération. Dans un second temps, une des fibres de la membrane a été percée manuellement. Cette dégradation a permis la réalisation des essais sur la membrane non intègre (UFNI).

L’usine de production d’eau potable de Lutry

L’usine de production de Lutry assure, depuis 2000, le traitement de l’eau du lac Léman par ultrafiltration (process avec rétrolavages chlorés) d’une eau mise en contact avec du CAP. Une désinfection finale à la javel est effectuée après filtration pour assurer la stabilité biologique de l’eau dans le réseau de distribution jusqu’au consommateur. L’usine est équipée à ce jour pour produire 0,8 m3/s. L’étape d’ultrafiltration est effectuée sur des membranes en PES et en acétate de cellulose de 64 m2 (actuellement en cours de remplacement par des membranes en PES).

RĂ©sultats

Les deux figures 5 et 6 exposent le nombre de cellules intactes et totales quantifiées au fil des campagnes de mesures sur les eaux brutes et traitées des usines de Saint-Sulpice et Lutry. Les figures 7a à 7f affichent, pour les différentes eaux analysées, les profils types générés par le BactoSense (comme développé en partie «Interprétation des résultats»).

Nombre de cellules totales
Eaux brutes

Les profils de résultats des eaux brutes des usines de traitement de Saint-Sulpice (EB SSP) et Lutry (EB LTY) sont très ressemblants, avec un nombre de cellules totales fluctuant entre 600'000 et 2 millions de cellules selon les influences du milieu (fig. 5 et fig. 7a et 7b).

Filtration sur sable et désinfection finale

Après filtration sur sable à Saint-Sulpice, avec (ET SSP Cl2) et sans (ET SSP) désinfection finale à la javel, les cellules totales sont éliminées de l’ordre de 20 à 30% par rapport à l’eau brute, avec moins de 1,4 millions de cellules détectées lors des campagnes d’essais. L’étape de javellisation n’a pas d’impact majeur observé sur le nombre de cellules totales (fig. 5 et fig. 7c et 7e).

Ultrafiltration

Après l’étape d’ultrafiltration, à Saint-Sulpice comme à Lutry, le nombre de cellules totales mesuré avec une membrane intègre est inférieur à 10'000–20'000 cellules par millilitre avec (UF SSP Cl2, ET LTY et ET LTY Cl2) ou sans (UF SSP) réalisation de rétrolavages chlorés (fig. 6 et fig. 7d et 7f). Ainsi, l’étape d’ultrafiltration a montré une efficacité sur l’élimination des cellules totales (mortes et vivantes) d’un facteur 1000 environ.
Les essais menés avec la membrane non intègre à Saint-Sulpice (UFNI) ont permis de quantifier trois fois plus de cellules totales environ que sur une membrane ne présentant aucun défaut d’intégrité. Une amélioration des résultats a été observée jour après jour (fig. 6).

Nombre de cellules intactes
Eaux brutes

Comme dans le cas des cellules totales, les profils de mesures sur les usines de Saint-Sulpice (EB SSP) et de Lutry (EB LTY) sont similaires. Les cellules intactes représentent environ 75% des cellules totales mesurées au cours des campagnes de mesures (fig. 5 et fig. 7a et 7b).

Filtration sur sable et désinfection finale

Dans le cas des cellules intactes, les profils de mesures générés par le BactoSense sur l’eau filtrée sur sable avant désinfection présentent une grande ressemblance avec ceux de l’eau brute (fig. 5 et fig. 7c).
L’élimination des cellules intactes est d’environ 20 à 40%, soit 400'000 à 1'000'000 de cellules quantifiées par millilitre après filtration sur sable, en amont de la désinfection finale (ET SSP). Cette dernière étape offre des abattements des cellules intactes de l’ordre du facteur 100 (ET SSP Cl2) par rapport à l’eau brute, avec moins de 20 000 cellules intactes quantifiées (fig. 5, fig. 6 et fig. 7c et 7e).

Ultrafiltration

Le traitement par ultrafiltration, avec et sans rétrolavages chlorés, a montré, sur les deux usines suivies, un nombre de cellules intactes quantifiées inférieur à 600 cellules par millilitre (fig. 6 et fig. 7d et 7f). L’étape d’ultrafiltration a fourni des rendements de rétention des cellules d’un facteur d’ordre 10 000 en ce qui concerne les cellules intactes.
Dans le cas de la membrane percée, les cellules intactes ont été dix fois plus nombreuses à passer la barrière membranaire sans y être retenues. Par ailleurs, la tendance est la même que pour les cellules totales avec une amélioration progressive de la rétention (fig. 6).

Comparaison des méthodes laboratoire et BactoSense

Les résultats issus des campagnes de mesures BactoSense et laboratoire ont montré en moyenne un écart de l’ordre de 14% pour les eaux brutes, 2% pour l’eau filtrée sur sable et 19% sur l’eau ultrafiltrée. Le coefficient de variation moyen étant de respectivement 17%, 2% et 48% (fig. 8). En outre, les valeurs indiquées par l’appareil de mesure en ligne sont en général plus élevées que celles mesurées manuellement en laboratoire. Les concentrations mesurées par l’appareil de mesure en ligne sont donc en adéquation avec celles du laboratoire, notamment en ce qui concerne les eaux brutes et traitées par filtre à sable. Les écarts de mesure entre les valeurs laboratoire et BactoSense sont toutefois plus conséquents dans le cas de l’eau traitée par ultrafiltration. Ces variations peuvent s’expliquer par la quantification de valeurs inférieures à cinq milliers de cellules totales par millilitre et à 600 cellules intactes par millilitre, et donc beaucoup plus faibles. Ces différences peuvent également se justifier par le décalage de quelques minutes (30 minutes maximum) entre les échantillonnages manuels et ceux du BactoSense, auquel s’ajoute le décalage de traitement entre ces échantillonnages et leur analyse (généralement plus long manuellement en laboratoire que sur l’appareil de mesure).

Discussions

Influence de la filtration

À Saint-Sulpice, la filtration sur sable induit une faible réduction des bactéries totales et intactes. Cette étape de filtration offre un support de développement bactérien permettant l’élimination biologique de certaines substances en son sein. Les filtres à sable peuvent stopper les particules de la taille d’un cheveu mais n’ont pas le rôle de rétention des cellules bactériennes. Un complément au traitement doit être apporté pour remplir ce rôle.

La filtration membranaire à Lutry permet une rétention physique des cellules intactes et totales (avec et sans process chloré). Cette technique de filtration est d’ailleurs reconnue comme étant une méthode de désinfection, puisqu’elle assure un abattement des micro-organismes de l’ordre de 4 à 6 log [7]. Par ailleurs, les essais ont montré que les cellules restantes, non retenues par l’ultrafiltration, bénéficient d’un contenu en ADN moins élevé (fig. 7d et 7f, en bas à droite).

Les essais menés sur la membrane UF non intègre sur le pilote à Saint-Sulpice ont montré une large augmentation du nombre de cellules mortes et vivantes non retenues, ainsi qu’une hausse de la taille moyenne de ces cellules. Cette augmentation a pu être mise en évidence après dégradation d’une membrane de 8 m2. Elle n’aurait peut-être pas été observée (selon l’ampleur de la dégradation) à l’échelle d’un bloc membranaire, en sachant notamment qu’une membrane industrielle fournit généralement une surface de filtration de 50 à 100 m2. Ainsi, un suivi en ligne de la cytométrie permettrait de déceler une anomalie majeure d’intégrité. En outre, l’amélioration des résultats après l’endommagement de la membrane a mis en évidence un colmatage progressif de la fibre percée.

Influence de la javel

Sur Saint-Sulpice, la désinfection finale à la javel constitue l’étape d’élimination des cellules vivantes, y compris les pathogènes. Elle n’a néanmoins pas permis l’élimination physique de ces dernières. Il faut toutefois prendre en compte le court temps de contact au point de prélèvement, l’appareil ayant été positionné à mi-parcours entre la désinfection à la javel et le pompage de l’eau traitée vers le réseau de distribution. En outre, il faut considérer que le temps de contact peut énormément fluctuer selon les débits de production appliqués, ce qui peut influencer la densité de population bactérienne quantifiée après désinfection (ET SSP Cl2). Ainsi, à la capacité maximale de production, le temps de contact est théoriquement d’environ 55 minutes, au niveau du point d’échantillonnage du BactoSense (ET SSP Cl2) et 102 minutes en sortie d’usine contre plusieurs heures à capacité minimale, et sans compter le temps de pompage et transit via le réseau de distribution et les réservoirs avant distribution chez le consommateur. Nous pouvons donc imaginer que l’intensité de la fluorescence mesurée sera réduite au fur et à mesure où le temps de contact augmente.

Les cellules ont été largement lysées par l’action de la javel lors de l’étape de désinfection finale, mais pas retenues physiquement. Ceci explique notamment qu’après filtration sur sable, le nombre de cellules totales reste équivalent avec et sans désinfection finale à la javel (fig. 5 et fig. 7c et 7e). En outre, les cellules ne sont pas instantanément dégradées. Un certain délai est nécessaire à la lyse puis à la libération du contenu cytologique dont l’ADN est un constituant. Ce dernier n’est pas toujours complètement détruit, et la concentration en javel injectée n’est peut-être pas suffisante à l’élimination totale de l’ADN. Ainsi, les marqueurs émis par l’ADN vont faciliter son suivi même après l’ajout de javel [8].

À Lutry, après ultrafiltration (exploitée avec rétrolavages chlorés), l’étape de désinfection finale avant pompage dans le réseau n’a pas mis en évidence d’abaissement des cellules mortes et vivantes. Il faut néanmoins considérer que le point d’échantillonnage du BactoSense en aval de désinfection (ET LTY Cl2) a été largement influencé par l’alternance des régimes de pompage, les périodes de non-pompage favorisant la reprise du déve­loppement bactérien. Une fois la large majorité des cellules bactériennes retenues mécaniquement sur les membranes d’ultrafiltration à Lutry, l’objectif principal de la désinfection finale est de limiter la reviviscence bactérienne dans le réseau de distribution. La stabilité biologique de l’eau traitée est ainsi garantie par l’action rémanente de la javel. Nous pouvons également ajouter que le même phénomène qu’à Saint-Sulpice peut être considéré quant aux temps de contact impliqués. Nous pouvons penser que l’injection de javel aura également un impact sur le nombre de cellules intactes qui n’auraient pas été physiquement retenues sur l’ultrafiltration.

En ce qui concerne l’exploitation de la filière ultrafiltration à l’échelle pilote à Saint-Sulpice, au cours de la seconde campagne de mesures (réalisée sans défaut d’injection de chlore) une tendance à la diminution du nombre de cellules intactes et totales a été constatée lors de l’opération du procédé avec chlore en comparaison à celui sans chlore. Il est malgré tout difficile de statuer sur l’apport du chlore lors des rétrolavages sans la réalisation d’essais complémentaires permettant de reproduire les résultats en parallèle sur les deux procédés, afin de bénéficier de la même ressource et des mêmes conditions.

Conclusions

Les essais menés en parallèle au laboratoire et sur l’appareil de mesure en ligne BactoSense ont montré une bonne correspondance des résultats. Ce dernier a d’ailleurs permis la quantification des cellules intactes avec un degré de précision de quelques centaines de cellules. La mesure de cytométrie en flux en ligne rend possible le suivi de l’activité biologique de l’eau traitée, dans le cas de l’exploitation d’un réseau sans chlore.

Les campagnes de mesures ont permis d’observer une grande ressemblance des profils des eaux brutes de Saint-Sulpice et de Lutry. Les ressources sont similaires au regard de la population bactérienne qu’elles contiennent et de la proportion de cellules intactes/cellules totales, à l’exception des phénomènes locaux auxquelles elles sont sujettes (vents, courants, températures, rejets de STEP ou arrivée de cours d’eau).
Ces essais ont mis en évidence que les cellules ne sont pas physiquement retenues sur les filtres à sable (20 à 40% d’élimination des cellules intactes et totales). Les cellules vivantes et pathogènes sont éliminées lors de la désinfection finale sous l’action du chlore. Ce désinfectant, employé couramment pour son action rémanente dans le réseau de distribution a fourni des rendements d’abattement des cellules intactes d’un facteur 100. Les cellules totales n’ont que peu été éliminées (20–30%).

La filtration membranaire sur ultrafiltration a, elle, permis de retenir à la fois les cellules intactes et totales puisque se comportant comme une barrière physique. L’ultrafiltration, considérée aujourd’hui comme étape de désinfection, a permis d’obtenir des rendements d’élimination de facteurs 1000 et 10'000 respectivement pour les cellules intactes et totales.

Bibliographie

[1] Hauret A. et al. (2021): Intérêt de la cytométrie en flux en ligne pour le suivi de l’efficacité de la désinfection sur diverses filières de potabilisation – Cas de Lausanne. Techniques Sciences Méthodes 1–2/2021: 27–39

[2] Hammes, F. et al. (2012): Development and laboratory-scale testing of a fully automated online flow cytometer for drinking water analysis. Journal of the International Society for Advancement of Cytometry: Cytometry Part A 81A: 508–516. doi: 10.1002/cyto.a.22048

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[6] Besmer M. D. et al. (2014): The feasibility of automated online flow cytometry for in-situ monitoring of microbial dynamics in aquatic ecosystems. Frontiers in Microbiology 5: 265. doi: 10.3389/fmicb.2014.00265

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[8] Schleich, C. et al. (2019): Mapping dynamics of bacterial communities in a full-scale drinking water distribution system using flow cytometry. Water 11: 2137. doi:10.3390/w11102137

Remerciements

Les auteurs remercient vivement Messieurs Burnet et Menoud, les chefs d’usine des sites de production de Saint-Sulpice et Lutry pour l’aide à l’installation des équipements et pour leur disponibilité, ainsi que le laboratoire du Service de l’Eau pour les nombreuses analyses et le travail effectué. Un grand merci également à bNovate Technologies pour la mise à disposition du matériel de mesure et pour la collaboration enrichissante.

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