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Article technique
23. février 2023

Moule quagga

Adaptation à la problématique de la moule quagga pour la potabilisation de l’eau

Le service de l’eau de Lausanne s’adapte à la moule quagga une espèce invasive impactant les prises d’eau au lac et les usines de traitement. Deux usines d’eau potable sont touchées: Saint-Sulpice et Lutry. Chacune est dotée d’un plan d’action différent. Pionnières en Suisse, les adaptations prévues par le service de l’eau permettront de donner un retour d’expérience aux exploitants touchés par la moule quagga.
Eloïsa  Villalpando, Christophe Mechouk, 

En 2015, la moule quagga (Dreissena rostriformis burgensis), une espèce invasive originaire de la région ponto caspienne, s’est installée dans le lac Léman. L’introduction de ce mollusque aquatique s’est faite par voie navigable, emportée par le courant sous sa forme larvaire ou encore attachée à des bateaux sous forme adulte [1]. Proche cousine de la moule zébrée (Dreissena polymorpha), arrivée il y a une cinquantaine d’années, cette nouvelle espèce est bien plus problématique.

LES MOULES DREISSENA

Malgré une morphologie fortement similaire, leur écologie est légèrement différente. La moule quagga se reproduit toute l’année et peut se fixer sur des substrats meubles et à des profondeurs de plus de 200 m. La moule zébrée est quant à elle cantonnée aux substrats solides n’atteignant pas plus de 40 m de profondeur et se reproduit uniquement quand l’eau atteint une température de 12 °C, c’est-à-dire environ 4 à 5 mois de l’année [2].
La présence des moules Dreissena a un impact non négligeable sur l’écosystème du lac. Doté d’un siphon elles filtrent environ un litre d’eau par jour pour se nourrir. Leur grand nombre diminue les ressources alimentaire à disposition appauvrissant ainsi le lac et impactant toute la chaîne alimentaire. D’autres parts, la colonisation du substrat via leur byssus, un type de pied collant, forment des tapis denses (fig. 1) détruisant l’habitat précédemment présent. En quelques années une dégression des espèces indigènes a été noté proche des rives [3]. Parfois la moule zébrée est elle-même sous-planté par sa cousine. Des prédateurs existent, mais pas assez en nombre pour limiter la colonisation.

plans d’action

En ce qui concerne l’exploitation de l’eau de surface, la moule zébrée était déjà au rendez-vous il y a quelques décennies colonisant les crépines et les conduites d’eau brute. Le problème avait été résolu par les exploitants en déplaçant la prise d’eau à plus de 40 m de profondeur. Aujourd’hui la problématique est de retour. Certains exploitants se retrouvent face à des pertes de charge importantes menant à des restrictions d’eau, d’autres sont confrontés à des filtres colmatés ou encore des conduites presque bouchées. L’inquiétude des exploitants est la vitesse à laquelle les colonies de moules se développent. C’est pourquoi après quatre ans d’études poussées sur la problématique, le Service de l’eau de Lausanne va prochainement implémenter un plan d’action sur ses usines de production d’eau de Saint-Sulpice II et de Lutry.

Plan d’action pour l’usine de Saint-Sulpice II
Chaîne de traitement

L’usine de production d’eau potable de Saint-Sulpice date de 1971. Sa chaîne de traitement est actuellement composée d’une filtration sur sable de quartz puis une désinfection au chlore avant que l’eau soit acheminée vers les consommateurs.
A l’horizon 2029, la chaîne de traitement sera dotée d’une préfiltration, oxydation, adsorption sur charbon en grain, préfiltration et ultrafiltration. 10 à 15% du débit seront ensuite traités par nanofiltration, puis reminéralisés. La totalité des volumes produits sera ensuite désinfecté à l’eau de Javel. Cette filière multibarrière innovante et évolutive garantira une élimination poussée des micropolluants.
La reconstruction de l’usine de Saint-Sulpice est l’occasion idéale pour inclure des mesures de protection contre les moules quagga. La première barrière prévue en usine est la filtration. Celle-ci permettra de limiter le nombre de larves parvenant à entrer dans la chaîne de traitement. Le risque de colonisation de l’usine est réel lorsque la larve passe du stade pélagique au stade benthique, c’est-à-dire quand la moule développe son byssus pour s’installer et terminer sa métamorphose. Les larves à un stade moins avancé ne sont pas un problème car l’eau ne séjourne pas plus de 24 h dans les installations ne leur laissant pas assez de temps pour se développer et coloniser les lieux. Plus âgées, les larves auront terminé leur métamorphose et ne pourront plus traverser les filtres à cause de leur coquille.
Des tests sur un pilote composé de filtre Amiad (fig. 2; Amiad Water Systems) ont permis de valider le choix d’un filtre à 50 microns, un bon compromis entre l’efficacité contre les larves et les paramètres hydrauliques tel que le nombre de rétrolavages. Les plus petites larves qui parviennent à passer seront ensuite arrêtées par l’ultrafiltration avec un abattement de 100%. Le réseau de distribution est ainsi totalement épargné et est en plus protégé par le chlore résiduel ne laissant pas de nutriment à disposition dans le cas, fortement improbable, que des larves vivantes s’y trouvent. Pour assurer la protection de l’usine, chaque étape de traitement a été dédoublée. Ce choix permet également d’entretenir les installations sans arrêter la production d’eau.

Prise d’eau brute – crépine

A l’interface avec le milieu aquatique, c’est la prise d’eau brute qui est l’installation la plus vulnérable en commençant par la crépine. Plusieurs études suggèrent que les métaux biocides tel que le cupronickel sont intéressants pour retarder la colonisation. En effet, la colonisation est inévitable car dès que la crépine est recouverte de biofilm l’effet biocide diminue, il est de même avec l’usure du matériel dans l’eau. Une alternative est la mise en place d’une crépine en PE. Elle ne contient pas de biocide mais elle est par contre moins couteuse et pourrait être considérée comme un consommable.
L’usine de Saint-Sulpice II sera composée de deux prises d’eau au lac permettant de tester les deux options et comparer les résultats. Les deux crépines seront démontables et pourront être remontées annuellement à la surface pour être nettoyées au jet à haute pression. Pour augmenter la protection des crépines, une conduite d’eau chlorée (75 mm de diamètre) positionnée au centre de la crépine aura une diffusion radiale et continue, limitant l’installation des moules.

Nettoyage des conduites d’eau brute

Actuellement, une conduite d’eau brute de diamètre 1000 mm et d’un kilomètre de long alimente l’usine de Saint-Sulpice. La grandeur de la conduite démontre un avantage, car malgré une colonisation partielle de la conduite il n’y a pas de perte de charge. Jusqu’à maintenant, un monitoring s’effectue une à deux fois par an dans la conduite d’eau brute grâce à un ROV (Remotely Operated underwater Vehicle) équipé d’une caméra, mais aucune mesure de nettoyage n’est actuellement possible.
Dans la future usine, un système de curage effectué par un outil de nettoyage hydromécanique permettra de libérer les conduites des moules (fig. 3). Pour insérer l’outil un système de gare a été intégré aux quatre conduites (deux de prélèvement, deux de rejet). Lors du nettoyage d’une conduite, les vannes sont fermées, la section est vidangée, puis une bride pleine est enlevée pour placer l’outil de nettoyage à l’intérieur. Une pompe se charge ensuite de pomper l’eau des bâches d’eau brute pour propulser l’appareil de raclage dans la conduite. L’objet est lui doté de plusieurs mécanisme de raclage réduisant les moules en petits débris. Au bout d’une conduite de prise au lac, la crépine doit d’abord être soulevée pour laisser le passage à l’outil qui sera tracté à l’aide de câbles depuis une barge en surface. Les conduites de rejets (800 mm de diamètre) situées à seulement 15 m de profondeur et à une distance de 600 m de l’usine, sont équipés de grilles qui seront retirés par un plongeur pour ensuite récupérer l’outil. La fréquence de nettoyage prévue est annuelle.

Plan d’action pour l’usine de Lutry III

L’usine de Lutry a été rénovée en 2020, sa chaîne de traitement est composée de charbon actif en poudre directement administré dans les cuves d’eau brute, suivi par une filtration à 130 microns par des filtres BerkalTM (Veolia Water Technologies) avant de poursuivre vers des membranes d’ultrafiltration et d’une désinfection finale au chlore.
L’usine de Lutry n’a pas l’avantage d’être en reconstruction et a en plus un espace très réduit pour apporter des modifications. C’est pour cette raison que les premières mesures prévues sont celles située en dehors de l’usine. Comme pour Saint-Sulpice II, une conduite d’eau chlorée sera installée courant 2023 pour protéger la prise d’eau. Le panier de la crépine sera remplacé par un modèle démontable en PE permettant les nettoyages aisés en surface.
Le peu d’espace à disposition rend difficile la mise en place d’une gare pour l’insertion d’un outil de nettoyage. Une étude est en cours en collaboration avec des partenaires privés pour trouver des solutions adaptées à l’installation et évaluer la faisabilité du projet.

Pistes de recherches écartées

Avant d’aboutir sur les solutions techniques présentées, de multiples pistes ont été étudiées mais ont dû être écartées pour des raisons de faisabilité, de contraintes environnementales, de santé alimentaire ou encore financière.
La moule quagga est dotée d’une grande adaptabilité dans le milieu, elle a néanmoins des facteurs limitants. L’augmentation de la température de l’eau en est une. Cependant le réchauffement de l’eau et son acheminement dans la conduite constitueraient une charge d’énergie importante et une méthode non conforme au respect de l’environnement lacustre.
Une autre méthode est l’introduction dans les conduites d'eau brute de substances telles que le molluscicide Zequanox, des biobullets (substances actives encapsulées) ou le pesticide biologique Endod, c'est-à-dire des composés qui ingérés par la moule provoque sa mort. Ces types de solutions ne sont pas ciblées et peuvent impacter d’autres espèces présentes à l’interface entre la conduite d’eau et le milieu aquatique. De plus, il n’est pas admis d’ajouter des produits chimiques pouvant impacter la qualité de l’eau destinée à la consommation.
La vitesse de l’eau est également un facteur limitant pour la moule quagga, au-delà de 1,5 m/s elle a de la difficulté à se fixer et se développer. Cependant une vitesse constante de soutirage d’eau n’est pas économiquement intéressante pour une usine ni toujours faisable selon le diamètre des conduites.
D’autres méthodes d’inhibition sont le courant électrique, la vibration, l’ultrason et l’UV. L’utilisation d’un courant électrique et de la vibration n’ont pas encore de résultats concluants, de plus la mise en pratique est complexe et la vibration peut amener la fatigue du matériau. En ce qui concerne l’ultrason les risques de résonance et la résistance du matériau sont problématiques. Finalement, la lumière ultraviolette est elle aussi une mauvaise option car son efficacité dépend du temps de contact et d’une forte consommation en énergie.

Conclusion

La moule quagga a indéniablement pris place dans les lacs suisses et impacte fortement les exploitants d’eau de surface et les écosystèmes aquatiques. Cette situation est irréversible c’est pourquoi des méthodes de lutte sont incontournables pour maintenir l’exploitation des eaux de surface. Ces méthodes doivent être adaptées au milieu aquatique, à l’usage de l’eau et à la règlementation.
Le Service de l’eau de Lausanne a opté pour une stratégie de lutte multibarrières pour obtenir de meilleurs résultats. La divergence des méthodes entre les usines de potabilisation de Lutry et de Saint-Sulpice II démontre la complexité de chaque usine nécessitant chacune une solution personnalisée à sa situation. Pionnières en Suisse, les adaptations prévues par le service de l’eau permettront de donner un retour d’expérience aux exploitants touchés par la moule quagga.

Bibliographie

[1] Karatayev, A.; Burlakova, L.; Padilla, D. (2013): General Overview of Zebra and Quagga Mussels: What We Do and Do Not Know. In: Nalepa, T.; Schloesser, D.: Quagga and Zebra Mussels (p. 695–704). CRC Press. https://doi.org/10.1201/b15437-53
[2] IGKB – Internationale Gewässerschutzkommission für den Bodensee (2019): Moule Quagga dans le lac de Constance
[3] Ménétrey, N. (2019): Uniformation de l’habitat par les moules quagga. Direction de l’environnement, protection des eaux VD

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Kommentare (1)

Stéphan Ramseier am 15.03 2023 um 11:37

Conseiller scientifique à SIG

Un grand MERCI de reconnaître et de faire connaître que ces modes de lutte (chloration à la crépine, alliages & matériaux répulsifs), pourtant vertement critiqués par certain.e.s il y a peu et mis en oeuvre à l'extrémité du lac depuis des années soient aujourd'hui considérés comme techniques pionnières (sic), Bravo !

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