Plateforme pour l’eau, le gaz et la chaleur
Article technique
29. janvier 2024

Réseaux thermiques

Optimisation des réseaux CAD en utilisant la simulation numérique

Le secteur industriel des fournisseurs d’énergie fait face à de nombreuses turbulences liées à la situation énergétique et géopolitique mondiale. Afin de garantir la pérennité de ces activités, la simulation numérique des différents systèmes énergétiques s’est imposée comme un outil indispensable afin de maîtriser les coûts, l’empreinte environnementale ainsi que les développements des infrastructures. Cet article met en lumière le procédé utilisé par Groupe E afin d’optimiser le fonctionnement de l’ensemble de ses réseaux de chaleur à distance, de déterminer rapidement les limites de chaque infrastructure et de cibler les potentiels de développement futurs.
Jérémy  Rolle 

L’optimisation du fonctionnement des infrastructures de réseaux thermiques comporte principalement deux intérêts. Le premier est la réduction des consommations d’énergies primaires comme les différents combustibles et l’électricité. En ces temps, où les prix des énergies affichent une volatilité certaine, volatilité qui n’avait jamais été rencontrée auparavant, il est d’autant plus important de maîtriser sa consommation primaire afin de limiter l’augmentation des coûts d’exploitation de ces infrastructures. La maîtrise des flux d’énergies dans le système est d’ailleurs un élément clé qui permet également de gérer au mieux la maintenance. Le second intérêt est environnemental. En effet, la réduction des consommations d’énergies primaires permet, de facto, de réduire les émissions de CO2. La maîtrise des flux énergétiques évoquée plus haut rend possible une utilisation adéquate des ressources et une intégration optimale des énergies renouvelables.

MĂ©thodologie

La méthodologie utilisée chez Groupe E repose principalement sur trois piliers:

  • Robustesse des donnĂ©es des clients et du rĂ©seau
  • Mesure et comptage de l’ensemble des flux d’énergies en
    centrale
  • Monitoring des conditions de fonctionnement des clients (pas de temps: 15 min.)

 

Groupe E utilise depuis deux ans le logiciel Fluidit Heat [1] pour la réalisation des simulations de réseaux thermiques. Ce logiciel de pointe, développé en Finlande, permet d’importer les données citées ci-dessus ainsi que de paramétrer le modèle de simulation selon les souhaits de l’utilisateur.
Il s’agit alors de reproduire, le plus justement, les conditions de fonctionnement du réseau thermique à l’aide des mesures effectuées tant au niveau de la sous-station que de(s) centrale(s) de production.
Un second outil utilisé repose sur une implémentation de la méthodologie d’analyse des volumes d’eau [2] sur une plateforme PowerBi. Cet outil permet de réaliser automatiquement une rapide analyse de la qualité de consommation (débit et régime de température) de l’ensemble des clients via le serveur de données.

Cas d’étude: Vevey
L'infrastructure CAD

Le réseau CAD de Vevey (fig. 1) est en service depuis 2016 et comptabilisait 49 raccordements au premier semestre 2023 pour une puissance raccordée de 4990 kW. Actuellement, une centrale fournit le réseau thermique depuis le Nord du territoire à une température de distribution qui varie entre 80 et 90 °C durant l’année. La configuration des producteurs est la suivante:

  • Chaudière Ă  bois 1: 900 kW
  • Chaudière Ă  bois 2: 2000 kW
  • Chaudière Ă  gaz: 3300 kW
  • Puissance installĂ©e: 6200 kW

 

Le réseau thermique est construit en conduites pré-isolées de type 3 pour une longueur totale de 6049 m de fouilles. Dans le but de poursuivre le développement de ce réseau, une 3e chaudière à bois de 3800 kW sera implantée en 2024. La création d’une centrale d’appoint, pour alimenter le Sud du réseau lors des mois d’hiver, est également prévue pour 2024.

Modélisation et paramétrage

Afin de paramétrer le modèle numérique, Groupe E utilise la méthode danoise, qui permet ainsi de déterminer le facteur de simultanéité des réseaux thermiques [3]. Cette méthode est illustrée par l’équation suivante:

 

Dans les faits, cette méthodologie se vérifie parfaitement, pour autant que la typologie de consommateur reste homogène sur le réseau.
Plusieurs courbes sont également utilisées en sus: une courbe de température de distribution, en fonction de la température extérieure, une courbe définissant la différence de pression aller/retour sur le réseau en sortie de centrale, ainsi qu’une courbe caractérisant la différence de température au niveau du consommateur, ceci en fonction de la température extérieure. En effet, lors de la période estivale, le réseau est maintenu en service, uniquement pour la production d’eau chaude sanitaire. Les conditions de fonctionnement sont particulièrement dégradées à cette période. Les consommateurs d’envergure, qui influent le plus sur le réseau, peuvent également faire l’objet d’un paramétrage individuel afin de représenter au mieux les conditions d’exploitation sur le réseau.

Objectifs

Dans un premier temps, l’objectif était d’améliorer le fonctionnement des réseaux à l’échelle globale, sans se focaliser sur de potentielles améliorations ciblées au niveau des consommateurs. Les courbes de pression de distribution dans le réseau, ainsi que de température de distribution, ont été optimisées en fonction des conditions de fonctionnement monitorées. À ce jour, un deuxième volet d’amélioration des conditions de fonctionnement du réseau est en cours avec une analyse des consommateurs ayant une influence néfaste sur le réseau.

RĂ©sultats obtenus

Tous les résultats présentés dans ce chapitre sont issus de simulation utilisant les conditions climatiques de l’année 2021. Dans un premier temps, les consignes présentes dans le MCR (Mesure Contrôle Régulation), avant optimisation, ont été intégrées dans Fluidit afin de caractériser le fonctionnement du réseau avant intervention. Les résultats obtenus sont présentés dans le tableau 1. Le profil de fourniture est illustré en figure 2, avec un pic de demande le 9 février 2021. Le logiciel permet également de visualiser la différence de pression aller/retour dans le réseau qui est directement liée à la consommation électrique des pompes de distribution. La figure 3 représente l’état au 9 février 2021, l’objectif est de garantir au minimum 30 kPa à chaque sous-station. On remarque que la consigne, avant optimisation, ne permettait pas de remplir complètement cet objectif au plus froid de l’hiver. Alors qu’au contraire, la différence de pression est très élevée en été (fig. 4).

 

Energie thermique produite 17'177 MWh
Pertes de chaleur du réseau 1552 MWh
Energie hydraulique de distribution 95,4 MWh

Tab. 1 Résultats de simulation selon paramètres originaux.


La représentation des pertes de charges linéiques (fig. 5) sur le réseau témoigne d’un bon équilibrage hydraulique de ce dernier. Cela permet de quantifier rapidement l’impact d’un nouveau raccordement sur le réseau et de mesurer la capacité restante de l’infrastructure en tous points.
Le réseau de Vevey présente la caractéristique d’avoir de multiples bâtiments raccordés qui seront assainis dans les années à venir. La différence de température moyenne de fonctionnement du réseau est par conséquent, actuellement, très basse. En hiver, elle se monte au maximum à 22 K. En été, le fonctionnement se situe entre 10 K et 12 K de différence de température. Comme mentionné précédemment, ces paramètres doivent faire l’objet d’analyse au niveau de chaque consommateur. Les résultats du fonctionnement «idéal» sont exposés au chapitre suivant. Actuellement, il n’est donc possible d’améliorer le fonctionnement du réseau qu’en paramétrant plus finement les conditions de distribution, autant en termes de température que de pression.

Le tableau 2 illustre les résultats obtenus en abaissant la température de distribution ainsi qu’en modifiant des consignes de pression différentielle en sortie de la centrale. Ceci en s’assurant tout de même de la satisfaction de chaque consommateur. Typiquement, la température de fourniture par –5 °C à l’extérieur a été abaissée à 88 °C contre 91 °C. On constate un gain de 5,1% (75 MWh) sur les pertes de chaleur du réseau. Malgré une légère augmentation du débit volumique circulant dans le réseau (résultante de l’abaissement des températures de distribution), le paramétrage plus fin des consignes de pression différentielles permet un gain de 22,9% (18 MWh1) sur l’énergie hydraulique de distribution. Cela est aisément compréhensible en comparant la figure 4 et la figure 6.

 

Energie thermique produite 17'102 MWh
Pertes de chaleur du réseau 1478 MWh
Energie hydraulique de distribution 77,6 MWh

Tab. 2 Résultats de simulation selon paramètres optimisés.

 

De plus, la nouvelle différence de pression requise, durant la période estivale, a permis d’exploiter plus durablement la pompe de distribution. Nous avons ainsi un rendement électromécanique supérieur au groupe de pompage «hivernal».

Dans les faits, sur la période juin 2022 à mai 2023, cette optimisation, combinée à une sensible baisse des degrés-jour sur la même période, 12 mois auparavant, a permis à Groupe E de réduire de plus de 70 MWh la consommation électrique de la centrale de Vevey. Actuellement, la consommation électrique de la centrale reste stable malgré les nouveaux raccordements.

1 Il s’agit d’énergie hydraulique. Le rendement électromécanique de la pompe et de son variateur n’est pas considéré.

Potentiel d'amélioration 

Malgré les gains élevés mentionnés au chapitre précédent, le potentiel d’amélioration du réseau reste bien entendu très conséquent. En effet, en augmentant la différence de température minimale à 18 °C en été (conditions atteintes sur d’autres réseaux de Groupe E) ainsi qu’en régulant les pompes de distribution, par rapport à la différence de pression de la sous-station, la plus défavorable au lieu de celle mesurée en sortie de la centrale, il serait possible d’atteindre les valeurs du tableau 3.

 

Energie thermique produite 17'065 MWh
Pertes de chaleur du réseau 1441 MWh
Energie hydraulique de distribution 37,9 MWh

Tab. 3 Résultats de simulation selon paramètres optimaux.

 

Cela représente un gain de 7,8% des pertes thermiques, preuve que l’isolation type 3 est efficace et que les paramètres originaux étaient bien adaptés au réseau. Pour l’énergie hydraulique de distribution, il serait possible d’obtenir un gain de 152% par rapport à l’état avant réglage. Avec un rendement électromécanique moyen de 75%, cela représenterait trois fois moins d’électricité consommée pour une même énergie thermique distribuée. Cela en acceptant une différence de température hivernale de 25 K.

Conclusion

La simulation numérique a permis de comprendre le fonctionnement de chaque réseau et d’en optimiser le fonctionnement. Selon les réseaux et les réglages historiques en place, les gains en électricité, mais également en combustible, sont conséquents et permettent d’une part de maintenir des coûts d’exploitation attractifs, sans oublier la réduction de l’empreinte environnementale des réseaux.
De plus, la simulation permet également de maîtriser parfaitement le développement d’un réseau thermique et d’en connaître chaque limite. Ceci se traduit notamment par une amélioration des processus de décision interne, ainsi qu’un gain de temps dans les diverses études à mener.

Bibliographie

[1] https://fluidit.com/software/fluidit-heat/, consulté le 30.10.2023
[2] QM Chauffage Ă  distance (2018): Guide de planification Chauffage Ă  distance.ISBN 3-908705-30-4, https://www.verenum.ch/Documents_QMCAD.html
[3] Aage Birkkjær Lauritsen et al. (2015): Varme Ståbi. PRAXIS – Nyt Teknisk Forlag

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