Plateforme pour l’eau, le gaz et la chaleur
Article technique
30. janvier 2018

Interview avec Jean-Paul Stamm et Frédéric Sapin

Pour un développement harmonieux des réseaux de gaz et de CAD

Les Services industriels de Lausanne (SiL) fournissent de l’électricité, du gaz, du chauffage et des services multimédia à l’ensemble de l’agglomération lausannoise. Depuis leur création, il y a plus de 120 ans, le monde de l’énergie a beaucoup évolué et ils ont sans cesse adapté leurs prestations pour assurer le bien-être des Lausannois. Rencontre avec Jean-Paul Stamm (JPS), responsable du chauffage à distance et Frédéric Sapin (FS), responsable du développement du réseau de gaz.
Jean-Paul Stamm, Frédéric Sapin, 
Les SiL ont été créés en 1896. A cette époque, l’approvisionnement en chaleur n’était pas encore une priorité bien sûr, mais comment est-il né à Lausanne?

JPS: L’idée de chauffer des bâtiments à partir d’une source de chaleur externe a émergé autour de 1912. Il était question de réutiliser la chaleur de l’usine de Pierre-de-Plan (construite en 1901 pour acheminer et transformer l’électricité produite à Lavey). Le réseau de chauffage à distance (CAD) a finalement débuté en 1934. Des conduites d’eau chaude partant de Pierre-de-Plan permettaient de chauffer l’hospice voisin (qui deviendra plus tard le CHUV) ainsi que la laiterie qui se trouvait à l’emplacement de l’Hôtel de police. La production était assurée par une chaudière à vapeur à haute pression ou par une chaudière électrique.

FS: Le gaz, quant à lui, n’a été utilisé pour le chauffage à Lausanne qu’à partir des années 60, lorsque le gaz naturel s’est imposé à l’échelle européenne et que les chaudières à gaz individuelles se sont développées. Afin de mieux centraliser et répartir les demandes d’énergie thermique, le CAD et le gaz ont été réunis dans un seul service à partir de 1993.

«Afin de mieux centraliser et répartir les demandes d’énergie thermique, le chauffage à distance et le gaz ont été réunis dans un seul service à partir de 1993.»

Comment les besoins en chaleur de Lausanne et des communes environnantes sont-ils couverts aujourd’hui? Quel rôle joue l’approvisionnement en chaleur par les SiL dans la couverture de ces besoins?

JPS: Pour chauffer les 1300 bâtiments raccordés au CAD lausannois, les SiL disposent de plusieurs chaufferies réparties sur différents sites de la ville: à Pierre-de-Plan (site principal), quatre chaudières, d’une puissance totale de 156 MW, complètent la chaleur fournie par l’usine d’incinération des déchets TRIDEL (300 GWh/an). Dans le quartier des Bossons (au nord de Lausanne), une chaufferie - avec deux chaudières de 12 MW et une station d’échangeurs - alimente quelque 700 logements. Au sud de la ville, à la station d’épuration (STEP) de Vidy, une chaudière de 24 MW fonctionne grâce aux boues d’épuration et au gaz (reliée au réseau par une conduite passant sous l’autoroute). Enfin, pour l’Ouest lausannois, une chaufferie de 12 MW a été installée sur le site de Malley. Elle alimente le réseau de chauffage à distance de CADOUEST SA, une société créée spécialement dans ce but par les communes de Renens, Prilly et Lausanne.
Pour l’approvisionnement, les sources de chaleur ont fortement évolué depuis les débuts: au départ, c’était essentiellement du charbon, puis de l’électricité (surplus de l’usine de Lavey), du mazout lourd et du gaz. Actuellement, la chaleur est issue à 57,4% de l’incinération des déchets (et du bois) de l’usine TRIDEL et 3,5% de l’incinération des boues de la STEP, soit à 60,9% de renouvelable. Le restant provient à 38,7% du gaz naturel et 0,4% de mazout (chiffres 2017).

FS: Le réseau de gaz des SiL, quant à lui, approvisionne quelque 16 000 clients répartis dans 38 communes au détail, quatre communes en gros (autour de Nyon) et une commune (Lutry) en partenariat. Au total, un réseau de transport et de distribution long d’environ 745 kilomètres. La politique actuelle de développement du gaz et du chauffage à distance permet de rationaliser les réseaux pour ne pas avoir une double infrastructure.

Quels sont les objectifs de la politique énergétique (notamment en ce qui concerne l’approvisionnement en chaleur) de la Ville de Lausanne?

FS + JPS: Depuis plus de 20 ans, Lausanne s’engage activement en faveur du développement durable, des économies d’énergie et des énergies renouvelables. Elle se place même parmi les collectivités publiques les plus actives en matière de production et d’utilisation rationnelle de l’énergie. Cité de l’énergie depuis 1996, elle a été la première ville européenne à obtenir le label European Energy Award Gold en 2004. En 2009, elle s’est engagée dans la Convention européenne des Maires pour atteindre, d’ici à 2020, les objectifs dits «des 3 × 20», soit 20% d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables en plus et 20% d’émissions de CO2 en moins. En matière de chaleur, ses objectifs sont également d’agir sur ces deux plans: favoriser l’efficacité énergétique et développer les sources d’énergie renouvelable.

Quel concept les SiL ont-ils mis en place pour atteindre ces objectifs?

JPS + FS: Les SiL mènent plusieurs actions en parallèle. Dans le domaine de l’efficacité énergétique, ils proposent des subventions pour les ménages et les entreprises, ainsi que pour la mobilité électrique, dans le cadre de leur programme équiwatt. Pour les propriétaires de bâtiments, des prestations d’audits, de diagnostics énergétiques et de télégestion existent également depuis plusieurs années pour les aider à diminuer la consommation énergétique de leurs biens immobiliers.
Dans le domaine des énergies renouvelables, ils ont créé, en 2009, la société SI-REN SA pour investir dans des installations solaires photovoltaïques, des éoliennes (projet EolJorat Sud) et différents projets de géothermie et biomasse. L’objectif de SI-REN est d’atteindre une production d’électricité d’origine renouvelable de 100 GWh/an, soit la consommation de plus de 28'000 ménages (www.si-ren.ch).
Dans le domaine de l’hydraulique, deux grands projets devraient voir le jour à moyen terme: l’optimisation de l’usine de Lavey et le palier Massongez-Bex-Rhône.
Les SiL participent également activement au développement urbanistique de Lausanne: ils ont établi un concept énergétique ambitieux, conforme aux critères fixés par la société à 2000 watts pour le futur écoquartier des Plaines-du-Loup (pompes à chaleur avec sondes géothermiques et récupération de chaleur des eaux usées). Pour la construction du futur centre sportif de Malley (piscines et patinoires), ils réaliseront – sous forme de contracting – des installations avec le concours d’ewz, qui dispose de spécialistes dans ce domaine.
Dans cette optique, le chauffage à distance lausannois a également pour objectif de rester majoritairement renouvelable, étudiant toutes les solutions de production renouvelable (biogaz, bois liquide, etc.). Actuellement, la priorité vise à utiliser au mieux l’usine d’incinération de TRIDEL. Nous avons donc optimisé les périodes de révision et brûlons ensuite les déchets stockés (en balles) durant la révision de septembre. Nous utilisons également du bois issu des forêts lausannoises: environ 6000 tonnes chaque hiver. Parallèlement, nous étudions une solution technique qui permettrait d’abaisser la température des gaz de fumée de TRIDEL et ainsi de récupérer davantage de chaleur. L’utilisation du méthane produit par la STEP fait également l’objet d’investigations. Lors de périodes de froid intenses ou prolongées, le mazout n’est utilisé qu’en dernier recours. En général, le gaz est favorisé afin de réduire les émissions de CO2.

«Afin de rentabiliser le réseau de gaz existant, nous cherchons actuellement à le densifier plutôt qu’à l’étendre.»

Quel impact cela aura-t-il sur le développement futur de la distribution de gaz de Lausanne et des communes environnantes?

FS: Afin de rentabiliser le réseau de gaz existant, nous cherchons actuellement à le densifier plutôt qu’à l’étendre. C’est pourquoi les SiL offrent des primes pour les nouveaux raccordements, notamment pour les propriétaires qui renoncent au mazout pour passer au gaz naturel, et mettons en service les branchements en attente.

Un démantèlement du réseau de gaz est-il envisagé?

FS: Non, aucun démantèlement du réseau de gaz n’est envisagé à ce jour. Le passage au «tout-renouvelable» prendra plusieurs décennies et, dans l’intervalle, le gaz aura clairement le rôle d’une énergie de Transition.

 

 

Lausanne a toujours été une ville pionnière en Suisse en matière de chauffage à distance. Les SiL exploitent un réseau de CAD depuis 1934. Comment le réseau s’est-il développé depuis?

JPS: Le réseau s’est développé depuis cette date en fonction de différents paramètres, mais le plus important a été celui du rapport de prix entre le kWh CAD et celui du mazout. Depuis quelques années, les avantages architecturaux permis par le Canton de Vaud pour les immeubles raccordés à des réseaux de chauffage à distance alimentés majoritairement par du renouvelable sont très motivants pour nos futurs clients.

Est-il prévu d’élargir davantage le réseau de CAD? Quel impact cela aura-t-il sur l’approvisionnement en gaz à Lausanne?

JPS: La demande en CAD progresse chaque année de 4 à 5%, soit 7 MW, ce qui correspond à une quarantaine de raccordements. Afin d’éviter de «cannibaliser» les clients raccordés au gaz, nous étudions chaque demande et proposons à chaque client la meilleure alternative entre les deux solutions en fonction de leur situation géographique, du réseau le plus proche, de l’état du bâtiment et des installations déjà existantes.
Quant à l’extension du réseau, elle ne pourra se concrétiser que dans la mesure où nous mettrons en service des installations de production de chaleur à partir de sources renouvelables – ce qui, nous le soulignons, est notre préoccupation principale. Etant donné sa flexibilité d’utilisation, la part du gaz dans le chauffage à distance dépendra toujours du volume et de la qualité (énergie de ruban, énergie de pointe) d’énergie renouvelable que nous pourrons assurer.

FS: Et en améliorant l’efficience énergétique des bâtiments raccordés soit au gaz, soit au CAD, on libère de l’énergie pour fournir de nouveaux bâtiments.

«Une disposition de la loi cantonale tend à obliger les propriétaires de nouveaux bâtiments à se raccorder au chauffage à distance.»

Existe-t-il une obligation de raccordement dans les zones urbaines qui sont approvisionnées en CAD?

JPS: Une disposition de la loi cantonale (v. encadré) tend à obliger les propriétaires de nouveaux bâtiments (ou de bâtiments subissant une rénovation lourde) à se raccorder au CAD si celui-ci est proche et si le principe de proportionnalité est respecté.

Comment le réseau de CAD de la ville de Lausanne est-il organisé actuellement (niveau de température, conduites)?

JPS: Il y a deux types de réseaux: celui proche de la centrale de Pierre-de-Plan dispose d’une température de 175 °C. Les autres réseaux ont une température maximum de 125 °C. Le besoin de cette température élevée de 175 °C est historique: elle provient de l’hôpital qui a des besoins importants de production de vapeur. Nous avons aussi deux types de construction de conduites: le premier en caniveau pour les hautes températures, et des conduites périsolées pour la partie à 125 °C.

Parallèlement au CAD, le refroidissement à distance occupe une place de plus en plus importante. Qu’en est-il actuellement à Lausanne? Les SiL envisagent-ils de s’investir dans le domaine du refroidissement à distance?

JPS: Depuis quelques années, les SiL testent une technologie alternative dite «par absorption» pour rafraîchir certains grands bâtiments. Trois installations décentralisées de production d’eau glacée rafraîchissent les locaux de l’administration communale au Flon (Port-Franc 18), de Nespresso (avec la piscine de Bellerive) et de KBA NotaSys SA (ex-KBA-Giori) à la Blécherette. En 2015, un petit réseau de froid a vu le jour pour le CHUV sur le site de Pierre-de-Plan. L’absorption permet de valoriser la chaleur produite par TRIDEL durant la belle-saison. Elle conjugue efficacité énergétique, sécurité d’approvisionnement et impératifs d’hygiène. La machine à absorption assume environ 65% des besoins de la production de froid de Pierre-de-Plan. Deux machines à compression (électriques) parent aux pics de consommation. Puissance globale de l’installation: 2 MW. Durant la période hivernale (de novembre à avril), un système de «free cooling» complète à hauteur de 20% environ la production de froid. Ce mode de refroidissement utilise l’air froid extérieur lorsque la température est suffisamment basse pour rafraîchir les équipements sans nécessiter l’enclenchement de l’installation de froid.
Les prochains écoquartiers construits dans le cadre de Métamorphose (le projet urbanistique de Lausanne) seront également alimentés en énergie par les SiL et leurs installations – de chaud ou de froid – réalisées sous forme de contracting (le distributeur réalise et possède les installations et vend la prestation aux consommateurs).

L’eau des lacs est une source de chaleur/refroidissement disponible directement devant votre porte. Les SiL envisagent-ils de mener des projets visant à exploiter l’eau des lacs?

JPS: Nous n’avons actuellement pas de projet dans ce sens, par contre un potentiel plus intéressant que l’eau du lac est étudié avec la récupération de chaleur sur l’eau sortant de la STEP.

Quels sont actuellement les défis et les thèmes prioritaires dans le domaine «Gaz & CAD» des SiL?

JPS + FS: Nous souhaitons avant tout assurer un développement harmonieux des réseaux de gaz et de CAD, tout en garantissant pour le CAD une composition majoritairement renouvelable de l’énergie utilisée. Parallèlement, nous devons garantir aussi à nos clients la puissance de pointe nécessaire pour leur fournir une chaleur agréable toute l’année, en particulier durant les courtes périodes de grand froid.

Dans quelle mesure la SSIGE pourrait-elle vous aider à relever ces défis? Quel soutien attendez-vous de la SSIGE?

JPS: Pour le CAD, nous sommes membre de la nouvelle branche de la SSIGE et participons aux groupes de travail permettant
d’améliorer la construction et l’exploitation des réseaux CAD.

La loi vaudoise sur l’énergie (LVLEne) incite sans ambages le raccordement au chauffage à distance

LVLEne Art. 25 Raccordement
1 Les propriétaires dont les bâtiments sont situés dans les limites d’un réseau de chauffage à distance alimenté principalement par des énergies renouvelables ou de récupération sont incités par les autorités publiques à s’y raccorder, pour autant que la démarche soit appropriée. Le Conseil d’Etat peut prévoir des aides financières à cet effet.
2 Les bâtiments neufs mis au bénéfice d’un permis de construire après l’entrée en vigueur de la présente loi et ceux dont les installations de chauffage subissent des transformations importantes ont l’obligation de s’y raccorder dans les limites de proportionnalité énoncées à l’article 6, à l’exception de ceux qui couvrent déjà une part prépondérante de leurs besoins avec des énergies renouvelables ou de récupération.

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