Plateforme pour l’eau, le gaz et la chaleur
Article technique
04. juin 2025

Gaz

Projet de démonstration: Des micro-organismes à l’origine de la production de biométhane

Depuis le printemps 2022, la première installation industrielle de méthanation de Suisse est en service à Dietikon (ZH) et teste à l’échelle 1:1 la production d’un gaz respectueux de l’environnement. Le processus clé, c’est-à-dire la méthanation biologique, fonctionne de manière fiable et robuste. Une campagne de mesure a en outre apporté la preuve que l’installation Power-to-Gas pourrait fournir une puissance réglante à l’avenir.
Benedikt Vogel 

Limmattaler Regiowerk Limeco exploite à Dietikon une usine d’incinération des ordures ménagères (UIOM) et une station d’épuration des eaux usées (STEP). En complément des UIOM et des STEP, la première installation Power-to-Gas (PtG) à l’échelle industrielle a été mise en service en mars 2022. Dans ce contexte, «échelle industrielle» signifie que l’installation valorise les quelque 160 à 200 Nm3 de gaz d’épuration produits chaque heure par la STEP. Auparavant, le gaz était acheminé vers des centrales de cogénération et utilisé pour produire de l’électricité. La nouvelle installation transforme le gaz d’épuration et l’électricité produite par l’UIOM en biométhane, lequel est ensuite injecté dans le réseau de gaz local (fig. 1 et 2).

La construction et l’exploitation de l’installation PtG ont été une démarche courageuse. Le biométhane produit de manière synthétique est certes un bien convoité par les clients du gaz orientés vers le développement durable, mais rien ne garantissait dès le départ la rentabilité de ce nouveau procédé. Initiée par Swisspower, la société Limeco s’est donc associée à huit autres entreprises communales d’approvisionnement en énergie (voir encadré). Les partenaires ont assumé ensemble le risque économique de la nouvelle installation.

50% plus biométhane grâce à Power-to-Gas

Depuis longtemps, les boues d’épuration sont fermentées dans les digesteurs des STEP pour produire du gaz d’épuration (biogaz brut), qui constitue une source d’énergie. Le biogaz brut est composé d’environ deux tiers de méthane utilisable à des fins énergétiques. Le reste est constitué essentiellement de dioxyde de carbone (CO2), lequel, ayant été extrait de l’atmosphère à l’origine, est climatiquement neutre. Ce CO2 est alimenté dans le biogaz brut vers les centrales de cogénération ou séparé du biogaz brut au moyen d’un séparateur de CO2. Le CO2 est restitué à l’environnement dans les deux cas. Le processus de l’installation PtG de Dietikon est différent: elle transforme le CO2 contenu dans le biogaz brut en un vecteur énergétique, à savoir le méthane. Pour ce faire, le biogaz brut comprimé est introduit avec de l’hydrogène dans un bioréacteur rempli de boues d’épuration (fig. 3). Les boues d’épuration contiennent des micro-organismes anaérobies (archées). Ceux-ci catalysent la transformation de l’hydrogène et du CO2 en méthane. Ce processus de transformation (méthanation biologique) produit du méthane synthétique. Selon la teneur en CO2 du biogaz brut, une installation PtG permet de produire jusqu’à 50% plus de biométhane. Avant d’être injecté dans le réseau de gaz, le méthane doit être purifié des résidus d’ammoniac, de soufre et d’hydrogène afin d’obtenir la qualité requise (fig. 4).

L’hydrogène utilisé dans l’installation PtG de Dietikon provient d’un processus d’électrolyse au cours duquel l’eau est divisée en hydrogène (H2) et en oxygène (O2). Deux électrolyseurs d’une puissance électrique de 1,25 MW chacun sont utilisés à cet effet (fig. 5). Ils sont alimentés en électricité par l’UIOM, dans laquelle elle est produite à partir de la chaleur de combustion des déchets au moyen d’une turbine à vapeur et d’un générateur.

L’installation PtG a un rendement d’environ 50%. Sur l’électricité renouvelable utilisée pour la production d’hydrogène, environ la moitié est donc convertie en méthane, l’autre étant partiellement utilisée comme chaleur ou perdue sous forme de pertes de conversion.

Suivi biennal

Quelques mois après le début de la production, l’installation PtG s’est vue confrontée à un nouveau défi: À l’automne 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a fait planer la menace d’une pénurie d’électricité. C’est pourquoi les partenaires de coopération ont décidé d’injecter la totalité de l’électricité produite par l’UIOM dans le réseau et d’arrêter temporairement l’installation PtG au cours du semestre d’hiver 2022/23. Ils l’ont remise en service en mars 2023. Petit à petit, la production a pu monter en puissance, mais des «maladies infantiles» sont survenues sans cesse, ce qui n’est pas rare avec les installations de démonstration.

Afin d’évaluer les expériences collectées avec la nouvelle installation, un projet de suivi a été mené pendant les deux premières années d’exploitation. Celui-ci a été réalisé par Limeco, accompagné par Swisspower et le bureau d’études Rytec. L’Office fédéral de l’énergie a soutenu financièrement le projet dans le cadre de son programme pilote et de démonstration. Le projet s’est achevé fin 2024 avec deux rapports finaux (fig. 6, 7 et 8).

Le composant clé: le bioréacteur

En pleine exploitation, l’installation PtG produit 1,8 million de mètres cubes de biométhane par an; ce qui correspond à une quantité d’énergie de 18 GWh ou aux besoins de 2000 ménages. En raison de l’arrêt préventif de l’hiver 2022/23, des arrêts pour raisons techniques et des travaux de transformation réalisés à partir de 2024, les expériences d’exploitation du suivi ont été essentiellement recueillies sur la période d’avril 2023 à janvier 2024. «Avec cette installation, nous avons pu démontrer que la production de biométhane à partir du CO2 de la STEP et de l’électricité de l’UIOM fonctionnait à l’échelle industrielle», résume Thomas Di Lorenzo, chef de projet Limeco, l’un des principaux résultats du projet de monitoring.

Le bioréacteur est un composant clé de l’installation. Il transforme le CO2 contenu dans le biogaz brut en méthane synthétique par l’ajout d’hydrogène. Il existe différentes solutions techniques pour ce processus dit de méthanation. Dans le cas de l’installation de Dietikon, Limeco a opté pour la méthanation biologique lors de laquelle les micro-organismes transforment le dioxyde de carbone et l’hydrogène en méthane. Ce procédé a l’avantage de pouvoir acheminer le biogaz brut dans le bioréacteur sans traitement préalable.

 

La méthanation fonctionne avec robustesse

Jusqu’à présent, la méthanation biologique a été testée uniquement dans des installations pilotes. À Dietikon, elle est exploitée pour la première fois à grande échelle. Limeco a opté pour le procédé de méthanation BiON. Celui-ci a été conçu par microbEnergy, une ancienne filiale du groupe de technique de chauffage allemand Viessmann, et est désormais commercialisé par l’entreprise de technologies propres Kanadevia Inova Schmack. «Dans notre installation, la méthanation fonctionne avec fiabilité et robustesse», affirme Di Lorenzo. À ce sujet, le rapport final du projet indique: «Dans les conditions de base appropriées (température, pression, puissance d’agitation, introduction stœchiométrique des gaz), le processus peut être démarré et arrêté presque à volonté sans altérer la qualité du gaz d’alimentation. Après un fonctionnement de la méthanation biologique pendant plusieurs heures, elle peut être «mise en veille» pendant 72 heures au maximum. Si le processus de méthanation est arrêté pendant plus de 72 heures, la boue ou les archées qui s’y trouvent doivent être refroidies à moins de 40 °C pour être inactivées. Si le bioréacteur reste refroidi pendant quelques jours, il peut être remis à température et le processus peut être redémarré».

Inhibition de la formation de mousse

Le seul problème majeur rencontré dans le bioréacteur fut la formation de mousse, laquelle menaçait d’encrasser le séparateur d’ammoniac en aval. Ce risque a été réduit grâce à une régulation adaptée de la pression. Le fait que l’installation de démonstration ait connu des interruptions de fonctionnement répétées n’est pas dû au processus de méthanation biologique, mais à d’autres composants de l’installation, comme l’indique le rapport final: «Jusqu’à présent, le système d’électrolyse avec traitement de l’eau et DeOxoDryer (purification de l’hydrogène) était la principale cause des arrêts prolongés».

Les défauts techniques sont l’une des raisons pour lesquelles l’installation a été moins rentable que prévu au cours des premières années d’exploitation. Ainsi, l’installation devrait couvrir ses coûts, les huit services municipaux impliqués achetant le biométhane à un prix moyen d’à peine 12 centimes/kWh (afin de pouvoir le vendre à leurs clients en tant que biogaz durable à un prix légèrement supérieur). Les prix élevés du marché de l’électricité, les coûts de maintenance (notamment pour les électrolyseurs), les temps d’arrêt et d’autres facteurs ont renchéri les coûts de production. Les fournisseurs d’énergie ont toutefois accepté d’acheter le biométhane à un prix plus élevé afin de couvrir entièrement les coûts de l’installation PtG.

Fonctionnement saisonnier et puissance réglante

Dans ce contexte, Limeco et ses partenaires cherchent de nouvelles approches en vue d’améliorer la rentabilité de l’installation PtG. Une idée consiste à faire fonctionner l’installation de méthanation principalement pendant les mois d’été, car l’augmentation massive prévue de l’électricité solaire devrait faire baisser les prix du marché de l’électricité pour l’exploitation des électrolyseurs. En revanche, pendant le semestre d’hiver, lorsque le coût de l’électricité est élevé, on renonce à la méthanation et on utilise «uniquement» le biométhane contenu dans le biogaz brut. À cette fin, l’installation PtG a été complétée au printemps 2024 par une membrane qui sépare le CO2 du biogaz brut. Depuis lors, on renonce à la méthanation lorsque le prix de l’électricité est trop élevé pour la production d’hydrogène. Ce mode d’exploitation saisonnier devrait permettre à l’avenir d’atteindre un prix moyen couvrant les coûts de moins de 15 centimes/kWh, comme l’indique le rapport final du projet.

Dans le cadre du projet de l’OFEN, l’utilisation de l’installation PtG pour la mise à disposition de puissance réglante a également été étudiée. La puissance réglante est nécessaire à la société nationale pour l’exploitation du réseau Swissgrid afin de stabiliser le réseau électrique national lorsque la production d’électricité est temporairement trop élevée ou trop faible. Une campagne de mesure réalisée à l’automne 2023 a confirmé que l’installation PtG installée à Dietikon pourrait fournir une puissance réglante de l’ordre de 1 MW. Le potentiel de puissance de réglage calculé en association avec l’UIOM a été chiffré à 4,5 MW par les promoteurs du projet. Pour ce faire, la production de l’installation PtG serait brièvement réduite à chaque fois que Swissgrid aurait besoin de courant supplémentaire. Dans la mesure où Swissgrid indemnise financièrement la mise en réserve de puissance réglante, il existe ici une source de revenus supplémentaire. «C’est une option intéressante pour nous, mais nous ne pourrons la mettre en œuvre que lorsque l’installation sera stable et équipée d’un stockage intermédiaire d’hydrogène.

Plus d’information

Pour tout renseignement sur le sujet, veuillez contacter Men Wirz, responsable du programme pilote et de démonstration de l’OFEN: men.wirz@bfe.ch

Informations sur l’installation PtG de Dietikon

www.powertogas.ch 

Rapport final du projet «Centrale hybride – Power-to-Gas pour la flexibilisation d’une UIOM» (en allemand)

www.aramis.admin.ch/Texte/?ProjectID=47372

Autres articles spécialisés sur des projets dans le domaine de la bioénergie

www.bfe.admin.ch/ec-bioenergie

Partenaires de coopération

 

Maître d’ouvrage et exploitant

Limeco – usine régionale dans la vallée de la Limmat

 

Services industriels coopérants

Energie Wasser Bern, Energie Zürichsee Linth AG, Eniwa AG, Industrielle Betriebe Interlaken, Gasversorgung Dietikon, Gasversorgung Schlieren, St. Galler Stadtwerke et SWL Energie AG

 

Initiatrice du projet

Swisspower AG – Alliance suisse des services industriels

 

Direction du projet de l’OFEN

Thomas Peyer, Swisspower AG

Fabian Blaser et Rafael Osswald, Rytec AG

Thomas Di Lorenzo et Niclas GĂĽndel, Limeco

Le biométhane produit par l’installation

Power-to-GasLorsque les ménages achètent du «biogaz» auprès de leur fournisseur de gaz, il s’agit généralement de gaz issu de la fermentation de déchets organiques. Le gaz est ainsi d’origine biogénique. Le gaz naturel, en revanche, est d’origine fossile. D’un point de vue chimique, le biogaz et le gaz naturel sont presque identiques; les deux se compose essentiellement de méthane (CH4), un composé de carbone et d’hydrogène. Lors de la combustion du gaz naturel, l’atmosphère est chargée de dioxyde de carbone, nuisible au climat. La combustion du biogaz produit également du dioxyde de carbone, mais celui-ci ne charge pas davantage l’atmosphère en dioxyde de carbone, car le carbone de l’atmosphère a été préalablement fixé dans les matières biogéniques. En ce sens, le biogaz est «climatiquement neutre».

Le gaz injecté dans le réseau par l’installation PtG de Dietikon provient de deux sources: il s’agit pour les deux tiers de biométhane issu de la fermentation des boues d’épuration. Le tiers restant est produit à partir de CO2 biogénique et d’hydrogène. L’hydrogène produit avec l’électricité des UIOM est considéré comme renouvelable. Dans ce contexte, le produit final de l’installation PtG de Dietikon peut être qualifié de «biogaz» ou de «gaz renouvelable» ou encore de «gaz vert». Pour souligner que ce gaz se compose de méthane, un vecteur d’énergie, on utilise couramment, comme dans le présent article, le terme «biométhane». Lorsqu’il est question du produit final du processus de méthanation, la mention «synthétique» est ajoutée pour le distinguer du biométhane contenu dans le biogaz brut.

Power-to-Gas

Le terme Power-to-Gas (PtG) désigne la transformation de l’électricité en gaz (par exemple en méthane): avec un fort développement des techniques photovoltaïques et de éolienne, l’électricité «excédentaire» peut être stockée sous forme de méthane ou d’hydrogène en été et utilisée en hiver grâce au PtG. Cela suppose que la Suisse dispose à l’avenir de plus grands réservoirs de gaz. La rentabilité des installations Power-to-Gas dépend en premier lieu du prix de l’électricité utilisée et du prix actuel du gaz.

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