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Article technique
27. février 2024

Interview avec Hélène Bourgeois et Yves Degoumois

«Les grandes STEP du Valais seront prochainement modernisées»

Le canton du Valais est situé en tête du bassin versant du Rhône et fait partie du château d’eau de l’Europe. Près de 90% de l’approvisionnement en eau potable est assuré par les eaux souterraines, qui proviennent d’environ 3000 sources résurgentes au niveau du coteau et des versants, et d’une quarantaine de puits d’eau potable en plaine exploitant les eaux de la nappe phréatique du Rhône. Parmi ses nombreuses tâches, le Service de l’environnement SEN du canton de Valais veille à la protection de l’eau et travaille en faveur d’une gestion coordonnée de cette ressource. Ici, deux collaborateurs du SEN, Hélène Bourgeois et Yves Degoumois, donnent un aperçu des différents enjeux liés aux micropolluants dans les eaux cantonales, notamment la problématique des PFAS.
Margarete Bucheli 

Madame Bourgeois, depuis 2006, le SEN surveille la qualité de l’eau du Rhône en amont du Léman. Quels sont les objectifs et l’étendue de cette surveillance?

Hélène Bourgeois: Avec l’objectif de renforcer la surveillance de la qualité des eaux qui alimentent le Léman, le Service de l’environnement (SEN) a en effet mis en place, depuis 2006, un programme d’analyse en continu du Rhône à la Porte du Scex, par un échantillonnage moyen à 14 jours. Le programme d’analyses regroupe des pesticides et des résidus médicamenteux. La liste des substances analysées est régulièrement adaptée selon les programmes fédéraux (NAWA) et nos connaissances du terrain. Des campagnes d’analyses ponctuelles sont également effectuées deux fois par an sur le linéaire du Rhône, également depuis 2006, en amont et en aval des principaux sites industriels.

«Une ligne directrice ‹stratégie micropolluants VS› a été mise en place en 2008 entre le SEN et les industries. Celle-ci a permis de réduire drastiquement les micropolluants industriels déversés dans le Rhône.»

Quelles mesures et stratégies ont été développées pour réduire la pollution du Rhône, notamment par les micropolluants?

H.B.: En Valais, la quasi-totalité des cours d’eau aboutissent dans le Rhône. Les micropolluants retrouvés dans les eaux de surface sont de sources multiples: agriculture, industries, usages domestiques. Les substances atteignent ces eaux principalement par le lessivage des sols et par les rejets des STEP industrielles et domestiques. Un certain nombre de mesures sont mises en œuvre et renforcées avec le temps:

  • Une ligne directrice «stratĂ©gie micropolluants VS» a Ă©tĂ© mise en place en 2008 entre le SEN et les industries. Celle-ci a permis de rĂ©duire drastiquement les micropolluants industriels dĂ©versĂ©s dans le RhĂ´ne.
  • Le canton effectue un suivi des STEP industrielles et ces dernières transmettent des rapports annuels ou trimestriels au SEN. Concernant les STEP domestiques, une trentaine de micropolluants sont analysĂ©s en entrĂ©e et sortie des plus grandes STEP du canton depuis 2016.
  • En 2017, le Conseil d’Etat du canton du Valais a approuvĂ© la mise en place d’un groupe de travail «stratĂ©gie micropolluants» interservices regroupant les Services de l’environnement (SEN), de l’agriculture (SCA) et de la consommation et affaires vĂ©tĂ©rinaires (SCAV). Ce groupe s’engage Ă  mener des actions pour rĂ©duire les micropolluants d’origines agricole et domestique dans une vision d’amĂ©lioration continue.
  • La campagne de sensibilisation «Doucement la dose» a Ă©tĂ© mise en place en 2020 et des ateliers ont Ă©tĂ© organisĂ©s dans les jardins familiaux afin de rappeler les bonnes pratiques Ă  adopter pour limiter l’usage des pesticides.

 

Quelles sont les tendances observées depuis le début du monitoring jusqu’à aujourd’hui?

H.B.: La charge des polluants industriels connus et suivis a diminué de plus de 90% entre 2006 et aujourd’hui. Le pesticide le plus fréquemment retrouvé dans le Rhône est le glyphosate. Analysé depuis 2012 à la Porte du Scex, sa charge est relativement constante. Néanmoins, la tendance générale montre une diminution des pesticides dans le Rhône à la Porte du Scex.

D’après les résultats du monitoring, quelles sont les mesures prises qui se sont avérées efficaces?

H.B.: L’important travail de collaboration mis en place avec les industries déjà avant 2008 afin d’établir et d’appliquer la ligne directrice «stratégie micropolluants VS» porte ses fruits et a depuis permis une diminution importante des polluants industriels rejetés dans le Rhône.

Dans quels domaines des améliorations sont-elles encore nécessaires? Comment peut-on y parvenir?

H.B.: Le débit important du Rhône et ses variations temporelles nécessitent la mise en place de méthodes analytiques permettant de détecter de très faibles concentrations. Nous savons que de nombreuses substances ne sont actuellement pas identifiées. La mise en place de screening non-target (analyses non-ciblées) dans le Rhône a permis de découvrir de nouvelles molécules potentiellement toxiques pour l’environnement. Cependant, leur identification et leur source est incomplète et demande de nouvelles investigations. La sensibilisation du grand public aux sources et aux impacts des micropolluants doit être améliorée, afin de diminuer leur utilisation.

«Les efforts doivent être poursuivis par les communes pour séparer les eaux usées des eaux claires, afin d’améliorer l’efficacité de traitement des STEP et de diminuer les coûts d’exploitation.»

Presque toutes les eaux usées épurées du canton du Valais rejoignent finalement le Léman via le Rhône. Quel est le bilan actuel de l’épuration des eaux usées dans le canton du Valais, notamment en ce qui concerne les nutriments et les micro­polluants?

H.B.: Le dernier bilan de l’épuration des eaux usées en Valais a mis en évidence les performances des STEP et leur impact sur les cours d’eau. Pour l’année 2022, les résultats sont globalement positifs. Les efforts doivent toutefois être poursuivis par les communes pour séparer les eaux usées des eaux claires, afin d’améliorer l’efficacité de traitement des STEP et de diminuer les coûts d’exploitation. Aucune STEP domestique du canton n’est encore équipée de traitement des micropolluants. Par ailleurs, il est nécessaire d’améliorer la situation liée au rejet d’azote dans les cours d’eau, qui reste pour l’heure un défi.

Quels efforts sont entrepris pour améliorer la situation?

H.B.: Au cours des prochaines années, les grandes STEP du Valais seront modernisées. Il s’agit notamment du projet régional de traitement des eaux usées à Monthey, des STEP de Briglina-Brig, Martigny, Sierre-Noës et Sion-Châteauneuf. Elles seront équipées d’un traitement des micropolluants pour atteindre les objectifs d’abattement de la législation actuelle. Des études sont en cours et bien avancées dans la plupart des stations concernées pour sélectionner les procédés optimaux. Tous ces projets respectent le calendrier au niveau national. Le canton suit également attentivement les travaux en cours au niveau fédéral pour mettre en œuvre la motion concernant les mesures visant à éliminer les micropolluants applicables à toutes les stations d’épuration des eaux usées, adoptée par le parlement en 2021. En outre, la planification et la réalisation progressive de réseaux séparatifs sur tout le territoire cantonal permet de diminuer l’apport d’eaux claires parasites vers les STEP.

Monsieur Degoumois, passons des eaux de surface aux eaux souterraines: Comment la qualité des eaux souterraines est-elle surveillée en Valais?

Yves Degoumois: Le SEN réalise deux campagnes annuelles de surveillance de la qualité des eaux souterraines de la nappe du Rhône entre Brigue et le Léman. En sus de ces campagnes, des contrôles ciblés sont réalisés par le canton et des contrôles liés à l’investigation et la surveillance des sites pollués sont demandés aux nombreux responsables de sites pollués.

Par quelles substances les eaux souterraines valaisannes sont-elles polluées? D’où proviennent ces substances?

Y. D.: La pollution des eaux souterraines en plaine du Rhône n’est pas généralisée et varie selon les lieux et profondeurs. Au total, huit panaches de pollution préoccupent particulièrement le SEN. Il s’agit des zones situées à l’aval des sites industriels de Collombey-Muraz, Monthey, Evionnaz, Sierre et Viège ainsi que de l’ancienne décharge de Gamsenried. Dans une moindre mesure s’ajoutent les secteurs en aval de l’ancien site Electrolytor à la frontière entre les communes de Collombey-Muraz et Monthey et du Centre d’instruction de la protection civile de Grône.
Cinq de ces huit secteurs présentent, en plus de la pollution spécifique provoquée par l’activité industrielle, une pollution aux PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées). Il s’agit de l’aval de l’ancienne raffinerie de Collombey-Muraz, du site de Grône et des sites chimiques de Viège, Monthey et Evionnaz. Les trois secteurs épargnés par les PFAS correspondent à l’aval de l’ancienne décharge de Gamsenried, en aval de laquelle s’étend un long panache de pollution à la benzidine, et à deux cas de pollution par du perchloréthylène (un composé organique volatil notamment utilisé pour le nettoyage à sec), respectivement en aval de l’ancienne blanchisserie du site industriel de Sierre et de l’ancien site Electrolytor. Ces sites font l’objet de mesures d’assainissement ciblées et/ou bénéficient d’un confinement hydraulique. Des mesures plus importantes sont en cours d’étude pour assainir chacun des sites contaminés à l’origine de ces panaches.

Quelles mesures ont été et sont prises, notamment en ce qui concerne les sites contaminés, pour protéger les eaux souterraines utilisées pour la production d’eau potable?

Y. D.: Les sites contaminés susmentionnés font l’objet soit de mesures d’assainissement en cours, soit d’un confinement hydraulique en attente de leur assainissement. L’effet de ces mesures sur la qualité des eaux souterraines fait l’objet d’une surveillance. D’autres sites à l’origine de fortes atteintes à la qualité des eaux souterraines ont d’ores et déjà été assainis ces 15 dernières années (p. ex. l’ancienne décharge industrielle du Pont Rouge à Monthey).

«Les sites contaminés à l’origine des panaches de pollution aux PFAS dans les eaux souterraines font l’objet soit de mesures d’assainissement en cours, soit d’un confinement hydraulique.»

Et maintenant, abordons un sujet d’actualité, le groupe de substances des PFAS: le Valais fait partie des premiers cantons à avoir contrôlé la présence de PFAS dans les eaux souterraines (depuis 2017), à avoir défini une stratégie et à avoir commencé à assainir les sites pollués. Comment se présente la situation de pollution par les PFAS dans les eaux souterraines valaisannes et d’où proviennent les substances per/polyfluorées trouvées?

Y. D.: Comme mentionné précédemment, cinq sites contaminés par des PFAS préoccupent particulièrement le SEN en raison des impacts qu’ils engendrent sur les eaux souterraines. Les mesures de confinement entreprises permettent de couper les sources de pollution. Il n’en demeure pas moins que la nappe phréatique restera encore longtemps impactée dans les secteurs concernés. Pour le reste de la plaine du Rhône, la situation est plus rassurante, car seules des traces ponctuelles de pollution aux PFAS ont à ce jour été constatées. Toutefois, tous les sites pollués par des PFAS n’ont pas encore été recensés et des démarches sont entreprises à ce jour pour les identifier.

Quels sont les différents points de la stratégie PFAS?

Y. D.: La stratégie du SEN relatives aux PFAS se fonde sur cinq points, dont seul le dernier requiert encore du temps pour être entièrement mis en œuvre:

  • La surveillance de la qualitĂ© des eaux souterraines a Ă©tĂ© Ă©largie.
  • Toutes nouvelles pollutions liĂ©es Ă  l’utilisation de mousses incendie sont Ă©vitĂ©es par le remplacement des mousses.
  • Les risques liĂ©s Ă  l’utilisation d’eaux souterraines polluĂ©es seront continuellement contrĂ´lĂ©s.
  • La propagation des PFAS dans les eaux souterraines est rĂ©duite autant que possible avec la mise en place de mesures de confinement en aval des sources de pollution.
  • Les sites contaminĂ©s et leurs panaches seront assainis.

 

Quelles mesures ont été ou sont déjà mises en œuvre? Quelles sont les principales difficultés rencontrées?

Y. D.: Comme indiqué au préalable, les sites contaminés à l’origine des panaches de pollution aux PFAS dans les eaux souterraines font l’objet soit de mesures d’assainissement en cours, soit d’un confinement hydraulique en attente de leur assainissement. Le principal défi pour assainir ces sites réside dans l’étendue de la pollution du sous-sol et l’actuelle faible marge de manœuvre pour définir des mesures d’assainissement efficaces. À priori, seuls l’excavation des foyers de pollution et le traitement des matériaux excavés sont véritablement efficaces. Dans certaines situations, un lessivage actif de la pollution et la récupération des polluants mobilisés pourrait entrer en ligne de compte.
Tous les sites pollués par des PFAS n’ont pas encore été identifiés, en particulier les lieux sans infrastructures particulières utilisés par les pompiers pour des exercices avec mousses. Un recensement de ces sites est en cours dans le canton. La difficulté principale réside dans la recherche de mémoires vivantes. Des sites pollués d’une plus faible ampleur sont également déjà identifiés (aérodrome, lieux d’accidents avec utilisation de mousses, caserne, ferrailleurs, sites de stockage). L’ampleur de la pollution et l’atteinte potentielle à l’environnement sont encore en cours d’évaluation pour ces sites.

Quelles sont les conséquences des pollutions par les PFAS identifiées en ce qui concerne l’utilisation des eaux souterraines pour la production d’eau potable, mais aussi pour l’irrigation?

Y. D.: Les conséquences de la pollution des eaux souterraines par des PFAS en Valais sont concrètes pour l’irrigation des champs, lorsque les conditions météorologiques sont trop sèches. Elles le sont heureusement nettement moins pour l’approvisionnement en eau potable, puisque les communes concernées n’exploitent plus de captages dans les périmètres des panaches de pollution aux PFAS. Certains captages localisés en plaine du Rhône présentent des traces de PFAS, heureusement clairement inférieures à la concentration la plus stricte que nous pourrions définir en tenant compte de la dose admissible préconisée en 2020 par l’autorité européenne de sécurité alimentaire. Cette approche est plus de 25 fois plus sévère que les valeurs maximales fixées dans l’ordonnance du DFI sur l’eau potable et l’eau des installations de baignade et de douche accessibles au public (OPBD).

Les eaux souterraines valaisannes ne sont pas les seules à être contaminées par les PFAS. Des PFAS ont également été détectés dans les eaux de surface et dans les poissons. Quelle est la situation à cet égard en Valais? Quelles en sont les causes et les conséquences?

Y.D.: De longs panaches de pollution se manifestent dans les eaux souterraines en aval des quatre sites industriels au sein desquels des mousses extinctrices avec PFAS ont été utilisées de manière répétée et en quantité significative. Les rejets des STEP et des réseaux d’eaux claires contiennent des traces de PFAS qui s’accumulent dans les eaux de surface. En aval des deux sites industriels du Chablais - site chimique de Monthey et ancienne raffinerie de Collombey-Muraz -, les canaux drainent la nappe et sont dès lors impactés par la forte pollution aux PFAS. Deux étangs creusés dans les dépôts alluvionnaires sont fortement impactés par la pollution des eaux souterraines qui les alimentent. Ils sont localisés chacun respectivement en aval d’un site industriel contaminé par des PFAS.
Les poissons vivant dans ces plans d’eau et le long des canaux impactés accumulent significativement des PFAS. La pêche a dû y être interdite et l’utilisation des eaux souterraines et des canaux ne se prête plus pour irriguer les sols agricoles sur plusieurs kilomètres en aval des deux sites concernés.

A propos des personnes

 (© Fabienne Degoumois)

Après ses études à l’EPFL, l’ingénieure en environnement Hélène Bourgeois a travaillé pendant environ 13 ans dans un bureau d’ingénieurs. Elle y était chargée de la réalisation complète de projets liés à l’eau potable. Depuis l’automne 2020, Hélène Bourgeois est collaboratrice scientifique au sein de la section Eaux de surface et déchets du Service de l’environnement (SEN) du canton du Valais.

 

 (© Sedrik Nemeth)

Yves Degoumois est ingénieur EPFL spécialisé en environnement. Après avoir travaillé dans le domaine de la pédologie (état de surface de sols dégradés), des études d'impact et de la gestion des eaux pluviales, il s'est spécialisé dès 1999 dans les investigations et assainissements de sites pollués, tout d'abord dans le privé, puis en tant qu'autorité. Actuellement, Yves Degoumois est Chef de section Sites pollués, sols et eaux souterraines du Service de l’environnement (SEN) du canton du Valais.

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