Plateforme pour l’eau, le gaz et la chaleur
Article technique
14. février 2019

Journée technique des distributeurs d’eau potable de Suisse romande

Économies d’eau potable: quels impacts pour les distributeurs?

Depuis une quarantaine d’années, hormis quelques saisons exceptionnelles, la consommation d’eau potable en Suisse est en constant recul alors même que la population résidente ne cesse d’augmenter. Dans les années 1980, la consommation moyenne par habitant se situait aux environs de 500 litres par jour. Les statistiques les plus récentes parlent de 300 litres. Ces économies d’eau sont une bonne nouvelle pour quiconque se préoccupe de préservation des ressources. Mais on sera peut-être étonné de savoir que cette évolution positive pose néanmoins de nouvelles questions qui n’ont rien d’anodin quand il s’agit de garantir le maintien de la qualité de l’eau au robinet et le financement de son service. Ces préoccupations étaient au programme de la journée technique annuelle des distributeurs d’eau potable de Suisse romande (DER) qui, le 30 janvier 2019 à Yverdon-les-Bains, réunissait quelque 220 participants.
Bernard Weissbrodt 

Chiffres et graphiques à l’appui, Matthias Freiburghaus, conseiller technique au siège zurichois de la Société suisse de l’industrie du gaz et des eaux (SSIGE), dresse un tableau détaillé de l’évolution de la distribution d’eau potable entre 1982 et 2017. Tous les chiffres sont à la baisse: - 25% pour l’approvisionnement total et - 18% pour la vente (- 0.6% en moyenne par an). Mais il faut aussi avoir à l’esprit que durant cette même période, la population suisse résidante s’est accrue de 2 millions de personnes (passant de 6,3 à 8,4 millions, soit 33% de plus). De ce fait, la diminution de la consommation par habitant est encore plus forte: - 43 % d’approvisionnement total en eau et - 38 % d’eau vendue.

On en connaît les principales raisons: il y a d’abord le fait que de nombreuses entreprises grandes consommatrices d’eau ont disparu du paysage économique suisse (certaines ont parfois délocalisé leur production à l’étranger) et que le secteur des services, devenu de plus en plus important, est relativement peu gourmand en eau. Il y a ensuite la prise de conscience de la population de la nécessité de freiner le gaspillage de la ressource par le changement de comportements personnels et l’acquisition d’équipements domestiques davantage économes en eau. Il faut mettre également à l’actif des distributeurs d’eau leurs efforts pour résorber les pertes dans les réseaux d’eau en s’équipant de technologies de plus en plus performantes pour la détection des fuites. Mais il convient d’ajouter aussi à ce tableau plusieurs points d’interrogation liés aux possibles impacts des changements climatiques (voir les informations complémentaires en fond de page).

Qualité de l’eau et financement des services en point de mire

Du point de vue des services de l’eau, constate Matthias Freiburghaus, cette évolution de la consommation a plusieurs impacts négatifs. D’abord sur la qualité de l’eau, ce qu’il est aisé de comprendre: si moins d’eau circule dans le réseau de distribution d’eau potable et dans celui de l’évacuation des eaux usées, les risques de la voir stagner dans les tuyaux augmentent surtout quand ceux-ci sont surdimensionnés; et qui dit stagnation ou renouvellement d’eau insuffisant, dit aussi développement de bactéries, dépôts de sédiments et corrosion des conduites. Il faut alors augmenter la fréquence des contrôles et purger les réseaux, ce qui entraîne des coûts supplémentaires et renchérit le prix de l’eau.

La baisse de consommation a également des répercussions négatives sur le financement des services de l’eau: si les ventes reculent, les distributeurs - qui doivent respecter le principe du recouvrement de leurs coûts - n’ont pas d’autre option, pour équilibrer leurs comptes et financer la totalité de leurs charges, que d’augmenter le tarif de l’eau et la facture de base des usagers en fonction des infrastructures qu’ils utilisent (indépendamment des volumes d’eau consommés). La SSIGE recommande par exemple à ses membres d’instaurer un système tarifaire qui couvre au moins 50% des frais par des recettes fixes. Un sous-financement pourrait entraîner des conséquences fâcheuses sur la maintenance des installations et sur les capacités professionnelles des services d’eau.

Reste la difficulté, pour tout distributeur, de faire passer dans le public le message qui veut qu’à plus ou moins long terme, «les consommateurs n’économisent pas de l’argent en économisant de l’eau». Ce qui - c’est là tout le dilemme - n’est pas non plus la meilleure façon de militer contre le gaspillage. Cependant Matthias Freiburghaus met en évidence que si l’on veut obtenir un effet écologique significatif, il faut alors éviter de gaspiller l’eau chaude, car un litre d’eau chaude (au robinet) requiert en moyenne 150 fois plus d’énergie qu’un litre d’eau froide!

 

Les incontournables pics de consommation

Alors que la consommation moyenne d’eau potable est à la baisse, les pics de demande sont plutôt à la hausse (de 4% depuis 2003). Faut-il dès lors dimensionner les réseaux d’eau potable en fonction de la consommation moyenne des usagers (ce qui risque de faire problème lorsque la demande sera exceptionnellement beaucoup plus forte) ou en fonction de ces pics de demande (ce qui entraînera la plupart du temps une sous-utilisation des conduites)? Là non plus, les distributeurs n’ont guère le choix de la réponse. Comme dit l’expert de la SSIGE: «ce n’est pas la demande moyenne qui définit la capacité hydraulique, mais les pointes de demande».

C’est ce que Stéphane Storelli appelle, non sans humour, «l’art de se mettre sur son 31». Chef de service dans le groupe ALTIS qui chapeaute désormais divers services techniques de Bagnes (Valais), il sait, sans doute mieux que beaucoup d’autres, ce que signifie un «pic de demande». Parce que sa commune, dont fait aussi partie la station de Verbier, qui compte environ 9000 résidents à l’année mais une majorité de résidences secondaires, peut accueillir jusqu’à quelque 50’000 habitants de plus en haute saison. Ce qui engendre de très fortes variabilités de la demande en eau.

C’est le défi de tout distributeur d’eau: garantir une alimentation d’eau en quantité suffisante, d’une qualité non négociable, à une pression suffisante, en tout temps (même le 31 décembre) et en tous lieux (y compris dans des habitations peu occupées une bonne partie de l’année). Pour remplir sa mission dans une station touristique dont la demande en eau varie autant d’une saison, voire d’un jour à l’autre, le distributeur d’une infrastructure performante tout en sachant qu’elle sera sous-utilisée, ne peut pas en faire payer équitablement le prix sur la base de la consommation. D’où un système de tarification qui repose avant tout sur le «service souscrit» facturé sous forme de taxes diverses (raccordements, frais administratifs, défense incendie ou autres).

Qu’en pensent les consommateurs?

Il n’existe pas (sauf erreur) en Suisse, d’association d’usagers de l’eau. Et pour cause: dans la majorité des cantons, le pouvoir de décision pour la gestion de l’eau appartient aux communes et c’est dans les assemblées communales que les citoyens consommateurs sont (en principe) à même d’obtenir toutes les explications souhaitées.

Invitée à cette journée technique, Laurianne Altwegg, responsable Énergie Environnement et Agriculture de la Fédération romande des consommateurs (FRC) confirme que «la distribution d’eau n’est généralement pas un sujet problématique» et que les usagers «se plaignent peu des distributeurs d’eau» auprès de son association.

Mais la FRC - qui partage avec les distributeurs la même volonté de promouvoir l’eau du robinet face à l’eau en bouteilles - reçoit cependant régulièrement des questions pratiques et des témoignages sur les usages de l’eau, des craintes liées à la dégradation de la ressource ou à la privatisation des services de l’eau, des plaintes concernant l’augmentation des tarifs, etc. Autrement dit, «la relation distributeurs-consommateurs pourrait être améliorée».

Laurianne Altwegg note par exemple qu’il est très difficile pour l’usager des services de l’eau, «captif et peu informé», de s’y retrouver dans l’extrême diversité des prix de l’eau vu que les 3000 distributeurs suisses recourent à des modèles différents de tarification [1]; difficile aussi de comprendre le principe d’un abonnement forfaitaire qui n’incite pas aux économies d’eau; difficile encore de s’opposer à sa facture d’eau puisqu’il s’agit de décisions politiques et d’un monopole, et que seul le Surveillant fédéral des prix a les moyens d’analyser les coûts et les tarifs. L’expert de la FRC suggère donc aux distributeurs de rédiger des factures davantage transparentes et dans un langage plus clair [2], d’appliquer des structures tarifaires plus faciles à déchiffrer, et de pratiquer des tarifs équitables pour toutes les catégories de consommateurs.

Notes

[1] D’après les chiffres de la FRC qui illustrent la disparité des prix de l’eau, le tarif moyen du mètre cube (assainissement non compris) est en Suisse de 1.97 franc (minimum 0.37 fr. / maximum 7.60 fr.) et en Suisse romande de 2.05 fr.

De son côté, la SSIGE estime qu’au cours des vingt dernières années le prix brut de l’eau a augmenté en moyenne suisse de 1.6 % par année. L’augmentation nette du prix, en tenant compte de l’inflation et de la diminution de la quantité vendue, se monte à 0.4% par an dans la même période, ce qui s’explique, selon l’interprétation qu’en donne l’association faîtière, par l’augmentation des frais d’exploitation, surtout suite à la professionnalisation du secteur, par une sécurité d’approvisionnement élevée, ainsi que par la réduction des subventions pour l’infrastructure.

[2] Il n’est toutefois pas inutile de rappeler qu’en Suisse les locataires, qui sont nettement plus nombreux que les propriétaires, ne voient pratiquement jamais de facture de consommation d’eau car celle-ci est la plupart du temps comprise dans les charges générales de leur loyer.

Infos complémentaires: Se préparer à l’impact des changements climatiques

Exemple dans la région de Vevey-Montreux: le Service intercommunal de gestion (SIGE) a fait mener une étude approfondie sur les possibles impacts que pourraient avoir les changements climatiques sur plusieurs sources des Préalpes et quelles mesures il conviendrait de prendre en conséquence. Olivier Paschoud, responsable de la distribution de l’eau au SIGE, explique que les résultats de cette recherche restent entachés d’une grande incertitude.

Toutefois on peut déjà prévoir qu’en plus des grands étiages qui jusqu’ici se produisaient le plus souvent à la fin de l’hiver et au début du printemps, des épisodes tout aussi importants surviendront également dans le futur à la fin de l’été et au début de l’automne. Les prévisions des débits moyens d’étiage tablent sur une diminution de 8 à 11% vers 2030 et de 22 à 29% à l’horizon 2075. À noter que durant les récentes périodes de sécheresse, le SIGE a pu compenser le déficit des sources en augmentant de 15 à 50% la part de l’eau puisée dans le Léman.

Entre autres solutions d’avenir, Olivier Paschoud cite un meilleur entretien du réseau, des interconnexions avec des réseaux voisins, l’augmentation de la capacité de production là où c’est possible, la remise en service de ressources abandonnées ou la recherche de ressources complémentaires, voire la construction de retenues d’eau.

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