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Article technique
03. janvier 2019

Projets «Phytos 62a»

Mesures de réduction et monitoring des pesticides dans les eaux de surface

Cette synthèse de deux projets 62a illustre à l’aide d’exemples les effets des mesures de réduction des risques liés aux produits phytosanitaires (PPh) sur les données du monitoring. Au vu des multiples facteurs d’influence externes aux projets, ce lien entre les mesures prises par les agriculteurs et les données chimiques, biologiques et écotoxicologiques est parfois difficile à caractériser. Néanmoins, l’analyse des données de ces deux projets pilotes en Suisse permet de tirer de nombreuses leçons pour les projets en cours ou futurs, ainsi que pour le plan d’action PPh.
Silwan Daouk, Tobias Doppler, Irene Wittmer, Marion Junghans, Mathieu Coster, Christian Stamm, 

INTRODUCTION

L’utilisation de produits phytosanitaires (PPh) dans l'agriculture a pour conséquences que certains résidus ou métabolites finissent en partie dans les cours d’eau et portent atteinte à leurs biocénoses. En effet, les résultats des études spécifiques menées dans le cadre de l’observation nationale de la qualité des eaux de surface (NAWA SPEZ) montrent que ces atteintes sont d’autant plus importantes que le cours d’eau est petit et fortement influencé par l’agriculture [1, 2]. Afin de réduire les apports de PPh dans les eaux superficielles, et surtout les risques pour les organismes vivants, de multiples mesures de mitigation sont aujourd’hui proposées aux agriculteurs: réduction d’usage, substitution et/ou optimisation du système de culture [3, 4].
Les projets pilotes du Boiron de Morges (VD) et du ruisseau des Charmilles (GE) sont basés sur l’article 62a de la loi sur la protection des eaux (LEaux; [5]). Ils ont respectivement reçu le soutien de la Confédération dès 2005 et 2008, afin de mettre en place des mesures dans l’agriculture pour réduire la pollution des eaux par les PPh. Durant de nombreuses années, les cantons ont récolté des données sur l’application de ces mesures, ainsi que sur la qualité chimique et biologique de ces deux cours d’eau grâce aux savoir-faires alors à disposition. À l’aide de ces remarquables jeux de données, il est possible d’identifier les relevés nécessaires ainsi que les facteurs à considérer pour une interprétation correcte des effets de la mise en place de mesures de réduction de la pollution des eaux par les PPh sur la qualité des eaux de surface.
Cette synthèse des apprentissages liés à ces deux projets «Phytos 62a» a ainsi pour objectif de mieux comprendre comment évaluer la mise en œuvre des mesures d’amélioration de la qualité des eaux de surface. À l’aide d’exemples, le lien entre les données de monitoring récoltées dans le cadre de ces projets de longue durée et les mesures appliquées par les agriculteurs est ici analysé et explicité. Dans une perspective de partage d’expérience, cette synthèse doit permettre de faire certaines recommandations pour les projets en cours ou futurs, ainsi que pour le suivi de la mise en place des mesures de réduction du plan d’action PPh au niveau national [4].

PROJETS ET MESURES ASSOCIÉES

Ruisseau des Charmilles

Le projet pilote 62a du ruisseau des Charmilles (GE) s’est déroulé sur six ans, de 2008 à 2013 [6], et quelques subventions supplémentaires ont été allouées en 2014 et 2015. Le bassin versant du ruisseau des Charmilles situé en amont de la station d’échantillonnage (136,5 ha) comporte principalement de la vigne (68%), mais aussi des cultures de plein champ (5%), des zones urbaines (5%), de la forêt (3%) et des prairies (2%) (fig. 1A). Entre 2009 et 2015, des conventions ont été signées entre la Direction générale de l’agriculture et de la nature (DGAN) et neuf viticulteurs sur les vingt que comporte la zone
étudiée.
Les mesures prises étaient de différente nature (tab. 1), et étaient subventionnées par la Confédération et le canton de Genève. L’enherbement des interlignes dans la vigne a représenté la mesure la plus significative dans le bassin versant du ruisseau des Charmilles. D’autres mesures, comme la lutte contre le ver de la grappe par confusion sexuelle, ont uniquement fait l’objet de subventions cantonales octroyées durant deux ans (2012–2013) à tous les viticulteurs du bassin versant, y compris à ceux qui ne faisaient pas partie du projet 62a [6]. Cette mesure avait pour objectif la moindre utilisation d’insecticides, notamment du méthoxyfénozide [7]. Enfin, l’installation d’une station de lavage/remplissage avec bio-épuration a permis aux viticulteurs de remplir et nettoyer leurs pulvérisateurs en toute sécurité pour le cours d’eau.

Boiron de Morges

Le Boiron de Morges (VD) possède un bassin versant de 33,5 km2, dont environ 44% sont occupés par des cultures de plein champ (fig. 1B), à savoir 20% de blé, 7% de maïs, 5,5% de colza et 5,5% de prairies artificielles, mais aussi des légumineuses (2%), de la betterave (1%), de la pomme de terre (< 1%) et du maraîchage (< 1%). Le reste du bassin versant est occupé à 28% par de la forêt, 5,5% par de la vigne et 2% par l’arboriculture, et comporte des zones urbaines (5,5%) et des prairies permanentes (4%). Le projet 62a a démarré en 2005 et se trouve actuellement dans sa troisième phase qui durera jusqu’en 2022. Entre 2005 et 2016, les conventions signées entre la Direction générale de l’agriculture, de la viticulture et des affaires vétérinaires (DGAV) et les agriculteurs sont passées de 10 à 69, lesquelles représentaient alors 867 ha, soit 39% de la surface agricole utile (SAU) du bassin versant (fig. 2B). Toutefois, les zones de prairies, ainsi que les cultures maraîchères ne pouvaient pas être soumises aux mesures proposées dans le cadre du projet. Ainsi, ce sont finalement environ 80% des agriculteurs concernés qui ont participé à ce projet sur une base volontaire. Durant la première phase du projet (2005–2010), la substitution d’herbicides problématiques par des substances actives moins nocives pour la qualité de l’eau a représenté la plus grande partie des mesures prises (tab. 1). Puis, lors de la deuxième phase (2011–2016), des mesures plus contraignantes ont pris le dessus, à savoir des mesures de lutte contre le ruissellement, comme la mise en place de bandes herbeuses et de prairies permanentes, ou encore la réduction de l’utilisation d’herbicides dans les cultures de plein champ. La mise en place de stations de lavage, ainsi que l’équipement de cuves pour le rinçage des pulvérisateurs au champ ont également été des mesures importantes de lutte contre la pollution ponctuelle.

Comparaison des deux projets

Les mesures prises dans le bassin versant du ruisseau des Charmilles consistaient majoritairement à enherber les vignes. Dans le Boiron de Morges, les vignes étaient déjà largement enherbées et les efforts ont été mis principalement sur la substitution de substances ainsi que sur la lutte contre le ruissellement dans les cultures de plein champ. Dans les deux projets, des séances de formation ont été proposées aux producteurs. Ces séances sont parfois aussi ouvertes aux agriculteurs ne faisant pas partie du projet et sont souvent l’occasion de présenter aux agriculteurs des informations concernant l’évolution de la qualité des eaux.

ÉCHANTILLONNAGE, ANALYSE ET ÉVALUATION DES RISQUES

Le ruisseau des Charmilles a été échantillonné toutes les 3 heures de début mars à fin octobre de 2008 à 2015 par le Service de l’écologie de l’eau (SECOE) du canton de Genève à l’aide d’un préleveur automatique situé à la station «Chemin de Brive Aval» (fig. 1A) [7]. Puis, des échantillons composites d’une semaine proportionnels au débit mesuré ont été reconstitués au laboratoire. Dans le cadre du projet du Boiron de Morges, un échantillonnage composite proportionnel au temps a été réalisé sur 24 h à l’aide d’un échantillonneur automatique. Trois stations de monitoring ont été évaluées mais nous ne présenterons ici que les résultats de la station Lac (Tolochenaz), située à l’exutoire du bassin versant (fig. 1B). Huit échantillons composites de 24 h ont été prélevés par an à raison d’un par mois durant la période de culture de mars à octobre et de 2005 à 2016.
Le nombre de substances actives (SA) analysées dans le ruisseau des Charmilles a évolué de 76 à 147 tout au long du projet [8]. Au total et selon les années, sur les 154 SA analysées 114 à 127 étaient homologuées comme PPh, 15 n’étaient plus homologuées et 3 n’étaient pas homologuées comme PPh (DEET, homologué en tant que biocide) ou étaient des adjuvants (piperonyl-butoxide) ou des métabolites (2,6-dichlorobenzamide).
Dans le cadre du projet du Boiron de Morges, le nombre de SA analysées variait selon les années de 36 à 80, en raison de l’évolution des capacités analytiques et des substances ciblées dans le cadre du projet. Au total, sur les 87 SA analysées: 46 à 73 étaient homologuées comme PPh, 12 à 39 n’étaient plus homologuées et 2 n’étaient pas homologuées comme PPh (DEET et triclosan). Sur les 150 molécules appliquées (> 1 kg/an) entre 2009 et 2015, 31 substances ont été analysées, soit 20,6%.
Une évaluation des risques a été réalisée en mettant en relation l’exposition des organismes, i. e. les concentrations mesurées, avec les effets que ces SA ont présenté sur les organismes lors de tests écotoxicologiques. La stratégie d’échantillonnage en continu dans le ruisseau des Charmilles permet de calculer des quotients de risques (QR) chroniques. Ainsi, les concentrations moyennes calculées sur 14 jours ont été comparées aux critères de qualité chronique (CQC) disponibles pour chaque substance, et les risques du mélange ont été calculés séparément pour les végétaux, les invertébrés et les vertébrés [9, 10]. La stratégie d’échantillonnage appliquée jusqu’en 2016 dans le Boiron de Morges (représentative de 2% du temps annuel), ainsi que la différence interannuelle des molécules analysées tout au long du projet, ne permettent pas de calculer des quotients de risques pour ce bassin versant.

ouverture de session

RÉSULTATS ET DISCUSSION

Lutte contre le ruissellement

La somme des concentrations mesurées dans le cadre des projets PPh 62a du ruisseau des Charmilles et du Boiron de Morges variait d’une année à l’autre, sans montrer de réelle tendance à la baisse (fig. 2). En moyenne, les concentrations totales mesurées dans le ruisseau des Charmilles (fig. 2A) étaient de 4,7 µg/l (2008–2015), avec des années plus intenses (2009–2010: 7–7,35 µg/l) et d’autres moins intenses (2012: 2,8 µg/l). Les charges calculées, quant à elles, ont montré une nette diminution de 5,2 à 2,1 kg/an entre 2008 et 2015. Les mesures de débit variaient d’année en année de manière concomitante avec les précipitations sans montrer de tendances. Néanmoins, une diminution des débits de pointe suite aux épisodes pluvieux – sans doute liée à l’enherbement des vignes durant la période végétative – a été observée [7, 8]. Ainsi, le lien entre les mesures prises et les données de concentrations est difficile à établir, mais grâce au calcul des charges qui diminuent dans le temps, il est possible d’affirmer que la quantité de PPh qui arrive dans le cours d’eau a diminué de moitié environ.
Dans le Boiron de Morges, la somme des concentrations était en moyenne plus faible (0,7 µg/l) que dans le ruisseau des Charmilles (fig. 2B). Cela est sans doute dû à une utilisation agricole du sol moins intensive dans le bassin versant: 46% contre 72% dans le ruisseau des Charmilles. De plus, la nature des cultures a certainement aussi une influence sur les concentrations, car les cultures spéciales (viticulture et arboriculture) impliquent plus de traitements (~15 traitements/an) et d’autres types de PPh (fongicides). Enfin, la stratégie d’échantillonnage appliquée ainsi que le nombre et la nature des molécules analysées dans le cadre du projet vaudois ont certainement participé à cette différence observée. En effet, une tendance à la hausse est observée, mais elle est difficile à interpréter car sans doute davantage liée à l’augmentation du nombre de SA analysées et à une meilleure adéquation entre le suivi analytique et les molécules utilisées qu’à une réelle augmentation des concentrations.
Par exemple, le glyphosate et son principal métabolite AMPA ont été mesuré dès 2011, et ces deux substances participaient, en moyenne, à 56% de la somme des concentrations. Toutefois, une baisse des concentrations en glyphosate a pu être enregistrée malgré une utilisation annuelle relativement constante de ~300 kg/an (fig. 3). En effet, aucune mesure de réduction ou de substitution du glyphosate n’était prévue dans le projet. Les mesures de lutte contre le ruissellement ont donc permis une meilleure infiltration des eaux et, avec la mise en place des stations de lavage, une limitation des transferts de résidus et/ou de métabolites de PPh vers les eaux de surface.
Toutefois, réussir à faire le lien entre les mesures prises par les agriculteurs et les concentrations mesurées a nécessité la collecte de données hydrologiques et pluviométriques complémentaires aux Charmilles, et des données d’application dans le cas du Boiron de Morges. De plus, la somme des concentrations seule n’est pas suffisamment informative, le calcul des charges et le lien avec les données d’application ont été ici nécessaires.

Substitution d'herbicides

Dans le cadre du Boiron de Morges, la substitution a été une mesure importante mise en place dès le début du projet. Ainsi, les concentrations mesurées d’atrazine – principalement utilisée dans le maïs [3] – ont diminué dès le début du projet en 2005 par rapport à la période antérieure de 1998 à 2004 (fig. 4A). En effet, jusqu’à son interdiction totale en 2012, notamment à cause des problèmes récurrents de pollution des eaux souterraines [11] et de son pouvoir de perturbation endocrinienne découvert au début des années 2000 [12], l’atrazine a été peu à peu remplacée dans le maïs par d’autres SA: S-métolachlore principalement, mais aussi nicosulfuron, foramsulfuron, terbuthylazine, flufénacet, etc. [3]. Toutefois, seuls la terbuthylazine et le S-métolachlore ont été mesurés dans le cours d’eau au préalable et durant le projet (fig. 4B). De plus, la collecte des données d’application a été réalisée annuellement mais seulement à partir de 2009. Ce qui ne permet malheureusement pas de documenter cette substitution avant 2009. Une fois normalisées par les surfaces concernées, les données d’application permettent de constater une légère réduction d’usage à l’hectare entre 2009 et 2016 (fig. 4C). Néanmoins, bien que tous ces herbicides soient appliqués à de plus faible doses que l’atrazine (à l’exception du S-métolachlore), ils sont également plus toxiques pour les organismes aquatiques (à l’exception du S-métolachlore et du dicamba), notamment le nicosulfuron et le foramsulfuron (fig. 4D).
Dans ce cas précis, il est difficile, d’évaluer de manière exhaustive l’impact réel de la substitution de l’atrazine dans le maïs sur la qualité chimique de l’eau. Ainsi, afin de documenter une substitution, et une potentielle augmentation des concentrations du ou des produits de substitution, il est nécessaire de posséder la capacité analytique de quantifier ces derniers dès l’introduction de la mesure ou, encore mieux, avant le début du projet. Enfin, si les molécules de substitution présentent un profil écotoxicologique plus problématique, il est souhaitable de posséder toutes les données d’application, d’écotoxicologie et de comportement dans l’environnement (volatilisation, sorption, dégradation) pour évaluer correctement le réel bénéfice de la substitution pour les organismes aquatiques. Cet exemple nous montre néanmoins que l’utilisation de l'atrazine tendait à diminuer (fig. 4A), et que le projet 62a a permis la sensibilisation des producteurs et l’accélération des changements de pratiques.

RĂ´le du suivi analytique

Dans le ruisseau des Charmilles, le nombre de SA qui ont dépassé au moins une fois le critère de l’annexe 2 de l’Ordonnance fédérale sur la protection des eaux de 0,1 µg/l (OEaux, [13]) entre 2008 et 2015 était de 70 (sur 154 analysées), et variait entre 21 et 36 selon les années. Les SA qui dépassaient le plus souvent le critère en vigueur pour tous les PPh comprenaient principalement des herbicides (glyphosate, diuron, terbuthylazine) et des fongicides (azoxystrobine, boscalid, fludioxonil, metalaxyl), mais aussi quelques insecticides (méthoxyfénozide, tébufénozide).
Dans le Boiron de Morges, le nombre de SA qui ont dépassé au moins une fois le critère de l’OEaux de 0,1 µg/l entre 2008 et 2015 était de 27 (sur 87 analysées), et variait entre 4 et 11 selon les années. De manière générale, les SA responsables des dépassements étaient principalement constituées d’herbicides (glyphosate, S-métolachlore, métamitrone, etc.). La différence substantielle du nombre de dépassements entre les deux projets s’explique par plusieurs paramètres:

  • L’utilisation du sol: la part de la surface agricole au sein du bassin versant, ainsi que le type de cultures.
  • La stratĂ©gie d’échantillonnage: discret versus continu.
  • La stratĂ©gie analytique: le nombre et le choix des substances analysĂ©es.

En effet, étant donné que les techniques analytiques ont fortement évolué durant les années de ces projets, les molécules suivies variaient fortement d’une année à l’autre. À priori, plus la palette de molécules analysées est large, moins on risque de passer à côté d’un dépassement. De plus, comme les données d’application sont disponibles dans le cadre de ces projets, il est possible de mieux cibler les SA à suivre et de réduire ainsi les coûts d’analyse. Toutefois, si l’on veut réaliser un monitoring exhaustif, il faut connaître toutes les applications, en incluant les parcelles où aucune convention n’a été signée. Le choix des SA à suivre joue également un rôle prépondérant dans l’évaluation des risques écotoxicologiques. En effet, le DEET, le glyphosate et l’AMPA étaient les trois substances actives qui dépassaient le plus souvent le critère de 0,1 µg/l, mais ces substances ne sont pas celles qui exerçaient des effets écotoxicologiques importants.

Ecotoxicologie et indices biologiques

L’évaluation des risques écotoxicologiques à l’aide de critères de qualité a montré que les risques chroniques pour les organismes aquatiques dans le ruisseau des Charmilles étaient élevés à très élevés durant toute la durée du projet (fig. 5). Sur les 167 molécules analysées au moins une fois durant le projet, 95 ont pu faire l’objet d’une évaluation des risques selon des critères de qualité chroniques, soit 56%, et 32 molécules avaient un QR > 1 au moins une fois entre 2008 et 2015. Des dépassements fréquents des CQC ont été observés pour les herbicides diuron et terbuthylazine, pour les fongicides azoxystrobine et fludioxonil, ainsi que pour les insecticides diazinon et méthoxyfénozide. Dans 88% des échantillons, au moins une SA avait un QR > 1 et, dans le pire des cas (du 23 septembre au 6 octobre 2010), un maximum de 12 SA avec un QR > 1 a été enregistré. En moyenne, ce sont trois dépassements de CQC par échantillon de 14 jours qui ont été calculés. Une variabilité saisonnière du nombre de dépassements est observable en lien avec la hausse des concentrations mesurées en été, ainsi qu’une variabilité interannuelle forte avec des dépassements beaucoup plus nombreux en 2009, 2010 et 2011.
À aucun moment, la somme des risques calculés pour les plantes aquatiques ou les invertébrés n’a été inférieure à 1, mais souvent supérieure à 10 (fig. 5). Pour les vertébrés, la somme des risques chroniques était parfois inférieure à 1 mais la plupart du temps supérieure à 1 (données non présentées). Le risque pour les végétaux dû au mélange tend à diminuer entre 2009 et 2012, en lien avec les concentrations des herbicides diuron et terbuthylazine (fig. 5A), puis augmente à nouveau en 2013 principalement à cause de l’herbicide nicosulfuron qui a commencé à être analysé cette année-là (fig. 5B). On constate ici l’importance d’analyser les substances à risque, ce qui suppose de les identifier et d’être capables de les analyser. Concernant le risque pour les invertébrés, certains insecticides (diazinon, méthoxyfénozide et fénoxycarbe) sont les principaux responsables de ces valeurs hautes (fig. 5C), alors que pour les vertébrés, ce sont principalement des fongicides (fludioxonil, tébuconazole et spiroxamine).
Si l’on compare les QR invertébrés à l’indice biologique suisse normalisé (IBCH; selon le système modulaire gradué d’analyse et d’appréciation des cours d’eau [14]) de mars de l’année suivante, on peut suggérer une tendance similaire à l’amélioration (fig. 5C). Toutefois, l’IBCH est un indicateur qui n’est pas spécifique aux PPh et de multiples autres paramètres peuvent l’influencer (teneurs en nutriments, morphologie et régime hydrique du cours d’eau). L’indice SPEcies At Risk (SPEAR) est plus spécifique à la contamination par les PPh et, bien qu’également basé sur le macrozoobenthos, il est relativement moins sensible aux autres facteurs environnementaux (morphologie ou régime hydrologique) que l’IBCH [15]. En effet, dans le Boiron de Morges, une amélioration significative a été révélée pour l’indice SPEAR (p = 0,011) et les espèces d’éphéméroptères, plécoptères et trichoptères (EPT; p ≤ 0,001) de 2000 à 2015 mais pas pour l’IBCH (p = 0,108) (fig. 6). Toutefois, la significativité statistique est perdue si l’on considère uniquement la période depuis le début du projet (2005–2015).
Ainsi, l’évaluation écotoxicologique des données chimiques permet de mieux appréhender les risques pour les organismes aquatiques que la valeur arbitraire de 0,1 µg/l. Toutefois, cette évaluation reste incomplète car aucune valeur de CQC n’était disponible pour de nombreuses substances. En complément, les indicateurs biologiques peuvent montrer une diminution de la pression chimique exercée par les PPh sur la biocénose. Toutefois, pour mettre en évidence des tendances sur le long terme, des compétences spécialisées d’hydrobiologistes sont nécessaires pour obtenir des données de qualité, et comme l’influence de certains facteurs externes peut être importante, celles-ci doivent être évaluées à l’aide d’analyses statistiques.

Influence des facteurs externes

Dans le cadre de ces longs projets, la mise en place des mesures s’est faite graduellement, notamment dans le bassin versant du Boiron de Morges (cf. fig. 2B), et leurs potentiels effets sur les données de monitoring sont susceptibles d’être «noyés» dans l’influence de plusieurs autres facteurs extérieurs:

Chimie
  • Les alĂ©as naturels comme les prĂ©cipitations doivent ĂŞtre considĂ©rĂ©s si l’on pense au ruissellement des substances et l’interprĂ©tation des donnĂ©es de concentrations chimiques. Un Ă©chantillonnage proportionnel au dĂ©bit, comme aux Charmilles, peut permettre de prendre en compte cette variabilitĂ© naturelle et de calculer les charges (cf. fig. 2A).
  • Les Ă©volutions technologiques entre 2005 et 2015, notamment des mĂ©thodes d’analyses multi-rĂ©sidus par LC-MS/MS, ont fortement amĂ©liorĂ© la capacitĂ© des laboratoires Ă  mesurer les rĂ©sidus de PPh dans les eaux.
  • Les interdictions des herbicides atrazine et simazine en 2012, puis de l’insecticide diazinon en 2013 ont participĂ© Ă©galement Ă  diminuer les risques liĂ©s Ă  ces substances.
Écotoxicologie

Les critères de qualité de certains PPh (23) étaient disponibles dans la littérature dès 2006 [16], puis le Centre Écotox en a publié d’autres en 2014 [9] mais ils ne concernent actuellement toujours que peu de molécules (56 PPh) sur la totalité des PPh homologués (~240).

Biologie

L’amélioration du traitement à la STEP de Lully-Lussy en 2012 dans le cadre du Boiron de Morges, ainsi que l’assainissement des effluents de cave dans le cadre du ruisseau des Charmilles ont certainement participé à améliorer les indices biologiques, notamment l’IBCH.

Aussi, à cause de ces facteurs d’influence extérieurs aux projets, et d’une participation partielle des exploitants au sein d’un bassin versant considéré, il s’avère difficile d’établir un lien quantitatif et précis entre les mesures prises par les producteurs et les données du monitoring chimique. De plus, l’évaluation des risques écotoxicologiques reste partielle et l’IBCH est soumis aux variations des teneurs en nutriments du milieu [14].

CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES

Grâce aux nombreuses données récoltées dans le cadre de ces deux projets 62a, cette synthèse a permis d’évaluer le lien entre les changements de pratiques agricoles et la qualité du milieu. Ces projets ont servi de catalyseurs pour inciter les producteurs à tendre vers des pratiques agricoles plus respectueuses des eaux de surface. En effet, les exemples présentés ont montré que l’amélioration de la qualité de l’eau était liée, en partie, aux mesures de lutte contre le ruissellement, grâce notamment au calcul des charges dans le ruisseau des Charmilles et à l’analyse du glyphosate dans le Boiron de Morges. Toutefois, les stratégies d’échantillonnage et d’analyse jouent un rôle important dans l’évaluation de la pollution. Ainsi, le lien entre les mesures prises par les producteurs et les données du monitoring chimique a parfois été difficile à établir. L’évaluation des risques écotoxicologiques étant basée sur les concentrations mesurées, si les SA à risques ne sont pas analysées, l’évaluation sera peu représentative. Les indicateurs biologiques sont plus intégrateurs mais subissent l’influence d’autres paramètres que les PPh, notamment pour l’IBCH. La complémentarité des approches chimiques, écotoxicologiques et biologiques s’est avérée pertinente pour l’interprétation des résultats de ces projets de longue durée. Toutefois, établir un lien quantitatif et précis entre une mesure prise par les producteurs et les données du monitoring demeure difficile (plusieurs mesures prises simultanément, taux de participation et multiples facteurs externes).
Par conséquent, les enseignements issus de ces deux projets pilotes romands permettent de formuler quelques recommandations pour les projets en cours ou futurs, ainsi que pour le plan d’action PPh:

  • Une grande implication des producteurs est nĂ©cessaire Ă  la rĂ©ussite de ce genre de projets. Ainsi les sĂ©ances de formation et les outils de communication intĂ©grateurs, comme la «Lettre du Boiron» [17] sont de bons moyens de les sensibiliser Ă  la qualitĂ© du milieu et de valoriser leurs Actions.
  • Une bonne adĂ©quation entre la collecte des donnĂ©es d’application, la stratĂ©gie d’échantillonnage et les molĂ©cules analysĂ©es est nĂ©cessaire. Cela implique une très bonne collaboration entre les producteurs, les services de l’agriculture et ceux de la protection des eaux; si possible avant le dĂ©but du projet. Concrètement, cela signifie la mise en place d’un Ă©change de donnĂ©es en tout temps afin de rendre possible une interprĂ©tation commune des rĂ©sultats, et, par consĂ©quent, suffisamment de ressources Ă  disposition, tant humaines que budgĂ©taires.
  • La caractĂ©risation, si possible quantitative, au sein du bassin versant de tous les facteurs externes aux projets susceptibles d’influencer les rĂ©sultats du monitoring de manière non nĂ©gligeable est fortement souhaitable.
  • L’utilisation des bons indicateurs et des donnĂ©es de longue durĂ©e, avec si possible des analyses statistiques, sont des prĂ©requis nĂ©cessaires pour Ă©valuer correctement les effets Ă  long terme des mesures prises par les producteurs sur les organismes aquatiques.

 

Evaluation des risques Ă©cotoxicologiques

Des quotients de risque (QR) ont été calculés à partir des concentrations mesurées (MEC) pour les substances pour lesquelles suffisamment de données écotoxicologiques étaient disponibles pour établir des critères de qualité (CQ), ou normes de qualité environnementale (NQE) [18]:

QR=MEC/CQ

Il est ainsi défini que des effets négatifs sur les organismes aquatiques ne peuvent être exclus si le QR est supérieur à 1.

Afin d’évaluer le risque que pose la toxicité du mélange de substances, le risque est communément calculé en faisant la somme des quotients de risque des substances qui le composent [2]. Étant donné, cependant, que les produits phytosanitaires sont souvent spécifiquement toxiques pour un groupe d’organismes donné, il a été proposé de calculer le QR du mélange en ne prenant en compte pour chaque groupe y que les QR des n substances auxquelles le groupe est fortement sensible [10]. Le risque dû au mélange peut ainsi être calculé séparément pour les végétaux, les invertébrés et les vertébrés, et le risque considéré pour le cours d’eau est alors celui du groupe d’organismes le plus affecté.

BIBLIOGRAPHIE

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[14] Stucki, P. (2010): Méthodes d’analyse et d’appréciation des cours d’eau en Suisse. Macrozoobenthos – niveau R. In: L’environnement pratique, OFEV, Berne, p. 61
[15] Liess, M.; Von der Ohe, P.C. (2005): Analyzing effects of pesticides on invertebrate communities in streams. Environmental Toxicology and Chemistry, 24: 954–965
[16] Chèvre, N. et al. (2006): Pestizide in Schweizer Oberflächengewässern. GWA Gas, Wasser, Abwasser 2006: 297–307
[17] La Lettre du Boiron n°13, 2018. https://www.vd.ch/fileadmin/user_upload/themes/environnement/eau/fichiers_pdf/DIREV_PRE/Boiron_Lettre_2018.pdf
[18] Junghans, M.; Kase, R.; Chèvre, N. (2012): Qualitätskriterien für Pflanzenschutzmittel – Methode zur Herleitung von Qualitätskriterien für PSM in Schweizer Oberflächengewässern. Aqua & Gas 11/2012: 16–22

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier vivement les personnes des différents services cantonaux vaudois et genevois pour la mise à disposition des données, les discussions intéressantes et leurs commentaires constructifs sur l’article: Florence Dapples, Nathalie Menetrey et Cécile Plagellat de la Direction générale de l’environnement (DGE-VD); André Zimmermann et Pascal Mayor de la Direction générale de l’agriculture, de la viticulture et des affaires vétérinaires (DGAV-VD); François Pasquini de l'Office cantonal de l’eau (OCEau-GE); Aline Bonfantini-Martin, Alain Bidaux et Dominique Fleury de la Direction générale de l’agriculture et de la nature (DGAN-GE). Merci aussi à Simon Spycher de l'Eawag pour ses commentaires avisés.

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