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Article technique
29. mars 2022

Insecticides dans les eaux de surface

Risques des insecticides pyréthrinoïdes et organophosphorés

Les résultats des mesures NAWA MP 2019 relatives aux insecticides pyréthrinoïdes et organophosphorés montrent qu’ils sont détectés dans tous les cours d’eau surveillés à des concentrations certes faibles mais qui représentent des risques importants pour les organismes aquatiques. En effet, les critères de qualité écotoxicologiques ont été dépassés 248 fois de mars à octobre 2019 dans les 17 stations considérées. Ces résultats confirment que sept substances actives d’insecticides représentaient plus de 60% des risques totaux liés à environ 60 pesticides.
Silwan Daouk, Tobias Doppler, Ruth Scheidegger, Alexandra Kroll, Marion Junghans, Christoph Moschet, Heinz Singer, 

Les insecticides, utilisés comme produits phytosanitaires (PPh) ou comme biocides, sont régulièrement détectés dans les eaux superficielles suisses. Bien que leurs concentrations mesurées dans divers programmes de surveillance ces dernières années soient faibles, les substances actives insecticides ont entraîné plusieurs dépassements des valeurs légales dans toute la Suisse [1, 2]. Les substances actives insecticides de la famille des pyréthrinoïdes (Pyr) et des organophosphorés (OrgP; dans cet article cette abréviation comprend le chlorpyrifos et le chlorpyrifos-méthyl uniquement) sont particulièrement toxiques pour les organismes aquatiques [3–5]. En effet, les critères de qualité (CQ) écotoxicologiques des Pyr & OrgP sont inférieurs à la valeur générale de 100 ng/l de l’ordonnance fédérale sur la protection des eaux (OEaux) et même inférieurs à 1 ng/l souvent.

Les insecticides pyréthrinoïdes et organophosphorés

Dans une récente étude de l’Agroscope, les modélisations des chercheurs ont montré que les applications phytosanitaires des Pyr & OrgP contribuaient à 99% au risque total lié aux PPh dans les eaux de surface [6]. Lors des premières campagnes de mesures dans les eaux superficielles suisses en 2017 et 2018, les résultats ont confirmés que ces substances actives étaient responsables de la plupart des risques [7]. Toutefois, ces résultats étaient limités à 6 stations de mesure et une vue d’ensemble de la situation en Suisse manquait jusqu’à présent. Depuis 2019, de plus amples données issues de stations de mesure plus nombreuses sont disponibles grâce au réseau de l’observation nationale des micropolluants (NAWA MP). L’objectif de cet article est ainsi de présenter, pour la première fois, une vue d’ensemble de l’exposition aux Pyr & OrgP pour toute la Suisse.
Les pyréthrinoïdes sont contenus dans des PPh, ainsi que dans divers produits biocides [4, 8]. Les insecticides organophosphorés chlorpyrifos et chlorpyrifos-méthyl étaient contenus dans des PPh en 2019, lesquels sont interdits en Suisse depuis juillet 2020. La quantité totale de substances actives de Pyr & OrgP vendue comme PPh est restée relativement stable entre 2016 et 2019 (~12 t/an) [9]. Concernant les produits biocides, aucunes données de vente ne sont disponibles mais une récente étude a estimé les quantités annuelles de substances actives d’insecticides vendues en tant que biocides [8]. Avec des quantités totales vendues estimées entre 1 et 12 t/an, le groupe des pyréthrinoïdes dominait clairement le marché des biocides utilisés dans la lutte contre les insectes [8]. Parmi ceux-ci, la perméthrine était la substance active pyréthrinoïde la plus vendue (cf. tab. 2).
Dans le cadre de NAWA MP, les pyréthrinoïdes sont analysés seulement depuis 2019. En effet, la quantification des insecticides pyréthrinoïdes dans les échantillons environnementaux est depuis longtemps un défi méthodologique [10, 11]. Ceci d’autant plus en considérant le faible niveau de leurs CQ, lequel implique des méthodes analytiques avec des limites de quantification (LOQ) très basses pour pouvoir l’atteindre. L’Eawag a récemment développé une méthodologie pour la détection des pyréthrinoïdes à de très faibles concentrations, atteignant même le pg/l (10–12 g/l), ce qui est mille fois inférieur aux limites de détections usuelles pour les autres pesticides (ng/l, 10–9 g/l) [12]. Cette méthode permet également la quantification des organophosphorés de manière sensible. Parallèlement, les laboratoires cantonaux de protection des eaux ont aussi développé des méthodes très sensibles pour la quantification des Pyr & OrgP grâce à un échange intensif dans le cadre d’une «Task Force Pyréthrinoïdes» [13].
L’analyse des données 2019 des concentrations des Pyr & OrgP issues des stations de mesure NAWA MP avait pour objectifs spécifiques de répondre aux questions suivantes:

  • Ces substances actives insecticides (Pyr & OrgP) sont-elles dĂ©tectĂ©es dans les eaux de surface de manière gĂ©nĂ©ralisĂ©e en Suisse?
  • Quels sont les occurrences temporelles et spatiales des dĂ©passements de critères de qualitĂ©?
  • Quelle proportion des risques environnementaux liĂ©s aux pesticides reprĂ©sentent les Pyr & OrgP?
  • Peut-on observer des diffĂ©rences entre les substances actives homologuĂ©es en tant que produits phytosanitaires et celles en tant que produits biocides?

MĂ©thodes

Données considérées

Cet article se focalise sur le jeu de données de NAWA MP de l’année 2019, lequel comprend les valeurs de 17 stations de mesures (tab. 1), dans lesquelles entre 7 et 18 pyréthrinoïdes et organophosphorés ont été quantifiés soit par les laboratoires de protection des eaux des cantons de BE, SG, SH et ZH, soit par l’Eawag. Ainsi, pour chaque station de mesure, le nombre de substance analysées ainsi que la durée d’échantillonnage et les limites de quantifications différaient parfois sensiblement. Lors de l’interprétation des résultats, nous avons pris en compte ces différences autant que possible.
Pour une station de mesure (Chrümmlisbach, BE), des valeurs mesurées pour les Pyr & OrgP sur trois années consécutives étaient disponibles. Les données 2017 et 2018 ont en effet déjà été publiées par Rösch et al. (2019, [7]) et il nous paraissait intéressant de choisir cet exemple afin d’analyser l’évolution des risques chroniques du mélange des Pyr & OrgP (explications ci-après) de 2017 à 2019.

Echantillonnage

Dans le cadre de NAWA MP la stratégie d’échantillonnage générale est de prélever des échantillons composites de 14 jours tout au long de l’année [2]. Ceux-ci sont constitués d’échantillons unitaires prélevés à intervalles de temps réguliers à l’aide d’échantillonneurs réfrigérés à 4 °C. Toutefois, l’analyse des Pyr & OrgP dans les 17 stations de mesures considérées n’a eu lieu que de mars à octobre 2019. Dans 12 de ces stations, des échantillons composites de 3,5 jours ont été prélevés d’avril à juillet puis les résultats de quatre échantillons ont été moyennés pour obtenir des échantillons de 14 jours de mars à octobre (tab. 1). Aussi, dans ces stations de mesures les résultats présentés sont issus d’un mélange entre des échantillons de 14 jours mesurés (mars, août à octobre) et recalculés à partir des échantillons 3,5 jours (avril à juillet).

Méthodes d’analyse

Les techniques d’analyses utilisées pour quantifier ces molécules dans les eaux de surface reposent toutes sur une étape d’extraction liquide-liquide suivie d’une séparation chromatographique en phase gazeuse couplée à une détection par spectrométrie de masse en tandem (LLE-GC-MS/MS). Les différentes méthodes cantonales sont décrites plus en détails dans Moschet et al. (2019, [13]) et celle de l’Eawag dans Rösch et al. (2019, [12]). Le nombre de substances analysées variait entre 7 et 18 selon les stations de mesures (tab. 1). Les différences de limites de quantifications (LOQ) pour les différentes molécules analysées sont liées aux différents appareils utilisés, et notamment à leurs différentes techniques d’ionisation.

Méthode d’évaluation du risque
Critères de qualité (CQ)

Pour évaluer la qualité écotoxicologique des eaux, les concentrations environnementales mesurées sont comparées aux critères de qualité chroniques (CQC) spécifiques aux substances. Les CQC des différentes molécules sont présentés dans le tableau 2. Seuls les critères de qualité écotoxicologiques suffisamment robustes et dérivés conformément au guide technique de la directive cadre sur l’eau (DCE) de l’UE [14] ont été utilisés. Plus précisément, ce sont des critères de qualité pour lesquels une recherche exhaustive des données de toutes les études disponibles ont été compilées et un contrôle qualité externe a été réalisé. Ainsi, ils diffèrent légèrement de ceux publiés en 2017 [4] et ceux présentés dans Rösch et al. (2019, [7]) car nous n’avons pas utilisé ici des CQ ad-hoc (les critères de qualité «ad-hoc» sont des CQ pour lesquels des dossiers complets comprenant une recherche exhaustive de toutes les études possibles n’ont pas été élaborés, ni pour lesquels un contrôle qualité externe des données n’a pu être réalisé) et parce que certains ont été révisés suite à l’évolution des connaissances en écotoxicologie.
Les CQ du chlorpyrifos et de la cyperméthrine sont également inscrits dans l’Annexe 2 de l’OEaux en tant qu’exigences numériques à respecter (tab.2). Toutefois, l’interprétation des valeurs mesurées s’est faite sans distinction entre les substances ayant des exigences chiffrées dans l’OEaux et celles qui n’en ont pas.
Les différentes méthodes d’analyse décrites ci-dessus ne permettent pas toujours d’atteindre une sensibilité suffisante pour vérifier le niveau de risque qu’une substance peut poser aux écosystèmes aquatiques. En effet, pour certaines molécules, la LOQ d’un ou plusieurs laboratoires se situe au-dessus du CQC. Aussi, nous avons répertorié dans le tableau 2 le pourcentage des valeurs mesurées pour lequel la LOQ était inférieure au CQC. Lorsque ce dernier se situe au-delà de 80% nous estimons que l’évaluation du risque présentée ci-après est très robuste et permet de tirer toutes les conclusions possibles. Inversement, lorsque ce pourcentage est inférieur à 80%, l’interprétation est délicate et les risques associés à ces substances sont a priori sous-évalués. En effet, nous supposons l’existence de dépassements de CQ non détectés, car dans certains cas (ou même dans tous les cas pour la deltaméthrine) dès que la substance est quantifiée, elle dépasse son CQC.

Quotients de risque (QR)

Le rapport entre la concentration mesurée et le CQ est appelé Quotient de Risque (QR). Les QR chroniques (QRC) sont calculés sur la base des concentrations mesurées des échantillons composites de 14 jours et les CQC. Junghans et al. (2018, [15]) ont démontré que ces durées d’échantillonnage étaient comparables avec les durées des tests écotoxicologues desquels sont dérivés les CQ. Ainsi, si l’échantillon montrait un QRC supérieur à 1, des risques chroniques pour les organismes aquatiques ne pouvaient pas être exclus. Dans cet article, seuls les risques chroniques ont été considérés.

Quotient de risque chronique du mélange (QRmix)

Au-delà des quotients de risque de chaque substance, l’évaluation de la toxicité environnementale du mélange de substances permet d’estimer la pression chimique subie par les organismes aquatiques durant un temps d’exposition donné (ici 14 jours). Ainsi, le quotient de risque chronique du mélange (QRCmix) est calculé en additionnant les quotients de risque relatifs aux substances individuelles:


Cela est rendu possible si les organismes cibles les plus sensibles sont similaires [16]. Aussi, avec des valeurs de QRCmix supérieures à 1 les risques pour le groupe d’organismes considéré ne peuvent pas être exclus. Dans notre cas, toutes les valeurs de CQ des Pyr & OrgP se rapportent aux invertébrés aquatiques, à l’exception du CQC de la deltaméthrine pour lequel tant les invertébrés que les vertébrés représentent les groupes cibles les plus sensibles.
Afin d’évaluer la proportion des risques liés aux insecticides Pyr & OrgP sur l’ensemble des pesticides, le rapport entre le QRCmix des 7 substances avec des CQC (tab. 2) et le QRCmix des 55 à 68 substances mesurées selon les stations est calculé. Pour ce dernier, nous avons additionné sans condition les QR individuels pour chaque échantillon considéré, car nous voulions estimer cette proportion par rapport à l’ensemble des organismes aquatiques. Cette approche conservative d’addition simple est proposée si les modes d’action de chaque substance individuelle ne sont pas entièrement connus [17].

RĂ©sultats

Détections dans tous les cours d’eau

Du point de vue de l’occurrence spatiale des insecticides Pyr & OrgP, 14 substances différentes ont été détectées dans l’ensemble des 17 stations de mesure considérées et, dans chaque station, au moins 3 substances différentes ont été détectées (tab. 1). Le nombre de substance détectées par station de mesure est compris entre 3 et 8 substances. Le nombre de substances et le nombre d’échantillons analysés différaient entre les stations de mesure ce qui peut avoir influencé le nombre de substances détectées par station. En effet, celui-ci était élevé (7–8) là où le nombre de substances analysées était le plus élevé (10-18). A l’inverse, là où le nombre de substances analysées était plus limité (7), il n’est pas exclu que les substances détectées auraient été plus nombreuses. Cet exemple nous permet de dire que les résultats présentés ici sont les plus complets à ce jour, mais qu’ils restent partiels et encore fortement dépendants de l’étendue de l’analyse et des limites de quantification.

Du point de vue des substances actives, les 2 OrgP chlorpyrifos et chlorpyrifos-méthyl ont été détectés dans toutes les stations de mesure considérées (17), et les différents Pyr ont été détectés de manière plus ou moins répandue (1–11 stations de mesure; tab. 2). Il est aussi important de noter ici que 5 substances n’ont pas été détectées: fenvalerate, acrinathrine, phénothrine, métofluthrine, empenthrine.

Distribution des concentrations

La plupart (83%) des valeurs quantifiées sont inférieures à 1 ng/l (fig. 1), d’où la nécessité de disposer de techniques d’analyses ultrasensibles. Les concentrations médianes varient entre 0,022 ng/l (téfluthrine) et 0,45 ng/l (perméthrine). Ces valeurs médianes confirment les valeurs similaires obtenues en 2017 et 2018 (0,031–0,4 ng/l) par Rösch et al. [7].
Les concentrations maximales mesurées différaient de plusieurs ordres de grandeur selon la substance (tab. 2). Le chlorpyrifos-méthyl, par exemple, a été quantifié dans le Furtbach (ZH) à 508 ng/l du 1er au 14 avril 2019. Cette concentration très élevée diminue ensuite rapidement à 15 ng/l (14.–28.04.2019). Au-delà de cet exemple extrême, et des 5 substances peu quantifiées (n < 10; cyfluthrine, cyphénothrine, étofenprox, tetraméthrine et tau-fluvalinate), les concentrations maximales variaient entre 0,14 (transfluthrine) et 51 ng/l (perméthrine) (fig. 1 et tab. 2).

Evaluation des risques chroniques

Sur les 7 substances possédant des critères de qualité chroniques (CQC), 6 ont montré des dépassements (fig. 2). Le chlorpyrifos est la substance qui posait le plus de risques envers l’écosystème aquatique avec 65 dépassements du CQC (fig. 2A) dans 10 stations différentes (fig. 2B). Le deuxième insecticide organophosphoré mesuré, le chlorpyrifos-méthyl, comptabilisait 21 dépassements dans 6 stations différentes. Ces 2 insecticides sont interdits en Suisse depuis juillet 2020.
3 substances pyréthrinoïdes montraient également de nombreux dépassements du CQC: la bifenthrine (57 dépassements dans 7 stations), la lambda-cyhalothrine (35 dépassements dans 9 stations) et la cyperméthrine (33 dépassements dans 8 stations) (fig. 2). Bien que les méthodes de quantification de ces 3 substances ne possédaient pas toujours la sensibilité nécessaire (LOQ) pour évaluer les CQC, les résultats de ces trois substances montraient déjà une situation préoccupante. Des dépassements du CQC ont été également observés pour 2 autres substances pyréthrinoïdes: la deltaméthrine (12 dépassements dans 3 stations) et la perméthrine (9 dépassements dans 2 stations). Les risques liés aux pyréthrinoïdes sont probablement sous-évalués parce que la LOQ ne permet pas toujours de vérifier le CQC, notamment pour la deltaméthrine (tab. 2).
En 2019, le nombre de dépassements des critères de qualité chroniques variait de 1 (Küntenerbach, AG) à 34 (Landgraben, SH) selon les stations (tab. 1). Il était supérieur à 20 dans 6 stations, compris entre 10 et 20 dans 3 stations, et inférieur à 10 dans 8 stations.
Avec un total de 248 dépassements, ces résultats montrent les risques chroniques importants que font peser les Pyr & OrgP sur les écosystèmes aquatiques. Ces derniers pourraient être encore plus importants, parce que des CQC robustes n’étaient pas disponibles pour toutes les substances analysées. En effet, la téfluthrine, la transfluthrine et la cyfluthrine montraient 24 dépassements de leurs CQ ad-hoc dans 7 stations différentes, dont 20 dépassements pour la téfluthrine seule. Ces résultats provisoires démontrent la nécessité de développer des critères de qualité robustes pour ces substances potentiellement problématiques..

Evaluation des risques chroniques liés au mélange

Le quotient de risque chronique du mélange (QRCmix) des Pyr & OrgP dans chacune des 17 stations de mesure était supérieur à 1 dans un échantillon au minimum (fig. 3). Dans 15 stations il était supérieur à 1 durant deux mois et demi au minimum (5 échantillons, 30% du temps). En moyenne sur toutes les stations, le QRCmix a été supérieur à 1 durant 59% du temps (tab. 1) et supérieur à 10 durant 23% du temps. Une différence est observée entre la période allant d’avril à juillet et la période allant d’août à octobre, ainsi que le mois de mars. En effet, le CRQmix était supérieur à 1 de manière très répandue d’avril à fin juillet (73% des échantillons). A l’inverse, durant la période allant d’août à octobre, ainsi que durant le mois de mars, le CRQmix était moins régulièrement supérieur à 1 (45% des échantillons).
Dans le Landgraben (SH), le QRCmix était supérieur à 1 durant toute la saison de mars à octobre, et dans le Chrümmlisbach (BE) et le Furtbach (ZH) seul un échantillon montrait un QRCmix inférieur à 1. Dans 4 stations, le QRCmix était supérieur à 10 durant plus de 50% du temps (Landgraben, SH; Chrümmlisbach, BE; Furtbach, ZH; Combagnou, VD) (tab. 1).
A l’inverse, le Küntenerbach (AG) et le Mönchaltorfer Aa (ZH) font figures d’exception avec, respectivement, 1 et 2 échantillons seulement qui présentaient un QRCmix supérieur à 1, mais ceux-ci montraient des valeurs supérieures à 10. Ainsi, ces résultats montrent que, sur de longues périodes et dans de nombreuses stations de mesure, les Pyr & OrgP représentent des risques importants pour les organismes aquatiques.

Comparaison avec les autres pesticides

La contribution moyenne des Pyr & OrgP aux risques totaux liés aux pesticides analysés dans les 17 stations de mesure NAWA de mars à octobre 2019 était de 63% (fig. 4). Celle-ci variait de 27 à 87% selon les stations, avec des valeurs élevées (> 70%) dans le Zapfenbach (SG), le Ballmoosbach (BE), le Beggingerbach et le Landgraben (SH), ainsi que dans le Boiron de Morges et le Combagnou (VD). Ces valeurs relatives sont une appréciation basée sur une hypothèse simple d’addition des risques individuels, et nous n’avons pas tenu compte du groupe-cible d’organismes les plus sensibles pour chaque échantillon. Aussi, la proportion des risques aurait été encore plus grande si nous n’avions tenu compte uniquement des risques relatifs aux invertébrés. Néanmoins, ces résultats confirment que quelques molécules d’insecticides représentent la majeure partie des risques totaux que l’ensemble des pesticides mesurés pose dans la plupart des cours d’eaux analysés. Cela avait été démontré dans le Chrümmlisbach en 2017 par Rösch et al. [7] et modélisé par Korkaric et al. [6] à l’aide d’indicateurs théoriques pour les eaux de surface à l’échelle nationale.

Discussion: PPh versus biocides

Sur les 19 substances mesurées en 2019, 8 substances étaient homologuées uniquement en qualité de biocides, 3 uniquement en tant que PPh, 6 substances possédaient une double homologation et 2 substances n’étaient pas autorisées (tab. 2). Parmi les 3 substances qui étaient uniquement homologuées comme PPh, les 2 insecticides organophosphorés chlorpyrifos et chlorpyrifos-méthyl ont été détectés dans toutes les stations de mesure et montraient de très nombreux dépassements de leurs CQC. La téfluthrine, quant à elle, était détectée de manière répandue également (9 stations) mais avec des concentrations faibles. Son utilisation uniquement comme produit de traitement des semences, notamment des betteraves, pourrait expliquer ce résultat. En effet, les produits de traitement des semences importées ne sont pas comptabilisés dans les statistiques de ventes des PPh de l’OFAG [9] (cf. tab. 2). L’absence de CQC robuste pour cette substance ne permettait pas d’évaluer les risques liés à cette substance.
Parmi les 8 substances qui étaient uniquement homologuées comme biocides, seule la perméthrine était fréquemment détectée. Celle-ci est effectivement la substance active la plus utilisée dans les produits biocides, que ce soit dans la lutte contre les insectes ou dans la protection du bois [8] (tab. 2). Les 7 quantifications de cyfluthrine peuvent être imputées à de sporadiques utilisations biocides vu qu’elle n’a été vendue qu’avec une quantité estimée inférieure à 100 kg par année [8]. La cyphénothrine et la transfluthrine ont été rarement détectées et les autres substances n’ont jamais été détectées. Parmi les 6 substances qui étaient doublement homologuées (PPh & biocides), 3 substances étaient fréquemment retrouvées dans les eaux de surface: la bifenthrine, la cyperméthrine et la lambda-cyhalothrine. Pour ces 2 dernières l’utilisation en tant que PPh était probablement plus importante qu’en tant que biocides selon les données à disposition (cf. tab. 2). La bifenthrine, quant à elle, présentait de nombreux dépassements et représente un cas particulier. Elle est certes autorisée comme substance biocide, mais aucun produit contenant cette substance n’était vendu. Cela signifie que les concentrations provenaient d’applications phytosanitaires. Pour la deltaméthrine et l’étofenprox, les quantités annuelles vendues ou estimées sont relativement similaires entre les PPh et les produits biocides. Ainsi, les détections et les dépassements du CQC pour ces substances ne peuvent pas être imputés plus à une utilisation phytosanitaire qu’à une utilisation biocide.
Finalement, ces résultats indiquent clairement une utilisation phytosanitaire pour la majorité des substances fréquemment détectées, à l’exception de la perméthrine. Toutefois, le statut d’autorisation d’une substance n’indique pas forcément si les substances proviennent des zones agricoles ou d’habitation. En effet, la perméthrine est utilisée dans les étables [18] et la cyperméthrine peut également être utilisée comme PPh dans les espaces verts urbains ou dans les zones de forêt pour lutter contre les insectes durant le stockage du bois [19].

Conclusions et Perspectives

Les données NAWA MP 2019 relatives aux insecticides de la famille des pyréthrinoïdes et à 2 substances organophosphorés (Pyr & OrgP) permettent une première évaluation de la pollution liée à ces insecticides au niveau nationale. En effet, la prise d’échantillons similaire et coordonnée dans 17 stations de mesure, puis la quantification à l’aide de méthodes analytiques extrêmement sensibles permet d’obtenir une évaluation la plus complète possible. Celle-ci n’a été possible que grâce à un engagement considérable de la part des Cantons et de la Confédération, ainsi qu’à une collaboration fructueuse avec de multiples partenaires (Eawag, Centre Ecotox, VSA). Avec au moins 3 substances détectées par station, ces résultats montrent que les insecticides Pyr & OrgP sont fréquemment détectés et de manière étendue. Bien que les concentrations mesurées soient majoritairement inférieures à 1 ng/l, elles représentent des risques importants pour les organismes aquatiques. En effet, les critères de qualité écotoxicologique ont été dépassés 248 fois de mars à octobre 2019 dans les 17 stations considérées. Aussi, tant du point de vue spatial que temporel, ces dépassements étaient répandus et fréquents. Ces résultats confirment que 7 molécules d’insecticides représentaient la majeure partie des risques totaux liés à environ 60 pesticides de mars à octobre 2019. Enfin, de manière générale, les apports des PPh se retrouvaient plus fréquemment dans les cours d’eau que les apports liés aux applications biocides.
Cette première évaluation à l’échelle nationale des risques liée à aux insecticides Pyr & OrgP est la plus exhaustive possible à ce jour. Toutefois ils sont probablement sous-évalués pour différentes raisons: toutes les substances n’ont pas été analysées dans chaque station, les LOQ pour certaines substances étaient souvent supérieures à leur CQC et les substances ne disposant pas de CQC suffisamment robustes n’ont pas été considérées. Pour 3 de ces dernières, des critères de qualité robustes seraient bienvenus au vu des dépassements de leurs CQC ad hoc.
L’évolution des techniques analytiques et des connaissances écotoxicologiques dans un futur proche pourront améliorer l’appréciation du risque global lié aux Pyr & OrgP. Par ailleurs, l’interdiction récente de l’usage phytosanitaire de plusieurs insecticides (p. ex. chlorpyrifos, chlorpyrifos-méthyl, bifenthrine, thiaméthoxame, thiaclopride et imidaclopride) induira sans doute des changements importants de la pollution liée aux insecticides dans les cours d’eau. En ce sens, les résultats présentés ici correspondent à une première évaluation à l’échelle nationale et une analyse similaire des données NAWA MP des années ultérieures sera nécessaire pour évaluer l’évolution de l’exposition et des risques liés aux insecticides.

Excursus: changements interannuels – l’exemple du Chrümmlisbach (BE)

Le quotient de risque chronique du mélange (QRCmix) a pu être calculé avec les données disponibles pour ce cours d’eau durant trois années consécutives, de 2017 à 2019, durant la période de mars à octobre (fig. 5). Sur les 44 échantillons considérés, seuls 3 ne dépassaient pas la valeur de 1. Ainsi, durant 82 semaines sur 88 sur 3 saisons des effets négatifs sur les invertébrés aquatiques liés aux Pyr & OrgP ne pouvaient être exclus. Le QRCmix était supérieur à 10 durant 34 semaines, entre 2 et 10 durant 32 semaines et entre 1 et 2 durant 16 semaines.
En calculant la contribution de chaque substance au QRCmix par échantillon, ce sont surtout 3 substances qui contribuait significativement au risque du mélange: le chlorpyrifos (moyenne = 42%), la lambda-cyhalothrine (27%) et la permethrine (23%). La contribution moyenne du chlorpyrifos au risque global était continu durant les trois saisons et variait entre 32 et 52% selon l’année. L’influence de la lambda-cyhalothrine sur le risque du mélange était plus importante en 2017 (57%) par rapport aux deux autre années (11 et 14%). La contribution de la perméthrine était très faible en 2017 (5%) mais plus importante durant l’année 2019 (37%).
Cet exemple nous montre que pendant plus de 90% du temps de la durée de la saison de culture les risques chroniques liés aux Pyr & OrgP sont importants dans ce cours d’eau. Il nous indique aussi que, selon les années, les substances qui sont majoritairement responsables de ces risques changent.

 

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[17] Price, P. et al. (2012): A decision tree for assessing effects from exposures to multiple substances. Environmental Sciences Europe 24(1): 26. https://doi.org/10.1186/2190-4715-24-26
[18] Dübendorfer, C. et al. (2020): Insektizideinsätze in der Nutztierhaltung – Vorstudie. EBP
[19] Forter, M. (2019): Hochgiftige Insektizide im Schweizer Wald. Oekoscope 1/19: 6–9

Remerciements

Nous tenons à remercier ici les services cantonaux de la protection des eaux pour la bonne collaboration, ainsi que la section Bases hydrologiques état des eaux de l’office fédéral de l’environnement (OFEV) pour la mise à disposition des données. Merci aussi à Irene Wittmer de la plateforme Qualité de l’eau du VSA, ainsi qu’à Nicole Munz et Anke Hofacker de la section Qualité des eaux de l’OFEV pour leurs précieux commentaires sur l’article.

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