Plateforme pour l’eau, le gaz et la chaleur
Article technique
25. novembre 2021

Interview avec Sébastien Apothéloz

«Il est nécessaire d’avoir une vision globale du cycle de l’eau»

Le Service de l’eau de Lausanne agit sur l’entier du cycle de l’eau: Tout au long de l’année, il assure le captage, le traitement, le stockage et le pompage, la distribution, l’évacuation et l’épuration, la protection ou encore l’analyse de l’eau. Dans l’interview, Sébastien Apothéloz, chef de service et membre du comité de la SSIGE, souligne le rôle central de l’innovation dans le domaine de l’eau, notamment pour préserver la qualité de l’eau et de l’environnement.
Margarete Bucheli 

Le Service de l’eau, dans sa forme actuelle, a été créé en 2016. Quelles sont les tâches confiées au Service? Quels sont les avantages, quels sont les défis de cette organisation?

Avec la création du Service de l'eau, la distribution d’eau potable, l’évacuation des eaux et l’épuration ont été regroupées au sein d’un même service. Le contexte géographique de Lausanne, avec le lac Léman dans lequel on prélève plus de la moitié de l’eau consommée et dans lequel l’eau retourne après usage et épuration, illustre particulièrement bien la nécessité d’avoir une vision globale du cycle de l’eau. C’est un avantage important, notamment pour toutes les questions de qualité et de traitement de l’eau, de préservation du milieu naturel ou de gestion des réseaux. D’ailleurs, les ingénieurs et techniciens dans les différentes disciplines ont la plupart du temps une formation qui leur donne des compétences en eau potable et en assainissement. Les avantages sont également importants pour les questions juridiques et financières. Ainsi, le regroupement permet, par exemple, de proposer une structure cohérente des différentes taxes.
Les défis de ce regroupement ont été nombreux, car pour créer les liens et les synergies, la plupart des entités du service ont dû intégrer les deux domaines. Cela pose bien entendu des questions de locaux, d’organigramme et d’harmonisation des procédures, mais également de culture d’entreprise. Les cadres ont été particulièrement impactés, car ils étaient nombreux à voir leur cahier des charges s’étendre à l’assainissement ou à l’eau potable.

«Le regroupement est un avantage important, notamment pour toutes les questions de qualité et de traitement de l’eau, de préservation du milieu naturel ou de gestion des réseaux.»

La station de traitement et de pompage d’eau potable située à Saint-Sulpice assure actuellement environ un tiers de la production totale d’eau potable de la région lausannoise. Mise en exploitation en 1971, elle ne correspond plus aux attentes actuelles en termes de traitement et de fiabilité. C’est pourquoi une nouvelle usine de production d’eau potable, Saint-Sulpice II, sera construite. Quels sont les procédés de traitement de l’eau à l’avenir?

L’ultrafiltration constituera le cœur de la nouvelle chaîne de traitement. Mais cela ne règle pas la problématique des micropolluants. Ces derniers seront éliminés grâce aux actions combinées du charbon actif, de l’ozone, et, pour une partie du débit nominal, par la nanofiltration. Ce procédé très efficace permet d’augmenter encore la qualité de l’eau et de retenir des substances émergentes peu ou pas retenues par le charbon actif. Le dimensionnement choisi pour la nanofiltraton permettra de traiter environ 40% du volume produit annuellement.

La deuxième usine de potabilisation d’eau de lac, l’usine de Lutry, fait également l’objet de travaux de rénovation, mais de moindre ampleur. Quelles sont les parties concernées par ces travaux? Quelles sont les raisons du passage à un nouveau matériau de membrane dans les modules d’ultrafiltration?

L’usine de Lutry fonctionne depuis plus de 20 ans à satisfaction. Elle était équipée à la base de membranes en acétate de cellulose, membranes qui ne sont plus fabriquées aujourd’hui. Il a donc fallu adapter l’usine aux membranes en polyéther sulfone (PES). Les automates ont été changés pour permettre de gérer les deux types de membranes, ce qui nous permet de changer les différentes lignes par étapes, au fur et à mesure de leur vieillisse­ment. Il s’agira aussi dans un avenir proche de remplacer les préfiltres. Avec ces adaptations et la mise en œuvre du charbon actif en poudre dès 2016, l’usine de Lutry répond parfaitement aux exigences actuelles.

Une autre étape du cycle de l'eau est l'épuration des eaux usées à la STEP de Vidy. Quels sont les développements ultérieurs prévus ou en cours?

La STEP est un élément crucial dans le cycle de l’eau puisqu’elle permet de maintenir la qualité d’une ressource en eau vitale pour près d’un million de riverains du lac Léman et constitue un milieu naturel exceptionnel. La modernisation de la STEP de Vidy est portée par une société anonyme entièrement en mains publiques, Epura S. A. et qui dispose d’une équipe spécialement dédiée à ce projet. Le Service de l’eau assure l’exploitation des installations. La nouvelle STEP, prévue pour une capacité de 350'000 équivalents-habitants est déjà partiellement construite et en service, avec de nouveaux pré-traitements, traitement primaire, traitement des boues y compris leur digestion produisant du biogaz qui, une fois épuré est injecté dans le réseau de gaz naturel. La biologie, avec une étape de dénitrification, est en cours de démolition-reconstruction. À cela viendra s’ajouter le traitement des micropolluants dès 2026. Les travaux sont complexes car la nouvelle STEP est construite à l’emplacement de l’ancienne. Les enjeux sont également importants pour le personnel d’exploitation qui réceptionne des installations modernes et doit se former sur de nouvelles technologies.

 

La numérisation fait son chemin dans le secteur de la construction, mot clé: BIM. Le BIM est-il utilisé dans vos projets? Qu’est-ce que cela signifie pour le déroulement des projets?

Depuis deux ans, nous démarrons tous les nouveaux projets de construction en BIM. C’est par exemple le cas pour l’usine de Saint-Sulpice II ou la station de pompage et le réservoir de Montalègre. Cela implique tout d’abord de former le personnel en interne pour avoir une bonne maîtrise des outils et de la nouvelle manière de travailler. Les cahiers des charges des mandataires sont plus exigeants et la coordination doit être renforcée. Les avantages sont importants: le BIM permet, à chaque modifi­cation apportée par un corps de métier, de vérifier l’impact pour l’ensemble de l’ouvrage, ce qui évite de devoir régler des problèmes par la suite, lors de la construction.

«Le BIM permet, à chaque modification apportée par un corps de métier, de vérifier l’impact pour l’ensemble de l’ouvrage, ce qui évite de devoir régler des problèmes par la suite, lors de la construction.»

Globalement, selon vous, quel est l’avenir de la numérisation dans le secteur de l’eau? Dans quelle mesure est-elle utile et dans quelle mesure les inconvénients l’emportent-ils sur les avantages? Comment des associations comme la SSIGE devraient-elles soutenir leurs membres à ce sujet?

La numérisation est incontournable, dans le secteur de l’eau comme ailleurs. Au niveau industriel, la plupart des installations fonctionnent de manière automatique depuis longtemps; les systèmes d’information du territoire, de GMAO (Gestion de Maintenance assistée par Ordinateur) et les différentes bases de données sont omniprésents. Le défi ne consiste plus vraiment à numériser, mais à mettre en cohérence tous ces systèmes, à éviter les redondances et à en faciliter l’utilisation. Il est souvent nécessaire de chercher des données dans de multiples bases de données pour répondre à des questions simples. Il y a eu par le passé une tendance à développer de nouveaux outils sans penser à la cohérence globale. De plus, il y a encore parfois des limitations à l’usage de l’informatique nomade, directement sur le terrain, ce qui implique d’imprimer des documents puis de saisir l’information au bureau. La SSIGE peut amener une certaine standardisation en proposant des modèles de données. Cela se fait par exemple dans le domaine des SIG.

En 2019, le laboratoire d’analyse à Lutry a fait peau neuve. Grâce à de nouveaux équipements et à une extension des locaux existants, il offre désormais un cadre de travail optimal pour mener à bien ses multiples activités. Cela a permis au laboratoire d’étendre ses compétences dans le domaine des techniques analytiques. Quelles ont été les innovations à cet égard?

L’agrandissement du laboratoire était surtout indispensable au vu du nombre croissant d’appareils pour analyser les micropolluants et de l’extension des analyses aux eaux usées et aux cours d’eau. Il s’agissait de bien séparer les différents types d’eau et de donner des conditions de travail correctes aux collaboratrices et collaborateurs. Cela nous donne maintenant l’opportunité de développer de nouvelles méthodes comme la biologie moléculaire (p. ex. PCR; l’amplification en chaîne par polymérase) dans le domaine de la microbiologie.

Le nombre d’échantillons d’eau potable analysés dans le laboratoire du Service de l’eau l’année dernière a augmenté de manière significative par rapport aux années précédentes. Quelles sont les raisons de cette augmentation et quelles nouvelles tâches le laboratoire a-t-il assumées?

Depuis 2020, de nombreux distributeurs d’eau nous ont confié leur auto-contrôle analytique, à la suite de la décision du Canton (Office de la consommation, OFCO) de ne plus effectuer ce type d’analyses. À ceci est venue s’ajouter la nouvelle version de l’OPBD (Ordonnance du DFI sur l’eau potable et l’eau des installations de baignade et de douche accessibles au public) qui impose l’auto-contrôle des installations de douche et baignade accessibles au public. Le nombre d’échantillons analysés a ainsi doublé. Notre objectif est d’aller au-delà de la prestation analytique. Le distributeur d’eau concerné par une non-conformité peut compter sur une expertise technique et un accompagnement privilégié.

Le Service de l’eau a également été touché par la problématique du chlorothalonil et de ses métabolites. Quelles sont les réactions à court et à long terme à la détection de métabolites dans les sources utilisées par le Service de l’eau pour la production d’eau potable?

20% de nos ressources en eau souterraines ont été impactées par cette problématique. Nous avons mis hors service l’ensemble des captages concernés, soit une perte de 2 000 000 m3 par an. Le volume a été compensé par des pompages d’eau du lac. Nous estimons aujourd’hui que ces métabolites ne vont pas dis-
paraître naturellement dans un délai raisonnable de quelques années. Grâce à la diversité des ressources à disposition, une solution immédiate et efficace a été trouvée qui consiste à compenser le volume perdu en eaux souterraines contaminées par l’eau du lac. Néanmoins, nous nous tournons également vers l’avenir: Fort de notre expérience en pilotage et grâce à nos compétences à l’interne, nous avons lancé à l’étude de faisabilité de l’élimination du chlorothalonil et de ses métabolites sur nos installations.

Quels sont les résultats de cette étude?

Nous avons mis en place plusieurs pilotes de traitement et collaborons sur d’autres projets avec des acteurs privés et publics. Les essais ne sont pas terminés, mais sont encourageants. Différentes méthodes permettent d’abattre la teneur en chlorothalonil, dont le charbon actif et la filtration membranaire. L’effort actuel porte sur l’estimation des coûts d’investissement et d’exploitation. Les résultats seront disponibles pour l’été 2022.

En 2019 le Service de l’eau a mis en place une nouvelle entité «cours d’eau et pollution» créée au sein de la division Contrôle de l’eau. Quelles sont les activités de cette entité?

Le territoire lausannois comporte environ 100 km de cours d’eau, dont la qualité doit être surveillée avec les méthodes standardisées de la confédération (Système modulaire gradué, SMG) pour la biologie, la chimie des nutriments et l’écomorphologie. L’objectif est l’amélioration de la qualité des cours d’eau.

Une nouvelle technique de priorisation des pollutions dans les cours d’eau a été développée. De quoi s’agit-il exactement?

Un important travail d’évaluation a été fait ces trois dernières années. Grâce à ce travail, un certain nombre de pollutions ont été identifiées et font l’objet d’un plan d’action. Il s’agit souvent de mauvais raccordements des collecteurs d’eaux usées, dont les eaux finissent dans les cours d’eau via le réseau d’eaux claires. La priorité est mise sur les cours d’eau les plus impactés, en zone urbaine. Le travail se fait d’amont en aval afin d’avoir rapidement une amélioration de la qualité de l’eau sur certains tronçons de cours d’eau. Les analyses des micropolluants et de biologie moléculaires sont une aide précieuse pour identifier les pollutions. La résolution des cas de pollution est réalisée par une autre entité du service, qui doit effectuer des contrôles du réseau et des biens-fonds. Ce travail est gourmand en temps, car une pollution peut provenir d’un bassin versant étendu et nécessiter de nombreux contrôles, jusque dans les bâtiments. Si le problème provient d’une installation privée, il faut ensuite demander au propriétaire de faire les travaux de mise en conformité.

«Les questions d’économie d’eau devraient être abordées avec un nouveau regard, qui prenne davantage en compte les questions énergétiques.»

Quelles autres questions sont pertinentes pour le Service de l’eau et devraient donc, selon vous, être abordées dans le cadre de projets de recherche ou par le FOWA?

Les questions d’économie d’eau devraient être abordées avec un nouveau regard, qui prenne davantage en compte les questions énergétiques. En effet, on peut se réfugier derrière un écobilan de l’approvisionnement en eau potable assez favorable et la notion d’eau virtuelle (eau utilisée à l’étranger pour produire nos biens de consommation) qui indique que l’eau consommée ici n’est qu’une petite partie du problème. Mais il ne faut pas oublier que l’approvisionnement en eau potable et l’épuration sont souvent de gros consommateurs d’électricité à l’échelle locale. Et ils le seront encore davantage avec les nouvelles technologies mises en place pour répondre aux exigences de qualité (notamment le traitement des micropolluants). La SSIGE pourrait fournir un guide aux distributeurs d’eau, afin de limiter la consommation électrique. Un tel document pourrait notamment traiter les sujets de la limitation des pertes d’eau dans le réseau, de l’optimisation des pompages et du conseil et de la communication auprès des consommateurs.

La pénurie de personnel qualifié se fait de plus en plus sentir dans le secteur de l’eau. Comment le Service de l’eau aborde-­­t-il cette question et comment des associations comme la SSIGE pourraient-elles apporter leur soutien dans ce domaine?

Le marché est en effet assez tendu et il est difficile de trouver du personnel qualifié dans certaines professions. La SSIGE pourrait mieux mettre en avant l’intérêt des métiers du domaine de l’eau afin de gagner en visibilité et attirer des jeunes dans le domaine. Elle pourrait aussi sensibiliser les responsables de la formation tant au niveau CFC (Certificat fédéral de capacité) que bachelor ou master aux besoins de personnel qualifié dans les domaines de l’eau potable et de l’assainissement. Il faut tout de même dire que nous avons beaucoup de chance de travailler dans un domaine passionnant et porteur de sens et que nous engageons très souvent des collaboratrices et collaborateurs motivé·e·s et très compétent·e·s..

 

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