Plateforme pour l’eau, le gaz et la chaleur
Article technique
29. novembre 2023

Charbon actif - une question de taille?

Étude comparative de procédés d’adsorption pour le traitement des métabolites du chlorothalonil

Le procédé SCAP-UF, qui couple l’adsorption de micropolluants sur du charbon actif superfin (SCAP) et l’ultrafiltration (UF), est une innovation qui permet de minimiser les besoins en charbon actif et d’optimiser l’efficacité d’élimination des polluants. Cette nouvelle technologie a été testée pour la Seeländische Wasserversorgung SWG à Worben. Parallèlement, des essais pilotes ont été réalisés avec du charbon actif en grain et du charbon actif en poudre.
Florence  Bonvin, Tony Merle, Joelle Seppey, Emmanuel Bonvin, Jean-Julien  Dessimoz, Roman Wiget, 

La présence de micropolluants et de leurs produits de transformation (métabolites) dans les ressources en eau est une problématique grandissante, accentuée par les progrès analytiques et l’adaptation continue de la législation. Les métabolites du chlorothalonil (m-CTL), connus pour être potentiellement cancérigènes [1] et persistants, font l’objet d’une attention particulière ces dernières années en raison de leur présence dans de nombreuses ressources en Suisse et en France [2, 3].

Élimination des micropolluants avec du charbon actif

Pour lutter contre ces molĂ©cules persistantes, l’adsorption sur charbon actif (CA) apparait rĂ©gulièrement comme une solution efficace, contrairement Ă  de nombreux autres procĂ©dĂ©s de traitement, tels que l’ozonation et l’oxydation avancĂ©e [4]. Toutefois, ces adsorbants, majoritairement d’origine non-renouvelable et Ă  la production Ă©nergivore, reprĂ©sentent la plus grande part des coĂ»ts d’exploitation et du bilan environnemental de cette technologie. L’optimisation des doses de CA Ă  utiliser devient alors cruciale. Dans ce contexte, plusieurs amĂ©liorations techniques ont Ă©tĂ© apportĂ©es aux procĂ©dĂ©s conventionnels d’adsorption sur CA parmi lesquels les procĂ©dĂ©s LUCA et CarboPlus®, utilisant respectivement des charbons actifs en grains (CAG; 0,5 Ă  2 mm) et micrograins (ÎĽCAG; 0,3 Ă  0,8 mm), dont les performances pour Ă©liminer les m-CTL ont rĂ©cemment Ă©tĂ© dĂ©crites [5]. Le procĂ©dĂ© SCAP-UF dĂ©veloppĂ© par Membratec, couplant l’adsorption des micropolluants sur du charbon actif superfin (SCAP; 0,001 – 0,003 mm) Ă  l’ultrafiltration, fait Ă©galement partie de ces innovations. Le principe de cette technologie est de faciliter l’accès aux sites d’adsorption en diminuant la taille de l’adsorbant. La cinĂ©tique d’adsorption des micropolluants et la capacitĂ© d’adsorption sont ainsi augmentĂ©es, ce qui rĂ©duit la consommation de charbon. Cet article prĂ©sente les rĂ©sultats d’essais pilotes rĂ©alisĂ©s en 2022 sur l’eau de nappe alimentant la station de pompage de Worben, exploitĂ©e par la Seeländische Wasserversorgung (SWG). L’objectif principal Ă©tait d’évaluer les performances de trois procĂ©dĂ©s d’adsorption utilisant des tailles diffĂ©rentes de charbon actif (SCAP, CAP et CAG) pour l’élimination des mĂ©tabolites du chlorothalonil les plus prĂ©sents, le R471811 et le R417888. Une comparaison Ă©conomique et environnementale a Ă©galement Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e sur la base des rĂ©sultats obtenus. A noter que la technologie SCAP-UF avait jusqu’à prĂ©sent uniquement fait ses preuves pour le traitement des micropolluants dans les eaux usĂ©es [6, 7]. Ces essais constituent donc une première dans le domaine du traitement de l’eau potable.

SWG et les métabolites du chlorothalonil

SWG est un distributeur d’eau du canton de Berne alimentant 20 communes (33 000 hab.) et divers partenaires contractuels (29 000 hab.) au sud-est du lac de Bienne (3 200 000 m3 distribuĂ©s en 2022). SituĂ© sur le plateau Suisse, ses deux principales ressources sont impactĂ©es par la pollution aux pesticides. Les puits de Gimmiz, d’une capacitĂ© de 12 000 l/ min, prĂ©sentent des concentrations entre 0,05 et 0,5 ÎĽg/l en R471811 et 0,05 ÎĽg/l en R417888, tandis que le puits de Worben (actuellement hors service), d’une capacitĂ© de 8000 l/min, est bien plus impactĂ©, avec des concentrations d’environ 1,8 et 0,2 ÎĽg/l en R471811 et R417888 respectivement. Les concentrations de ces mĂ©tabolites dĂ©passent la valeur maximale de l’OPBD, fixĂ©e Ă  0,1 ÎĽg/l pour tous les mĂ©tabolites considĂ©rĂ©s comme pertinents Dès la dĂ©couverte de cette contamination en 2019, SWG a cherchĂ© une solution afin de rĂ©duire les concentrations en m-CTL en-dessous des prĂ©conisations de 0,1 ÎĽg/l pour l’eau traitĂ©e. En 2020, Membratec a dĂ©montrĂ© au travers d’essais pilotes menĂ©s sur les puits de Worben que l’osmose inverse est un procĂ©dĂ© efficace permettant d’éliminer plus de 98% des m-CTL [4]. Ce procĂ©dĂ© prĂ©sente toutefois plusieurs inconvĂ©nients: (1) il est gourmand en Ă©nergie, (2) il peut nĂ©cessiter une reminĂ©ralisation de l’eau traitĂ©e et (3) il produit 20 Ă  25% de rejet concentrĂ© en polluants, dont le traitement est Ă©galement Ă©nergivore et l’option de dĂ©versement dans l’environnement est discutable. Ce dernier point suscitera l’abandon de cette alternative de traitement en mai 2023. En parallèle, plusieurs essais pilotes sur des procĂ©dĂ©s d’adsorption sur CA sont rĂ©alisĂ©s sur d’autres ressources suisses [5, 8]. SWG a mandatĂ© entre autres le bureau RWB et l’entreprise Membratec pour Ă©valuer l’efficacitĂ© de diffĂ©rents procĂ©dĂ©s d’adsorption sur charbon actif pour Ă©liminer les m-CTL de leurs ressources.

Matériel et méthodes

Essais pilotes

Les essais pilotes ont été menés entre janvier et septembre 2022 à la station de pompage de Worben, installation où se rejoignent les eaux provenant des puits de Gimmiz et de Worben.

Qualité de l’eau brute

Afin de reproduire des conditions expérimentales proches de celles de la future station de traitement, l’eau d’alimentation des pilotes était constituée d’un mélange de 75% d’eau de Gimmiz et de 25% d’eau de Worben pour une concentration moyenne de 0,98 μg/l en R471811 et 0,11 μg/l en R417888.

Pilote SCAP-UF

Le pilote SCAP-UF installĂ© sur site comprend deux cuves distinctes d’adsorption suivies du skid d’ultrafiltration (fig. 1). Le SCAP est d’abord dosĂ© dans l’eau Ă  traiter dans une cuve de contact de 250 l (deuxième cuve) dont le niveau ajustable permet de varier les temps de contact entre 5 et 60 minutes. Un by-pass permet Ă©galement de tester des temps de contact plus courts (< 30 secondes). Les particules de SCAP sur lesquelles se sont adsorbĂ©s les micropolluants ainsi que les autres impuretĂ©s prĂ©sentes dans l’eau (particules, microorganismes) sont ensuite retenues sur les membranes d’ultrafiltration (INGE multibore; seuil de coupure 0,02 ÎĽm). A intervalles rĂ©guliers, les particules de SCAP (ainsi que d’autres matières en suspension retenues) sont Ă©liminĂ©es par rĂ©trolavage. Ces eaux de rĂ©trolavage peuvent ĂŞtre recirculĂ©es dans la première cuve (c’est-Ă -dire en amont du dosage de SCAP frais) ou ĂŞtre Ă©liminĂ©es vers la station d’épuration. La prĂ©paration du SCAP a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e par broyage humide Ă  partir de CAP ou de CAG dans les locaux de Membratec. La solution SCAP concentrĂ©e a ensuite Ă©tĂ© transportĂ©e sur site. L’installation pilote est entièrement automatisĂ©e et Ă©quipĂ©e d’instrumentation permettant de suivre en ligne le dĂ©bit, les pressions, la turbiditĂ© et l’absorbance UV Ă  254 nm de l’eau brute et de l’eau filtrĂ©e.

Pilote CAP-UF

Les essais avec le charbon actif en poudre (CAP) ont été réalisés avec le même pilote et les mêmes conditions que décrit ci-dessus, sans broyage préalable de CAP.

Pilote CAG

Les tests de filtration sur CAG ont été réalisés à l’aide de six colonnes PVC de 15,4 cm de diamètre et d’une hauteur totale de CAG de 200 cm (fig. 2). Plusieurs configurations ont ainsi pu être évaluées en parallèle (type de charbon actif, vitesse hydraulique, mode de filtration) mais seuls les résultats pour la colonne remplie de charbon actif F400 et pour une vitesse hydraulique de 7 m/h sont présentés dans cet article.

Charbons actifs sélectionnés

Les caractéristiques des charbons actifs utilisés sont présentées dans le tableau 1. Le charbon Calgon Filtrasorb 400 (F400)a été utilisé dans ses versions CAG et SCAP, tandis que le charbon Dolder AC Pure D PB 170 B (PB170) a été utilisé en CAP et SCAP.

 

Tab. 1 Caractéristiques des charbons actifs utilisés.

 

Échantillonnage et analyses

Des échantillons ont été prélevés ponctuellement sur l’eau brute et en sortie de chaque procédé afin de déterminer l’abattement de m-CTL et de l’absorbance UV à 254 nm (UV254), paramètre indicatif de la quantité de matière organique dissoute dans l’eau. L’UV254 a également été suivien continu sur l’eau brute de chaque pilote et sur le perméat d’ultrafiltration afin de valider les mesures ponctuelles réalisées en laboratoire et d’évaluer les variations de la qualité de l’eau brute sur la période de test. La concentration de SCAP dosée a été validée lors de chaque campagne d’analyses par la mesure du débit de la pompe doseuse de SCAP et par des mesures de matières sèches de la solution de SCAP concentrée.

 

Résultats

Qualité de l'eau brute

La qualitĂ© du mĂ©lange d’eau brute est restĂ©e relativement stable durant les essais, mĂŞme si la concentration en R471811 a lĂ©gèrement diminuĂ© entre avril et septembre 2022, passant de 1,2 ÎĽg/l Ă  0,7 ÎĽg/l. Cette variation semble ĂŞtre inversement corrĂ©lĂ©e Ă  la tempĂ©rature (fig. 3). Connaissant la grande stabilitĂ© et la mobilitĂ© de ce polluant dans l’environnement [9], cette variation est liĂ©e Ă  la recharge des eaux souterraines Ă  Gimmiz, qui est elle-mĂŞme influencĂ©e par le dĂ©bit de l’Aar dans le canal de Hagneck. La concentration en R417888 a oscillĂ© autour de 0,1 ÎĽg/l avec un maximum mesurĂ© en mars Ă  0,15 ÎĽg/l. La teneur en matières organiques Ă©valuĂ©e par la mesure de l’UV254 est restĂ©e stable avec une moyenne de 0,56 m-1. Cette valeur correspond pour cette eau Ă  une concentration en carbone organique dissous (COD) de 0,3 mg C/l ce qui est faible pour une ressource naturelle.

Efficacité du procédé SCAP-UF

Les essais avec le pilote SCAP-UF se sont déroulés sur 2,5 mois durant l’été 2022. Plusieurs paramètres clés du traitement ont été optimisés durant ce pilotage.

Recirculation du SCAP

Après un cycle d’adsorption/filtration, le SCAP retenu sur la membrane peut être soit évacué à l’égout, soit réutilisé partiellement en complément d’un ajout de charbon frais. La recirculation a pour but d’utiliser au mieux la capacité d’adsorption du charbon avant de l’évacuer. Un abattement de 30% supérieur du R471811 a été mesuré en recirculant le charbon pour une dose de charbon frais de 8 mg/l et un temps de contact de 6 minutes avec le charbon frais, en comparaison à la configuration sans recirculation. Pour la suite des essais, un taux de recirculation supérieur à 10 (c.-à-d. que le charbon est recirculé au moins 10 fois) a été maintenu afin de bénéficier au mieux de la capacité d’adsorption du SCAP.

Temps de contact

Le temps de contact entre l’eau et le charbon est un paramètre déterminant de tout procédé d’adsorption, car il influence la taille d’une installation et la consommation de charbon. Un temps de contact suboptimal nécessite des doses de charbon plus conséquentes pour atteindre un taux de traitement donné, tandis qu’un temps de contact long implique des bassins de contact de très grande taille. En effet, le temps nécessaire pour atteindre la capacité d’adsorption maximale (et donc une utilisation efficiente de charbon) dépend notamment de la diffusion des substances présentes dans l’eau vers la surface du charbon actif et à l’intérieur de ses pores. La réduction de la taille de grain réduit la distance de diffusion des micropolluants vers la surface du charbon et accélère donc la cinétique d’adsorption. Ce paramètre est d’autant plus pertinent pour des substances peu adsorbables, telles que le métabolite R471811, dont l’adsorption et la diffusion à l’intérieur des pores du charbon est plus défavorable. En raison de la petite taille du SCAP et de la cinétique d’adsorption accélérée, des temps de contact hydrauliques courts ont été testés, allant de 30 secondes à 6 minutes pour le charbon frais et de 6 à 12 minutes pour le charbon recirculé (temps de contact total). Pour une dose similaire, ces essais n’ont montré aucune différence significative de performance, indiquant que le temps de contact suboptimal avec le SCAP n’a pas été atteint et que des temps de contact encore plus courts méritent d’être testés. Dans une station à grande échelle, il serait donc possible de ne construire qu’une seule cuve de contact de 6 minutes ou moins.

Caractéristiques du charbon

Différents essais variant la taille, le type et la dose de charbon ont été effectués avec une injection de charbon frais (cuve 2) et de charbon recirculé (cuve 1) et un temps de contact de 6 minutes dans chaque cuve. La comparaison des performances d’abattement du R471811 sur le charbon PB170 met en évidence que les fines particules de SCAP sont 30 à 40% plus efficaces que celles de CAP (fig. 4) dans les conditions étudiées. La dose de SCAP nécessaire pour réduire la concentration en-dessous de 0,1 μg/l serait de 9 mg/l, contre environ 16 mg/l pour le CAP. Le type de charbon influence également les performances d’adsorption. Les essais avec du charbon à base de houille (F400) sous forme SCAP montrent une meilleure efficacité que le charbon à base de bois (PB170) pour une même granulométrie. En effet, une dose de 3,5 mg/l de SCAP F400 est suffisante pour réduire la concentration en R471811 en dessous de 0,1 μg/l. Le plus faible abattement du R471811 par le PB170 se fait au profit d’un meilleur abattement de la matière organique (voir ci-dessous), ce qui pourrait indiquer une porosité de plus grande taille, moins adaptée à l’adsorption des petites molécules comme les m-CTL. Ces résultats soulignent l’importance de tester plusieurs charbons dans le cadre d’essais pilotes afin de définir l’adsorbant le plus adapté à la qualité d’eau et au(x) micropolluant(s) à éliminer.

Exploitation

Le pilote a fonctionnĂ© Ă  flux Ă©levĂ© (entre 85 et 95 l/[hm2]) et la permĂ©abilitĂ© des membranes est restĂ©e supĂ©rieure Ă  1000 l/(hm2bar) sur toute la durĂ©e du pilotage. Aucun nettoyage chimique n’a Ă©tĂ© nĂ©cessaire et les pertes en eau, liĂ©es aux rĂ©trolavages et Ă  l’extraction du charbon, sont très faibles (< 0,5%). Dans le cadre du pilotage, la solution de SCAP usagĂ© a Ă©tĂ© dĂ©versĂ©e aux Ă©gouts. Dans une installation Ă  grande Ă©chelle, il est envisageable de rĂ©utiliser le SCAP usagĂ© pour adsorber les micropolluants prĂ©sents dans les eaux usĂ©es, comme dĂ©montrĂ© rĂ©cemment pour le procĂ©dĂ© CarboPlus [5]. Le SCAP ainsi rĂ©utilisĂ© peut ensuite ĂŞtre incorporĂ© dans les boues de STEP avant d’être extrait et incinĂ©rĂ©. Selon les contraintes locales, les boues de SCAP peuvent alternativement ĂŞtre concentrĂ©es sur site, puis incorporĂ©es directement dans la filière de gestion des boues d’une STEP.

Efficacité du filtre CAG

La figure 5 compare la courbe de percée du métabolite R471811 dans le filtre CAG pour deux hauteurs différentes (50 et 100 cm). Les percées pour les hauteurs de 150 et 200 cm n’ont pas pu être observées (concentrations inférieures à la limite de quantification) dû à la durée limitée des
essais. Contrairement aux précédents résultats obtenus sur l’eau du puits de la Vernaz [5], le temps de contact semble jouer un rôle sur la rétention du R471811. Pour un temps de contact de 4,3 min (50 cm de CAG), la percée sur le mélange d’eau de Worben intervient après avoir filtré 36 m3 d’eau/kg CA contre 51 m3/kg CA pour un temps de contact de 8,6 min (100 cm de CAG). Au puits de la Vernaz, dans une eau souterraine deux fois plus chargée en matière organique (COD d’env. 0,6 mg C/l), la percée était apparue après 25 à 30 m3/kg pour le charbon F400 et les mêmes conditions hydrauliques ce qui met en évidence la compétition pour les sites d’adsorption. Enfin, toutes les analyses réalisées montrent que les métabolites R417888 et desphenyl chloridazon, présents dans l’eau brute à une concentration moyenne de 0,10 et 0,38 μg/l, ne présentent pas de concentrations supérieures à la limite de quantification (0,01 μg/l) dans l’eau filtrée, quelles que soient les conditions de traitement étudiées, prouvant ainsi qu’en ciblant le traitement sur le métabolite R471811, les autres métabolites seront également éliminés dans cette gamme de concentrations.

La taille du charbon actif: le paramètre déterminant

L’enseignement principal du pilotage en parallèle des procĂ©dĂ©s filtres CAG, CAPUF et SCAP-UF sur la mĂŞme eau brute est l’importance de la taille du charbon actif pour l’adsorption du mĂ©tabolite R471811. La figure 6 illustre, pour le cas de Worben et pour les diffĂ©rents procĂ©dĂ©s Ă©tudiĂ©s, quel est le volume d’eau qu’un kilo de CA est capable de traiter avant que le charbon ne doive ĂŞtre renouvelĂ©. Pour le mĂ©lange d’eau testĂ© prĂ©sentant une faible concentration en matières organique, Le charbon F400 possède une capacitĂ© de traitement au moins 5 fois supĂ©rieure lorsqu’il est sous forme de poudre superfine (SCAP F400) comparĂ© aux grains (CAG F400). Cette meilleure capacitĂ© du SCAP est Ă©galement observĂ©e pour le charbon PB170 pour lequel la capacitĂ© est 1,8 fois supĂ©rieure Ă  celle du CAP. L’utilisation de fines particules de SCAP rĂ©duit drastiquement les distances de diffusion Ă  l’intĂ©rieur des particules, accĂ©lĂ©rant ainsi la cinĂ©tique d’adsorption, ce qui permet d’approcher la capacitĂ© maximale du charbon. Ces aspects sont importants pour des micropolluants faiblement adsorbables comme le R471811. Enfin, la compĂ©tition et le potentiel de blocage de  pores par la matière organique sont minimisĂ©s par l’accĂ©lĂ©ration de la cinĂ©tique et l’augmentation de la surface externe du charbon actif [10]. Les diffĂ©rences importantes ainsi observĂ©es entre le SCAP, le CAP et le CAG avec l’eau de Worben pourraient ĂŞtre similaires pour des eaux plus chargĂ©es en matières organiques. Des essais sont actuellement en cours sur des eaux de lac pour valider cette hypothèse.

Comment tirer profit de la matière organique?

Naturellement présente dans les eaux souterraines et les eaux de surface, la matière organique se compose de substances non toxiques pour l’homme aux concentrations rencontrées dans l’environnement. Elle est toutefois non désirable dans les procédés d’adsorption sur charbon actif, car elle limite l’adsorption des micropolluants en occupant elle-même les sites d’adsorption ou en restreignant l’accès aux pores par un blocage physique. Il est néanmoins possible de tirer profit de la présence de matières organiques pour prédire l’efficacité des procédés d’adsorption. En effet, des études précédentes ont mis en évidence une bonne corrélation entre l’abattement de la matière organique (quantifiable par la mesure en continu de l’absorbance UV à 254 nm) et l’abattement de micropolluants dans des applications pour le traitement des eaux usées [11] ou la production d’eau potable [12]. Cette corrélation a été validée durant ces essais pilotes (fig. 7). La relation est indépendante de la taille du charbon mais dépend du type de charbon actif utilisé. Les distributeurs d’eau peuvent donc considérer la matière organique comme une «alliée» dans l’exploitation des stations de traitement, qui permet de valider le bon fonctionnement d’une installation, de prédire la percée d’une colonne ou d’asservir le dosage de charbon du procédé SCAP-UF.

Comparaison économique et bilan environnemental

L’étude Ă©conomique et le bilan environnemental ci-dessous ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s pour le projet de la SWG, pour une qualitĂ© d’eau brute spĂ©cifique (eau de nappe, faible teneur en matières organiques, très faible turbiditĂ©, tempĂ©rature constante, 0,98 mg/l en R471811), Ă  un dĂ©bit de traitement prĂ©cis et dans le cadre d’un bâtiment existant. Ces essais pilotes sur le traitement des mĂ©tabolites du chlorothalonil, rĂ©alisĂ©s avec des eaux peu chargĂ©es en matières organiques, ont mis en Ă©vidence les Ă©conomies importantes de charbon qui sont possibles par simple rĂ©duction de la taille du charbon. Les besoins Ă©nergĂ©tiques, l’investissement initial et le bilan environnemental entrent Ă©galement en compte dans le choix d’une technologie de traitement. Une Ă©valuation complète des coĂ»ts d’exploitation (OPEX) et de l’empreinte CO2 a donc Ă©tĂ© faite pour le cas de la SWG afin de comparer les trois procĂ©dĂ©s dans leur ensemble (tab. 2). Compte tenu de la configuration de ce projet avec l’intĂ©gration du traitement dans un bâtiment existant, les coĂ»ts d’investissement des diffĂ©rentes variantes ne sont pas dĂ©taillĂ©s, car non pertinents pour d’autres projets. Les procĂ©dĂ©s hybrides (S)CAP-UF sont plus Ă©nergivores que la filtration CAG, toutefois le procĂ©dĂ© SCAP-UF reste plus de deux fois plus Ă©conomique que le CAG et 1,3 fois que le procĂ©dĂ© hybride sans broyage, avec des coĂ»ts d’exploitation totaux infĂ©rieurs Ă  6 ct/m3 d’eau traitĂ©e pour le procĂ©dĂ© SCAP-UF contre 12,3 et 7,8 ct/m3 pour le CAG et le CAP-UF. La transformation de CAP en SCAP par broyage reprĂ©sente moins de 5% des coĂ»ts d’exploitation. Enfin, le bilan environnemental est largement dĂ©pendant de la consommation de charbon et de son origine. L’empreinte CO2 pour le traitement des m-CTL diminue avec la rĂ©duction de la taille du grain, avec environ 3 fois moins d'Ă©missions de CO2 pour un traitement par SCAP-UF que par CAG. Il est Ă  noter que le charbon non-fossile testĂ© ici (PB170 B Ă  base de bois) requiert des doses plus importantes pour atteindre les objectifs de traitement. MalgrĂ© son empreinte CO2 plus faible, le bilan final est Ă©quivalent Ă  l’utilisation d’une plus faible dose de SCAP Ă  base de houille.

 

Tab. 2 Comparaison de l’emprise au sol, des OPEX et de l’empreinte CO2 pour les trois procédés lit CAG, CAP-UF et SCAP-UF utilisant le charbon F400.

Conclusions et perspectives

Le pilotage en parallèle des procĂ©dĂ©s filtre CAG, CAP-UF et SCAP-UF sur l’eau souterraine de la SWG a permis de mettre en Ă©vidence l’importance de la taille de particules du charbon actif dans l’adsorption du mĂ©tabolite R471811. La rĂ©duction de la taille de l’adsorbant permet une  meilleure cinĂ©tique d'adsorption et une utilisation plus efficiente de la surface d’adsorption du charbon. Ces avantages sont particulièrement pertinents pour l’élimination de composĂ©s ayant peu d’affinitĂ© pour le charbon et rĂ©calcitrants aux procĂ©dĂ©s d’oxydation. Pour le cas spĂ©cifique de la SWG, prĂ©sentant une matrice d’eau avec de faibles concentrations en matière organique naturelle et une concentration du mĂ©tabolite R471811 de 1 ÎĽg/l, l’abattement Ă  0,1 ÎĽg/l est possible avec le procĂ©dĂ© SCAP-UF avec une dose de 3,5 mg/l de F400, soit une consommation de charbon 5 fois moins importante qu’avec un filtre CAG classique. Bien que le procĂ©dĂ© SCAP-UF soit plus Ă©nergivore, les coĂ»ts d’exploitation et l’empreinte CO2 du traitement des m-CTL sont rĂ©duits de 50%, resp. 65% encomparaison au lit CAG classique. L’avantage observĂ© pour l’adsorption du R471811 sur des fines particules de SCAP reste Ă  ĂŞtre validĂ© sur des matrices d’eau plus impactĂ©es par la matière organique. En raison de l’adsorption accĂ©lĂ©rĂ©e et de la grande surface externe du SCAP, on peut s’attendre Ă  ce que l’adsorption sur les fines particules soit moins impactĂ©e par la compĂ©tition avec la matière organique en comparaison au CAP ou au CAG. Suite Ă  ce pilotage, la première installation suisse de traitement d’eau potable avec le procĂ©dĂ© SCAP-UF verra le jour en 2024 pour le traitement des m-CTL Ă  Worben. Le procĂ©dĂ© sera Ă©galement testĂ© pour l’abattement d’autres micropolluants rĂ©calcitrants, dont la grande famille des PFAS.

Bibliographie

[1] EFSA (European Food Safety Authority) (2018): Peer review of the pesticide risk assessment of the active substance chlorothalonil. EFSA Journal 16(1): 5126. https://doi.org/10.2903/j. efsa.2018.5126
[2] Kiefer, K. et al. (2019): New relevant pesticide transformation products in groundwater detected using target and suspect screening for agricultural and urban micropollutants with LC-HRMS. Water Res. 165: 114972. https://doi.org/10.1016/j. watres.2019.114972
[3] Anses (2023): Campagne nationale de mesure de l’occurrence de composés émergents dans les eaux destinées à la consommation humaine: Métabolites de pesticides – Résidus d’explosifs 1,4-dioxane. Maisons-Alfort, 85 p.
[4] Kiefer, K. et al. (2020): Chlorothalonil transformation products in drinking water resources: Widespread and challenging to abate. Water Res. 183: 116066. https://doi.org/10.1016/j. watres.2020.116066
[5] Merle, T. et al. (2022) : Charbon actif et métabolites du chlorothalonil. Aqua & Gas 7/8_2022: 50–55
[6] Bonvin, F. et al. (2021): Elimination des micropolluants par CAP super-fin. Aqua & Gas 1/2021: 40–46
[7] Bonvin, F. et al. (2016): Super-fine powdered activated carbon (SPAC) for efficient removal of micropollutants from wastewater treatment plant effluent. Water Res. 90: 90–99
[8] Mechouk, C. et al. (2023): Traitement des métabolites du chlorothalonil dans l’eau potable. Rapport des essais pilotes 2020–2023, Lausanne.
[9] Kiefer, K. et al. (2019): Pflanzenschutzmittelmetaboliten im Grundwasser. Aqua & Gas 11/2019: 14–23
[10] Newcombe, G. et al. (2002): Simultaneous adsorption of MIB and NOM onto activated carbon II. Competitive effects. Carbon 40: 2147–2156
[11] Meier, A. et al. VSA (2018): Expériences avec les sondes UV/VIS pour surveiller l’élimination des composés traces dans les stations d’épuration.Rapport.
[12] Anumol, T. et al. (2015): Predicting trace organic compound breakthrough in granular activated carbon using fluorescence and UV absorbance as surrogates. Water Res. 76: 76–87
[13] VSA (2018): Définition et standardisation d’indicateurs pour les procédés d’élimination des composés traces organiques dans les STEP. Recommandations

Remerciements

Nous remercions chaleureusement José Mota pour la construction et l’optimisation du pilot, Ambre Drubay et Matthieu Amos pour leur soutien laboratoire et à l’exploitation, ainsi qu’Alexandre Bagnoud, Christophe Bonvin et Daniel Urfer pour leur contribution au manuscrit.

Kommentar erfassen

Kommentare (0)

e-Paper

Avec l'abonnement en ligne, lisez le E-paper «AQUA & GAS» sur l'ordinateur, au téléphone et sur la tablette.

Avec l'abonnement en ligne, lisez le E-paper «Wasserspiegel» sur l'ordinateur, au téléphone et sur la tablette.

Avec l'abonnement en ligne, lisez le E-paper «Gasette» sur l'ordinateur, au téléphone et sur la tablette.