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02. décembre 2025

Processus de traitement SCAP-UF

Innovation à Worben: Retour d’expérience après 6 mois de traitement des métabolites du chlorothalonil

À Worben, le distributeur d’eau SWG exploite la première installation SCAP-UF de production d’eau potable à l’échelle industrielle. Ce procédé novateur associe une adsorption rapide sur charbon actif super-fin à une ultrafiltration, offrant une élimination efficace des métabolites du chlorothalonil. Les premiers retours d’exploitation confirment un fonctionnement performant, stable, aisé, économique et à faible empreinte carbone.
Florence  Bonvin, Stéphane Rapillard, Cédric  van Goethem, Jean-Julien  Dessimoz, Roman Wiget, 

Au cours des dernières années, la présence de micropolluants dans les ressources en eau potable est devenue une préoccupation croissante de l’opinion publique et place les professionnels de l’eau face à des défis techniques et réglementaires inédits. La persistance de certains composés et de leurs produits de dégradation, tels que les métabolites du chlorothalonil ou les PFAS, rend leur élimination particulièrement complexe et impose la mise en œuvre de traitements spécifiques. Parmi eux, le métabolite du chlorothalonil R471811 s’est révélé particulièrement persistant et difficile à éliminer par les procédés de traitement conventionnels [1].

Traitement par l’adsorption sur charbon actif

L’adsorption sur charbon actif s’impose depuis longtemps comme une solution de référence pour éliminer les micropolluants de l’eau. Toutefois, ses coûts d’exploitation et son impact environnemental peuvent devenir importants, voire rédhibitoires, notamment lors du traitement de composés particulièrement récalcitrants, nécessitant une consommation importante de charbon. Il est donc essentiel d’en assurer une utilisation aussi efficiente que possible.

Dans cette optique, le procédé SCAP-UF associe l’adsorption sur charbon actif en poudre super-fin (SCAP, d50: 1 à 3 µm) à une ultrafiltration (UF) pour une utilisation plus efficiente du charbon. Les performances de ce procédé novateur développé par Membratec ont été démontrées dans le cadre de plusieurs essais pilotes, notamment en 2022 sur le site de Worben (Seeländische Wasserversorgung, SWG) pour l’élimination des métabolites R471811, permettant une réduction notable de la consommation de charbon et des coûts d’exploitation [2].

Fort de ces enseignements, le procédé a été déployé pour la première fois à grande échelle pour le traitement des métabolites pour SWG. Cette mise en œuvre «à l’échelle industrielle» marque une étape clé dans la validation opérationnelle du traitement par adsorption sur SCAP-UF, tant sur le plan technique qu’économique. Le présent article propose un retour d’expérience sur les 6 premiers mois d’exploitation de cette première installation SCAP-UF.

Une nouvelle installation de traitement pour SWG

SWG est un distributeur d’eau du canton de Berne. Depuis la station de pompage située à Worben, 20 communes et plusieurs partenaires sont alimentés avec environ 3 000 000 m3 d’eau souterraine par an. L’alimentation en eau repose sur deux principales ressources, avec un total de 6 puits d’eau souterraine, dont certains sont contaminés par des métabolites du chlorothalonil bien au-dessus de la valeur alimentaire maximale de 0,1 µg/l fixée par l’OPBD. Le composé le plus problématique pour SWG est le R471811.

La première ressource, située à Gimmiz, comprend plusieurs puits d’une capacité totale de 33 000 l/min, présentant des concentrations en R471811 de 0,02 à 0,4 µg/l. La seconde ressource, le puits de Worben, d’une capacité de 8000 l/min, est nettement plus touchée, avec des teneurs en R471811 variant entre 1,8 et 2 µg/l.

En 2023, le procédé SCAP-UF a été retenu comme solution de traitement afin de réduire les concentrations de métabolites à des niveaux inférieurs à la norme. Les travaux de construction et d’installation se sont déroulés entre juin 2024 et avril 2025.

Procédé SCAP-UF

Couplage adsorption-ultrafiltration

Le procédé SCAP-UF (fig. 1) installé sur le site de Worben débute par la production du charbon actif super fin (SCAP) à partir de charbon actif en poudre (CAP) stocké dans un silo extérieur. Sur le bas du silo, le CAP est mis en suspension avec de l’eau dans une barbotine, puis est pompé vers un broyeur situé à l’intérieur du bâtiment de traitement. Le broyage en phase humide permet d’éviter tout risque lié à la santé et d’explosion en lien avec la manipulation de poudre sèche. La suspension de SCAP obtenue est stockée dans une cuve intermédiaire puis dosée dans l’eau à traiter au sein d’une bâche de contact. Deux mélangeurs assurent une homogénéisation rapide et un temps de contact moyen de 5 minutes, durant lequel les micropolluants sont adsorbés sur le SCAP.

L’eau mélangée est ensuite dirigée vers les modules d’ultrafiltration, qui retiennent les particules de SCAP chargées de micropolluants ainsi que d’autres impuretés telles que particules en suspension ou micro-organismes. À intervalles réguliers, un contre-lavage est effectué pour éliminer le charbon accumulé à la surface des membranes. L’eau de rétro­lavage, chargée en SCAP, peut être recirculée vers la bâche de contact, ce qui permet une utilisation optimale de la capacité d’adsorption du SCAP.

Gestion de boues SCAP

Le charbon actif saturé en micropolluants n’est pas recirculé indéfiniment et doit être évacué. Deux solutions sont possibles:

  • Le rejet direct de l’eau de lavage chargĂ©e en SCAP vers le rĂ©seau d’égouts;
  • La concentration sur site (dĂ©shydratation des boues) suivie d’un transport vers la STEP.


Dans la première option, les particules de SCAP suivent alors l’ensemble de la filière de traitement des eaux usées et sont éliminées avec les boues activées. De nombreuses expériences antérieures et différents essais confirment que le risque de problèmes d’exploitation liés à ces faibles quantités de charbon actif est extrêmement faible [3]. De plus, le charbon actif peut continuer à exercer un effet positif en adsorbant d’autres micropolluants présents dans les eaux usées [4]. Après traitement, le SCAP est alors éliminé par incinération avec les boues.

Dans la seconde option, retenue pour la gestion des boues SCAP de l’installation de Worben, les eaux usées contenant le SCAP sont concentrées sur site. Une unité de filtration secondaire équipée de membranes céramiques permet de concentrer les boues d’un facteur de 40 à 50, pour atteindre une concentration d’environ 9%. L’eau filtrée est renvoyée en tête de traitement, dans la bâche d’eau brute, tandis que les boues SCAP sont stockées dans un conteneur extérieur, vidé périodiquement par camion et transporté vers la STEP de Bienne. Les pertes en eau de l’installation SCAP-UF sont ainsi très faibles (< 0,03%).

Intégration du procédé SCAP-UF à Worben

L’installation d’un débit nominal de 550 m3/h a été intégrée au bâtiment existant de la station de pompage de Worben, à l’emplacement de l’un des anciens réservoirs d’eau (fig. 2). Cet espace d’environ 100 m2 a été réaménagé sur deux niveaux: le sous-sol regroupe le système de broyage, les pompes de gavage et les pompes de rétrolavage, tandis que l’étage supérieur accueille le skid d’ultrafiltration.

Seul le silo de stockage du charbon actif en poudre est installé à l’extérieur du bâtiment, garantissant un approvisionnement facilement accessible. Cette conception compacte a permis d’exploiter au mieux les infrastructures existantes, tout en réduisant l’empreinte au sol et en assurant une transition et une mise en service fluide du procédé.

Le charbon actif sélectionné par SWG et mis en œuvre durant les six premiers mois d’exploitation est un charbon à base de résidus de bois suisse, carbonisé en Suisse et activé en Europe [5]. Il présente une taille médiane de 17 µm, puis est broyé à 2 µm.

Retour d'expérience

Efficacité d'adsorption des métabolites

Dès la mise en service du procédé SCAP-UF en avril 2025, une phase d’évaluation a été engagée afin de vérifier ses performances. L’objectif principal de cette étape est de quantifier l’abattement des métabolites du chlorothalonil, de confirmer la conformité de la qualité de l’eau distribuée par rapport aux exigences réglementaires et d’optimiser le dosage du SCAP.

Durant les 6 premiers mois, l’installation a traité principalement l’eau des puits de Gimmiz, faiblement chargée en métabolites (entre 0,06 et 0,2 µg/l, selon les puits en service). Cependant, lors des périodes de forte demande, l’eau de Worben a été intégrée au mélange, entraînant des concentrations en R471811 comprises entre 0,5 et 0,9 µg/l. La concentration de matière organique reste faible, entre 0,2 et 0,4 mg/l.

Un taux d’abattement du métabolite compris entre 83% et plus de 98% (fig. 3) a été observé pour des doses de SCAP entre 2 et 6 mg/l. Sur cette base, une dose de 1,5 mg/l a été retenue pour l’eau de Gimmiz et 2,5 mg/l pour le mélange 75% Gimmiz et 25% Worben, permettant d’assurer une concentration résiduelle en métabolite inférieure à 0,1 µg/l, avec une marge de sécurité par rapport à la limite réglementaire.La dose nécessaire pour traiter l’eau de Worben (2 µg/l de R471811) doit encore être validée, mais sur la base des premiers résultats obtenus pour le mélange, elle est estimée à 5,5 mg/l. Le procédé SCAP-UF peut s’adapter rapidement à un changement de qualité d’eau, et le dosage est automatiquement adapté, ce qui permet une optimisation de la consommation de charbon.

 

Filtration membranaire

Depuis la mise en service, la perméabilité membranaire corrigée n’a baissé que très légèrement au cours du temps, indiquant une absence de colmatage avec des particules de SCAP et une constance des conditions hydrauliques. Sur cette période de 6 mois, aucun nettoyage chimique n’a été requis. Les volumes de production varient entre 6000 m3 et 12 000 m3 par jour. Le système SCAP-UF est exploité de manière intermittente, uniquement durant les phases de pompage vers le réseau, avec un flux de filtration compris entre 40 et 80 l m–2 h–1 et une durée quotidienne de fonctionnement d’environ 17 heures.

Consommation énergétique

La consommation énergétique de l’installation SCAP-UF de Worben a été estimée sur une base théorique, puis validée expérimentalement par des mesures sur une période de 2 semaines. La consommation totale du procédé s’élève à 60 Wh/m3 d’eau traitée, dont environ 75% pour les équipements d’ultrafiltration (UF) et 25% pour les équipements associés à la production et au mélange du SCAP. Parmi ces derniers, la contribution du broyage reste marginale, représentant environ 5% de la consommation totale.

Bilan globale des coûts d'exploitation

Sur les six premiers mois d’exploitation (production de 1 425 000 m3), la consommation de charbon actif a été de 4,4 tonnes. Un potentiel de réduction a été identifié en raison du dosage non encore optimisé durant la majeure partie de la période. L’estimation pour un fonctionnement stabilisé est de l’ordre de 6 tonnes par an pour une production annuelle de 3 000 000 m3.

Les transports des boues SCAP concentrées à la STEP de Bienne ont eu lieu environ chaque 1,5 mois.

Le coût d’exploitation global du traitement atteint 4,5 centimes/m3, intégrant le charbon, l’énergie, le traitement des boues, le remplacement des membranes et l’exploitation de l’installation. Ce coût reste modeste au regard du coût total de distribution de l’eau, la part majoritaire provenant de l’entretien et refinancement, du personnel, du pompage des eaux souterraines et du transport dans le réseau (CHF 2.5/m3). Fait notable, le prix de l’eau pour les consommateurs a diminué malgré l’intégration du nouveau traitement, en raison d’une augmentation des volumes vendus et distribués aux communes voisines.

Maintenance des equipements

Les 6 premiers mois de mise en production de l’usine ont permis d’apprécier les contraintes d’exploitation de ce nouveau procédé à l’échelle industrielle. Après les réglages et les optimisations effectuées durant les premières semaines de mise en service, l’exploitation de l’installation s’est révélée stable et fiable. Les problématiques de dépôt de charbon dans la tuyauterie des dispositifs de préparation et d’injection du charbon, parfois rencontrées lors des essais de pilotage à faible débit, sont beaucoup moins critiques à l’échelle industrielle. Les besoins hebdomadaires de main d’œuvre sont évalués à 3–4 heures pour l’exploitation de l’usine.

Comparaison avec les essais pilotes: abattement et estimation OPEX

À la suite de l’essai pilote SCAP-UF mené en 2022, des estimations préliminaires de coûts d’investissement, d’exploitation et du bilan carbone avaient été établies [2]. Les données recueillies après six mois d’exploitation à l’échelle réelle confirment que ces estimations étaient globalement prudentes (tab. 1). Le dosage en charbon actif légèrement plus faible que celui appliqué lors du pilotage (en partie liée à l’utilisation de ressources moins impactées par la contamination), la consommation énergétique optimisée grâce au facteur d’échelle, et l’utilisation d’un charbon actif à base de bois suisse – substituant un matériau à base de houille – ont permis de réduire les coûts d’exploitation et l’empreinte carbone du procédé. Ces résultats mettent en évidence la pertinence de la transposition à grande échelle du système SCAP-UF.

Tab. 1 Comparaison des estimations faites en 2023 avec les données du pilotage avec les mesures actuelles après 6 mois d’exploitation. Les coûts d’exploitation comprennent le charbon actif, la consommation énergétique au coût de 25.5 ct CHF/kWh, l’évacuation et le traitement des boues SCAP, le remplacement des membranes pour une production annuelle de 3 000 000 m3.
  SCAP-UF (estimation 2023 pilotage) SCAP-UF (coûts réels installation full-scale)
OPEX


Consommation électrique Wh/m3 78 60
Dose de charbon moyenne mg/l 3.5 2
Consommation de charbon tonnes/an 10.5 6
Couts d’exploitation ct CHF/m3 5.8 4.5


Une analyse de cycle de vie, incluant la totalité du cycle de vie du «berceau à la tombe», réalisée par une entreprise externe, valide que la majorité de l’impact climatique (> 95%) provient de la phase d’utilisation, majoritairement l’utilisation de charbon actif et la consommation énergétique. Dans le choix du charbon actif, la matière première est déterminante pour l’impact environnemental, et l’utilisation de charbons à base de biomasse, telle que le charbon à base de bois sélectionné permet de réduire fortement l’impact climatique [5]. La fabrication des composants de l’installation, les transports (par exemple le transport de charbon) et la fin de vie (l’élimination des boues SCAP et des équipements) n’influencent que peu l’impact climatique.

Conclusions

La mise en œuvre à l’échelle industrielle du nouveau procédé SCAP-UF sur le site de Worben constitue une étape déterminante dans la gestion des micropolluants, en particulier du métabolite du chlorothalonil R471811, dans les eaux souterraines destinées à la production d’eau potable. Après 6 mois d’exploitation, le retour d’expérience met en évidence des performances stables et conformes aux attentes, tant sur le plan de l’abattement du métabolite que de la fiabilité opérationnelle du procédé.

Grâce à la très faible taille des particules de SCAP, l’adsorption des métabolites est très rapide, ce qui permet une utilisation plus efficiente du charbon actif. La consommation annuelle pour l’élimination du métabolite du chlorothalonil R471811 de l’eau souterraine de SWG est estimée à 6 tonnes de charbon (soit en moyenne 2 g/m3 d’eau traitée), tout en maintenant une perméabilité stable et sans nécessiter de nettoyage chimique. La consommation énergétique mesurée reste faible.

L’installation de traitement se distingue également par sa compacité. Elle a pu être intégrée dans le bâtiment existant de la station de Worben, limitant les investissements en génie civil et l’empreinte au sol.

Avec cette technologie qui vise à optimiser l’utilisation du charbon actif et ainsi minimiser les coûts d’exploitation et l’empreinte carbone, le traitement du chlorothalonil devient aujourd’hui abordable financièrement pour les collectivités publiques, avec un surcoût de l’ordre de 4,5 centimes par m3 d’eau potable.

Au-delà des performances atteintes, cette première exploitation à grande échelle démontre la faisabilité et la durabilité du concept SCAP-UF, qui s’impose comme une solution flexible, compacte et modulable pour la production d’eau potable à partir de ressources en eau contaminées par des micropolluants persistants.

 

Bibliographie

[1] Kiefer, K. et al. (2020): Fact Sheet: Métabolites du chlorothalonil. Eawag, Dübendorf

[2] Bonvin, F. et al. (2023): Charbon actif – une question de la taille? Étude comparative de procédés d’adsorption pour le traitement des métabolites du chlorothalonil. Aqua & Gas 12/2023: 24-30

[3] DWA (2018): DWA-Arbeitsgruppe «Aktivkohleeinsatz auf Kläranlagen», Betriebserfahrungen mit Aktivkohleanlagen. Betriebs-Info 48: 2715–2718

[4] Löwenberg, M. et al. (2019): Wiederverwertung von Pulveraktivkohle aus der Trinkwasseraufbereitung zur Umsetzung der Spurenstoffelimination auf kommunalen Kläranlagen. Projektbericht, CSD ENVIROTEC

[5] Wiget, R. et al. (2025): Ermittlung der «besten» Aktivkohle, Aqua & Gas 12/2025: 58–63

 

Remerciements

Nous remercions chaleureusement les exploitants de l’installation de Worben, tout particulièrement M. Gerhard Schädeli pour sa disponibilité, son aide pour les échantillonnages ainsi que sa précieuse contribution au bon déroulement de la mise en service et de l’exploitation de cette première installation SCAP-UF. Merci également à tous les collaborateurs Membratec impliqués dans la construction et le suivi de cette installation. Last but not least, un grand merci à Emmanuel Bonvin, pour sa vision et son support tout au long de ce périple.

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