Les remontées de nappe phréatique dans la plaine du Rhône font partie des domaines de dangers météo-climatiques listés dans la nouvelle loi du Canton du Valais sur les dangers naturels et l’aménagement des cours d’eau du 10 juin 2022 (LDNACE, art. 2 al. 3 let. c). Pour les dangers météo-climatiques, les collectivités publiques sont tenues de transmettre l’alerte et l’alarme et les informations nécessaires à ceux qui y sont exposés (LDNACE, art. 4 al. 3). Les entités compétentes élaborent et actualisent les documents et les données de base nécessaires à assurer la gestion intégrée des risques (LDNACE, art. 8 al. 1; [1]).
Pour satisfaire ces exigences, le Service des dangers naturels (SDANA) du Canton du Valais a cartographié les niveaux extrêmes de la nappe phréatique dans la plaine du Rhône grâce à une analyse statistique des chroniques piézométriques. L’objectif est de produire une carte d’aléa des remontées de nappe sur l’ensemble de la plaine entre le lac Léman et Naters, soit une distance de 120 km. Une période de retour de 30 ans a été choisie compte tenu des chroniques disponibles. Il s'agit d'un standard dans l'étude des dangers naturels.
Cette démarche s’inscrit aussi dans le besoin de mieux connaitre les niveaux extrêmes possibles de la nappe pour donner suite aux situations particulières des dernières années (juillet 2019, juillet 2021, décembre 2023 et juillet 2024). La carte d’aléa a notamment un intérêt pour l’analyse quantitative de la nappe à l’état initial avant la réalisation de l'aménagement de la troisième correction du Rhône, et pour l’analyse des interférences possibles nappe-sites pollués.
La nature des sédiments rencontrés dans la plaine du Rhône entre le lac Léman et Naters est étroitement liée à l’historique des avancées et retraits glaciaires durant le quaternaire. L’aquifère alluvial du Rhône dans lequel s’écoule la nappe phréatique est composé d’alluvions grossières perméables et de dépôts fins d’inondation. Localement, des dépôts issus de cônes de déjection s’intercalent. L’ensemble a une épaisseur moyenne de 50 m environ. La nappe a un gradient moyen de 2‰ et un battement naturel d’environ 1 m. En dehors des cônes de déjection, le toit de la nappe est relativement proche de la surface (1 à 3 m de profondeur) et connait des variations saisonnières et interannuelles importantes qui dépendent des conditions climatiques, de la fonte nivale et glaciaire, des échanges avec les cours d’eau, dont le Rhône, du gisement de l’aquifère (nappe libre, nappe semi-captive, nappe captive) et des prélèvements par des puits de pompage (industrie, agriculture et eau potable). Enfin, des canaux ont été aménagés dans la plaine pour drainer la nappe, ce qui a permis le développement de l’agriculture et la densification du bâti [2].
La nappe phréatique de la plaine du Rhône est suivie en continu depuis environ 50 ans par le Canton du Valais. Au total, environ 350 piézomètres sont équipés de sondes mesurant chaque heure le niveau, la température et parfois la conductivité électrique de la nappe.La répartition des sondes dans la plaine du Rhône n’est pas parfaitement homogène, car elle répond à certains besoins spécifiques: problématiques locales, développement par secteur du projet de la troisième correction du Rhône, étude des interactions Rhône-nappe, etc. Toutes ces données hydrogéologiques sont bancarisées dans une base de données cantonale nommée STRATES, publiée et gérée par le Service de l’environnement (SEN) du Canton du Valais.
Pour l’élaboration de la carte d’aléa, 266 chroniques d’une durée supérieure ou égale à 7 ans ont été retenues après une analyse exploratoire, soit 1,5 piézomètre par kilomètre carré (fig. 1). Plus de la moitié des jeux de données ont une durée inférieure à 16 ans, ceci est dû au développement du réseau cantonal de surveillance des eaux souterraines dès le début des années 2010 pour les besoins du projet de la troisième correction du Rhône. Les stations sont réparties de manière assez uniforme sur l’ensemble de la plaine entre le lac Léman et Naters (fig. 2). Deux secteurs ont une plus forte densité de données: Sierre et Viège. Pour Sierre, un suivi renforcé de la nappe avait été mis en place à la suite de plusieurs épisodes de fortes remontées de nappe dès juillet 2012. Pour Viège, la forte densité de piézomètres équipés de sonde est liée au développement de la Mesure Prioritaire de Viège (troisième correction du Rhône) dès la fin des années 2000 et au suivi de l’impact des travaux d’aménagement.
Les niveaux de la nappe à la période de retour de 30 ans ont été estimés grâce à l’ajustement d’une distribution statistique (loi de Gumbel) sur les valeurs maximales annuelles (blocs, fig. 3). La loi généralisée des valeurs extrêmes (GEV) qui combine en une seule forme trois lois d’extrémum de type I (Gumbel), II (Fréchet) et III (Weibull) a également été testée, mais les résultats étaient parfois moins pertinents sur un certain nombre de stations. Pour des raisons d’homogénéité, seule la loi de Gumbel a été finalement employée.
La méthode des maximas est simple à appliquer, car les blocs garantissent l’indépendance des variables et elle ne nécessite pas d’autres paramètres en dehors du choix de la loi de distribution. Elle a été sélectionnée dans le cadre d’autres études pour l’analyse des valeurs piézométriques extrêmes [3, 4].
Cette approche requiert que la variable aléatoire analysée soit indépendante (autocorrélation nulle) et identiquement distribuée (stationnaire). Mais l’indépendance et la distribution identique des chroniques piézométriques ne sont de loin pas toujours garanties. Les séries peuvent être affectées par des tendances d’origines naturelles et/ou anthropiques difficiles à modéliser statistiquement. Il est donc important de rester critique vis-à -vis des prédictions du modèle, même quand tous les tests statistiques sont satisfaits.
Le krigeage à dérive externe (KDE) ou krigeage universel a été employé pour l’interpolation des niveaux de la nappe à la période de retour de 30 ans [5, 6]. La surface piézométrique représentant les maximas des 12 moyennes mensuelles pour la période 1976–2017 a été utilisée comme dérive externe pour le calcul des résidus [2]. La moyenne des résidus est de 1,09 m. Le variogramme des résidus montre une stationnarité au-delà de 2 km environ (fig. 4). Le modèle retenu (courbe rouge) comprend une structure sphérique avec un effet pépite (portée = 2000 m, palier pépite = 0,04, palier sphérique = 0,35). Cette combinaison permet d’obtenir, en voisinage unique, une surface piézométrique qui peut être assimilée à une topographie relativement lisse et atténuée sans avoir de gradient très élevé de la nappe (comme on peut l’observer à proximité de puits de pompage par exemple).
Le produit calculé est un raster d’une résolution spatiale de 10 m qui englobe toute la plaine du Rhône (fig. 5 et 6). Les zones où le toit de la nappe est plus élevé que la surface du terrain (nappe en charge) sont représentées en gris clair et gris foncé (fig. 7). Attention, une nappe en charge (ou captive) n’est pas systématiquement associée à une inondation, cela dépend de la perméabilité des dépôts d’inondation et du contexte géologique, comme par exemple, au sud du village de Vouvry où un ancien marais est présent avec des niveaux piézométriques systématiquement plus hauts que la surface du terrain même en situation ordinaire.
La carte d’aléa a été croisée puis consolidée avec les observations de terrain effectuées lors de situations particulières. Néanmoins, elle est vouée à être affinée, en fonction de:
Compte tenu des éléments précités, il est recommandé de mettre à jour la carte d’aléa tous les 5 ans en l’absence d’évènements exceptionnels. Selon notre expertise, les mises à jour répétées ne devraient pas avoir un grand impact sur le nombre de secteurs concernés par des remontées de nappe jusqu’à la surface par exemple. Au mieux, les contours de ces secteurs seront plus précis.
Les estimations ont été établies pour toute la plaine du Rhône au moyen d’une méthode d’interpolation uniforme, à partir d’une analyse statistique sur 266 chroniques piézométriques. Les résultats ont été croisés avec des observations de terrain lors de situations météo-climatiques particulières. Malgré cela, les niveaux interpolés ne doivent pas être considérés comme un acquis du fait:
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Plusieurs épisodes de fortes remontées de nappe se sont produits au cours des dernières années et ont permis à la nappe d’atteindre localement la surface du terrain. Ces épisodes n'ont pas affecté la plaine dans son ensemble, mais certaines régions. Ces événements n'ont toutefois pas tous la même origine. Parfois, les crues du Rhône et/ou des cours d’eau latéraux ont été la principale cause de remontées via l’augmentation de l’infiltration d’eau vers la nappe à la suite de l’élévation de la ligne d’eau du Rhône (octobre 2000 ou juillet 2024). D’autres fois, ce sont les cumuls importants de précipitation associés à des phénomènes de pluie sur neige qui ont été la principale cause (mai 2015, janvier 2018 ou décembre 2023). Il peut également s'agir de la combinaison de plusieurs processus (crues, précipitations répétées, fonte nivale) comme en juillet 2012, juillet 2019, juillet 2021 et juin 2024. Dans la vallée du Rhône, le mois de juillet est en général le mois le plus problématique vis-à -vis des remontées de nappe car les niveaux de base y sont déjà élevés par défaut (hautes eaux estivales). Avec le changement climatique et l’augmentation de l’altitude moyenne du zéro degré, les phénomènes de pluie sur neige pouvant engendrer des niveaux très élevés de la nappe seront dorénavant de plus en plus fréquents en hiver comme ceux observés en janvier 2018 et en décembre 2023.
La figure 8 illustre les périodes de retour des niveaux de la nappe de 5 situations particulières pour l’ensemble de la plaine du Rhône entre le lac Léman et Brig.
La crue majeure du 15 octobre 2000, provoquée par des fortes pluies sur la crête sud des Alpes valaisannes, a engendré de nombreux dommages dans la plaine du Rhône à la suite de la rupture d’une digue à Chamoson et du débordement de canaux et du Rhône à Evionnaz et à Collonges. Les niveaux de la nappe ont augmenté lors du passage de cette crue, avec des amplitudes variables et des décalages dans le temps qui sont conditionnés par la distance au Rhône et les conditions hydrogéologiques locales. La réponse de la nappe au passage de cette crue n’a pas été uniforme sur l’ensemble de la plaine. Pour certaines stations comme à Sierre, où le lit du Rhône est fortement colmaté, les niveaux de la nappe ont atteint des valeurs proches des hautes eaux estivales de la même année. En revanche, dans les zones les plus impactées par la rupture de la digue et les débordements de canaux, certaines stations ont enregistré des niveaux extrêmes qui correspondent à des périodes de retour estimées supérieures à 50 ans (Grône, Ardon, Riddes et Saillon).
Entre fin juin et début juillet 2019, la ligne d’eau du Rhône est restée constamment haute à la suite d’un épisode de canicule qui a provoqué la fonte intense de l’épais manteau neigeux qui persistait à ce moment sur les reliefs. Des remontées extraordinaires de la nappe ont été constatées avec des périodes de retour dépassant souvent 30 ans dans les secteurs où il existe de forts échanges entre le Rhône et la nappe comme à Pramont (aval de Sierre), à Sion ou à Fully.
Entre mi-juin et mi-juillet 2021, le Bas-Valais et le Chablais ont connu plusieurs épisodes de précipitations pluvio-orageuses avec des cumuls importants, jusqu’à 350 mm localement en plaine du Rhône. Le printemps 2021 avait déjà été marqué par une fonte plus tardive qu’habituellement. La combinaison de ces deux phénomènes a engendré des niveaux de la nappe très élevés avec des périodes de retour dépassant localement 10 ans et 30 ans dans le Bas-Valais (Fully, Evionnaz) et dans le Chablais, respectivement.
Entre mi-novembre et mi-décembre 2023, l’ouest et le nord du Valais ont été confrontés à des intempéries avec des cumuls de précipitation exceptionnels atteignant localement 700 mm sur l’ensemble de l’évènement. La Haut-Valais a été moins touché (100 à 350 mm). Durant cette période, la limite pluie-neige a été très fluctuante. De ce fait, plusieurs épisodes de pluie sur neige se sont produits successivement. Les piézomètres situés en pied de versant à l’aval de Sierre ont enregistré des niveaux piézométriques très élevés avec localement des valeurs records. Les périodes de retour étaient souvent comprises entre 20 et 50 ans dans ces secteurs de la plaine du Rhône qui sont influencés par des venues d’eaux souterraines depuis les versants.
Enfin, le 29 juin 2024, un épisode de fortes précipitations pluvio-orageuses a touché la crête sud-est des Alpes valaisannes (jusqu’à 200 mm localement sur 24 heures) et a succédé à une période d’intense fonte nivale. Durant la nuit du 29 au 30 juin 2024, une crue rapide du Rhône s’est produite avec des débits records enregistrés aux stations de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) de Reckingen, Brig, Sion et Branson. Deux débordements du Rhône ont été observés à Sierre et à Niedergesteln dans le Haut-Valais, et des canaux connectés au Rhône ont refoulé à Evionnaz et à Susten (Leuk) engendrant des inondations et des dommages au bâti, aux infrastructures et à l’agriculture. C’est vers le 1er juillet 2024 que des niveaux piézométriques très élevés, parfois records, ont été mesurés dans les secteurs où il existe de forts échanges entre le Rhône et la nappe, avec des périodes de retour supérieures à 20 ans (Illarsaz, Massongex, Evionnaz, Fully, Sion, Sierre, Brigerbad) voire localement supérieures à 50 ans (Sion, Sierre). Cet évènement fait suite à une première crue du Rhône de moindre importance survenue une semaine auparavant, le 22 juin.
Que nous apprend cette rétrospective?
La rétrospective des situations particulières nous renseigne donc sur les régions où la nappe:
Selon les conditions météo-climatiques, ces meilleures connaissances sur le fonctionnement de la nappe aideront à l’avenir à mieux planifier la surveillance, quantitativement vis-à -vis des risques d’inondation, et qualitativement vis-à -vis des risques de lessivage de la base de sites pollués. Elles aideront aussi lors de la réalisation des travaux d’aménagement de la troisième correction du Rhône à différencier ce qui est d’origine naturelle de ce qui est lié aux travaux, lors de situations particulières pouvant engendrer des dommages.
La valorisation des mesures en continu des niveaux piézométriques, stockées dans la base de données cantonale STRATES, a permis l’élaboration d’une carte d’aléa associée aux remontées de nappe dans la plaine du Rhône entre le lac Léman et Naters pour une période de retour de 30 ans, période standard dans le domaine des dangers naturels. Du fait de la large échelle de représentation et de l’incertitude sur le calcul des niveaux versus périodes de retour, la carte d’aléa ne doit pas être considérée comme un acquis. Pour chaque étude locale, les spécialistes en hydrogéologie analyseront plus finement ces données et apporteront leur regard critique. Ce travail constitue néanmoins une base solide pour définir l’état initial de la nappe dans des situations extrêmes avant la réalisation de grands projets qui peuvent impacter la nappe comme la troisième correction du Rhône. Un second projet cartographique est en cours d’élaboration à l’interne du Canton du Valais; il vise à croiser la carte d’aléa avec les activités de surface (enjeux) pour améliorer à long terme la surveillance de la nappe aux endroits stratégiques et pour in-fine définir des seuils (éveil, vigilance, alerte, etc.) qui serviront de référence aux communes pour l'élaboration de plans d'alarme et d’intervention (PAI).
À la suite des évènements des dernières années et à l’occasion de l’entrée en vigueur de la LDNACE, le Canton du Valais a mis en place une veille hydrogéologique qui doit assurer en tout temps un suivi des prévisions météo-climatiques et des données hydrogéologiques disponibles ainsi qu’une permanence cantonale qui permet un appui aux entités compétentes en cas d’évènement extrêmes. Le fonctionnement opérationnel de cette veille est assuré grâce à une coordination entre le SDANA et le SEN. La carte d’aléa des remontées de nappe pour une période de retour de 30 ans a été développée dans ce cadre et sert de base pour avoir une meilleure connaissance des réactions de la nappe vis-à -vis d’évènements climatiques particuliers (extrêmes).
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[1] Loi sur les dangers naturels et l’aménagement des cours d’eau (LDNACE) du 10 juin 2022. RS 721.1
[2] Sonney, R. et al. (2021): Nappe phréatique de la plaine du Rhône. Cartographie de la piézométrie à l’échelle de la vallée du Rhône entre Brig et le Léman. Aqua & Gas 4: 58–64
[3] Renard, P. (2011): Analyse statistique de données hydrogéologiques extrêmes. Rapport technique CHYN pour l’OFEV, 25 janvier 2011
[4] Bessière, H. et al. (2020): Guide méthodologique pour l’établissement de cartes de sensibilité aux remontées de nappe à l’échelle locale. Rapport final – RP-69653-FR, novembre 2020
[5] Geovariances & Ecole des Mines de Paris (2002): Isatis software Manual, 4th Edition. 645 pp.
[6] Chilès, J.-P. (1991): Application du krigeage avec dérive externe à l’implantation d’un réseau de mesures piézométriques. Sciences de la Terre, Série Informatique 30: 131–147
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