En Suisse, environ 80% de l’eau potable provient des eaux souterraines, dont près de la moitié des sources [1]. En milieu alpin, et notamment en Valais, les sources constituent la principale ressource d’alimentation en eau potable, avec près de 3000 sources d’intérêt publique recensées [2]. Ces résurgences d’eau souterraine, issues de la recharge des aquifères, offrent un approvisionnement en général de bonne qualité.
Le régime des sources dépend étroitement des paramètres météorologiques de leur bassin d’alimentation. Leur réactivité – et donc la manière dont elle répondent aux forçages météorologiques – dépend des caractéristiques hydrogéologiques et de la taille des aquifères qu’elles drainent. La dynamique de leurs débits peut donc varier fortement d’une source à l’autre, comme illustré en figure 1. Avec le réchauffement climatique, la réduction du couvert neigeux, l’augmentation de l’évapotranspiration et l’intensification des sécheresses, les ressources en eaux souterraines de montagne sont particulièrement menacées. Dans les Alpes, où le climat se réchauffe deux fois plus vite qu’ailleurs, les projections s’accordent sur plus de précipitations en hiver mais une baisse en été combinée à une fonte de neige plus précoce. Cette redistribution saisonnière pourrait conduire à des étiages estivaux plus sévères et plus fréquents. Ces évolutions posent un risque croissant de tensions d’usage pendant les périodes de sécheresses. Il est donc essentiel d’anticiper la réponse des sources au changement climatique afin d’adapter la gestion de l’eau potable. Pourtant, le fonctionnement des aquifères de montagne et la dynamique des sources restent encore peu étudiés, en particulier pour les systèmes non karstiques dans le contexte du changement climatique [3]. Le manque de données de débit représentant la dynamique naturelle des sources, leur faible valorisation ou leur usage strictement opérationnel limitent la compréhension à long terme de ces ressources.
Dans ce contexte, plusieurs communes s’interrogent aujourd’hui sur la vulnérabilité future de leurs sources. Cet article présente une démarche de diagnostic appliqué à un ensemble de sources alpines, visant à (1) illustrer la variabilité de leur comportement et leur sensibilité aux sécheresses et ainsi identifier les ressources stratégiques, et (2) simuler l’évolution future de leurs débits sous l’effet des évolutions climatiques. À travers ces exemples, il s’agit aussi de sensibiliser à l’importance du monitoring des sources, non seulement pour la gestion à court terme, mais comme base stratégique de l’adaptation au changement climatique à plus long terme.
Les mesures effectuées aux captages d’eau potable sont en général orientées vers des objectifs opérationnels (mesures de la quantité d’eau distribuée, contrôle du fonctionnement des ouvrages, détection de baisses d’alimentation, gestion de la distribution etc). Le débit des sources, c’est-à -dire celui qui sort naturellement du système souterrain, est moins souvent mesuré, alors qu’il s’agit d’une donnée fondamentale pour toute analyse de la ressource, notamment dans le contexte du changement climatique. Pour que ce suivi soit utile à l’évaluation du fonctionnement de la ressource et de sa réponse aux sécheresses, plusieurs critères de qualité doivent être réunis , tels que décrits ci-dessous:
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La mesure fiable du débit nécessite des moyens modérés, si le captage ou les conduites le permettent, mais un suivi relativement rigoureux. Il est recommandé d’ajouter à la mesure de débit, une sonde immergée en permanence, située proche de l’arrivée d’eau dans le captage et qui mesure la conductivité électrique et la température, réglée au même pas de temps que la mesure de débit. Il est de plus conseillé de rentrer les données récoltées directement dans une base de données sous un format standardisé.
L’analyse statistique des chroniques de débit permet de caractériser le régime hydrologique des sources, de détecter d’éventuelles tendances temporelles, et de calculer plusieurs indicateurs de résistance à la sécheresse. Plus la série est longue, plus l’analyse est robuste. Plusieurs indicateurs peuvent être calculés, en fonction de la durée et de la qualité des séries de débit disponibles. Les indices standardisés (par exemple le Standardized Streamflow Index – SSI) qui permettent d’identifier la réponse aux déficits hydriques et les indices liés aux analyses fréquentielles des débits minimums annuels, qui permettent d’estimer la probabilité d’occurrence de bas débits extrêmes, n’ont pas pu être calculés dans cette étude car ils nécessitent une longue série de données (plus de 15 ans – 30 ans conseillé – pour le SSI et au moins 10 ans pour l’analyse fréquentielle). Ainsi les indicateurs calculés dans cette étude sont:
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Le calcul de ces indicateurs de décroissance se fait par extraction des périodes de décroissance des débits qui sont ensuite mises ensemble puis ajustées avec une formule de décroissance, tel qu’illustré en figure 2. Pour identifier les ressources stratégiques – c’est-à -dire les sources les moins sensibles aux sécheresses saisonnières – ces indicateurs ont été combinés au sein d’un indice synthétique de résistance. Chaque indicateur (WFI, IRSAK, T1/2 et α) a servi à classer les sources selon trois niveaux de résistance (bonne, moyenne ou faible), puis ces classes ont été agrégées à l’aide d’une constante de pondération: 1 pour le WFI, 1 pour l’IRSAK, 5 pour le temps de demi-décroissance (T1/2) et 2 pour le coefficient de tarissement (α).
Bien qu’ils permettent une première classification qualitative des sources, ces indicateurs sont basés sur les conditions passées et ne prennent pas en compte l’évolution future des conditions météorologiques. Afin d'évaluer quantitativement l'évolution des débits des sources avec le changement climatique, la modélisation a été utilisée.
Modélisation du débit des sources et scénarios climatiques
Dans cette étude, trois sources situées en zone alpine ont été modélisées. S1 est située à une altitude de 1520 m, S2 à 2085 m et S3 à 1320 m. Ces trois sources sortent au niveau de dépôts quaternaires (moraines, alluvions et éboulis) situés à proximité de roches consolidées qui sont observables sur les versants (granite pour S3 et gneiss pour S1 et S2).
Pour modéliser le débit des sources des modèles hydrogéologiques ou hydrologiques, distribués ou semi-distribués, peuvent être utilisés. En raison notamment des données disponibles et des connaissances hydrogéologiques des sites, un modèle hydrologique semi-distribué a été utilisé. Le logiciel RS MINERVE [6] qui contient plusieurs modèles hydrologiques de type réservoirs a été utilisés. Pour les sources 1 et 2: le modèle HBV [7, 8], implémenté dans le logiciel RS MINERVE a été utilisé. Afin de mieux représenter le comportement inertiel des sources, un modèle qui reprend les équations générales du modèle GARDENIA [9] a été utilisé pour la source S3.
Les deux modèles sont constitués de quatre réservoirs pour simuler le débit:
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Les réservoirs sont exécutés sur la base d’un ensemble de bandes d’élévation préalablement définies. Ce modèle conceptuel est basé sur les hypothèses suivantes:
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L’évapotranspiration potentielle est calculée avec la formule de Oudin basée sur la latitude et la température journalière de l’air [10]. L’évapotranspiration réelle est ensuite calculée en réduisant l’évapotranspiration potentielle en fonction du déficit hydrique du sol [9, 11].
Les bassins de recharge hydrogéologique alimentant les sources ne correspondent en général pas à leurs bassins versants topographiques. Leur délimitation a été définie en prenant en compte des informations hydrogéologiques à disposition (géologie, essais de traçage etc.). La taille des aires d’alimentation a été estimée à l’aide d’un bilan hydrique simplifié:
avec A la surface estimée du bassin, Q le débit moyen annuel, P les précipitations moyennes annuelles et ETR l’évapotranspiration réelle moyenne annuelle.
Le bassin d’alimentation est divisé en quatre sous-bassins, chacun correspondant à une bande d’altitude différente. Cela permet de mieux prendre en compte les variations météorologiques et nivologiques selon l’altitude. La répartition des aires d’alimentation entre les sous-bassins a été définie de manière itérative, tout en prenant en compte la géologie et en s’appuyant sur les résultats obtenus lors de la calibration.
Les données météorologiques d’entrée sont communes à l’ensemble du bassin. Pour chaque source, elles proviennent des stations météorologiques les plus proches. La hauteur de neige modélisée a également été validée avec les données de hauteur de neige aux stations pour les trois sources, ainsi que de couvert de neige pour la source S3 (MODIS). La comparaison montre une bonne concordance avec les données mesurées, tant pour les niveaux que pour les variations saisonnières d’accumulation et de fonte.
Le modèle a été calibré en optimisant la fonction objectif basée sur les coefficients de Nash (Nash-Sutcliffe classique et logarithmique). L’objectif est de minimiser l’écart entre les débits mesurés et simulés, tout en restituant de manière réaliste le comportement des sources et notamment les bas débits. Les modèles ont été calibrés sur toute la période de mesure excepté les 3 dernières années qui ont été utilisées comme période de validation. Les débits simulés et mesurés sont présentés en figure 3.
L’évaluation de la performance du modèle hydrologique est globalement satisfaisante, avec notamment un coefficient de Nash-Sutcliffe de 0,8 pour S1 et S2 et de 0,5 pour S3. Pour les trois sources, les cycles saisonniers ainsi que les variations du débit, notamment durant la phase de récession (période pendant laquelle le réservoir souterrain se vide progressivement et conditionne les bas débits estivaux), sont reproduits adéquatement.
Une fois le modèle hydrologique calibré, huit chaînes de modèles climatiques provenant des simulations CH2018 [12] et couplant GCM (modèles globaux) et RCM (modèles régionaux) ont été utilisées pour simuler l’évolution future du débit des sources. Cet article se concentre sur le scénario RCP 8.5, scénario pessimiste correspondant à une poursuite des émissions élevées. Ces 8 modèles climatiques ont été choisis de manière à couvrir une large gamme de trajectoires de températures et de précipitations jusqu’en 2100 (DMI-HIRHAM_ECEARTH_EUR11, KNMI-RACMO_HADGEM_EUR44, MPICSC-REMO1_MPIESM_EUR11/44, MPICSC-REMO2_MPIESM_EUR11/44, SMHI-RCA_ECEARTH_EUR11, SMHI-RCA_MIROC_EUR44). Les résultats sont présentés sur la base de la médiane des débits simulés obtenus avec ces 8 modèles. Les variations saisonnières sont comparées sur la base des valeurs moyennes sur 30 ans avec une période de référence (1993–2022) comparée à 2 périodes futures (2060: 2045–2074 et 2085: 2070–2099).
La méthode de calcul d’indicateurs de résistance à la sécheresse a été appliquée à 18 sources en région alpine au sud-ouest du Valais (fig. 4). Les données analysées montrent que les dynamiques des sources peuvent varier fortement même en cas de proximité, ce qui souligne la nécessité de monitorer chaque source individuellement. On peut observer que les sources situées en tête de bassin versant ont plutôt une faible résistance à la sécheresse, alors que les sources situées dans les vallées ont une résistance variable. Il serait nécessaire d’avoir davantage de données pour définir des tendances, s’il y en a, avec l’altitude, la géologie ou d’autres critères hydrogéologiques.
Concernant les sources modélisées, S1 et S3 ont une bonne résistance à la sécheresse alors que S2 est classée de faible résistance. Cette classification permet aux gestionnaires d’identifier quelles sources seront les plus fiables lors d’une sécheresse saisonnière (bonne résistance) et lesquelles seront les plus impactées (résistance faible) et ainsi quelles sources sont les plus stratégiques à moyen terme.
Il faut cependant noter que dans le cas de l’accumulation de sécheresses (plusieurs années sèches successives), les sources qui ont une meilleure résistance peuvent également être impactées et que dans ce cas elles mettront plus de temps à retrouver un état d’équilibre. En effet, les aquifères alimentant les sources peu réactives réagissent plus lentement à des périodes de faible précipitation, mais nécessitent également plus de temps pour se recharger. Ainsi, pour l’alimentation en eau potable à plus long terme, il est donc recommandé de combiner les captages de sources réactives (faible résistance) et peu réactives (bonne résistance).
L’information obtenue par cette classification reste une information qualitative basée sur l’historique de mesure. Pour obtenir une information quantitative concernant l’évolution future du débit des sources en intégrant les projections climatiques, il est nécessaire d’utiliser la modélisation.
Les projections climatiques issues du scénario RCP 8.5, simulées aux pas de temps journalier, mettent en évidence des modifications notables du régime hydrologique aux horizons 2060 et 2085. Le débit annuel médian des 8 modèles suit une légère tendance à la baisse à l’horizon 2085 par rapport à la référence médiane, proportionnellement plus importante pour la source S2 (–10%) que pour les sources S1 (–2%) et S3 (–4%), tel qu’illustré en figure 5.
La figure 6 permet de visualiser les évolutions en termes de quantité d’eau mensuelle pour les trois sources selon les horizons 2060 et 2085 ainsi que le pourcentage que cela représente par rapport à la période de référence médiane. Trois tendances principales se dégagent, telles que décrites ci-dessous.
Le pic de hauts débits, typique des régimes dominés par la fonte, survient plus tôt dans l’année, en raison d’une fonte des neiges plus précoce. Pour les trois sources, il intervient en moyenne un mois plus tôt à l’horizon 2085.
Les débits augmentent en hiver (de décembre à avril), en réponse à l’augmentation des précipitations en hiver et à une fonte neigeuse plus précoce.
Les débits estivaux diminuent fortement. L’étiage est particulièrement prononcée en fin d’été et en automne. Les débits diminuent significativement entre mai et novembre, traduisant un étiage estival plus marqué et plus prolongé. À l’horizon 2060, la baisse maximale médiane en été est d’environ 18% pour S2 et 8% pour S3 et apparait en septembre. La source S1, plus inertielle, reste quant à elle stable en été à l’horizon 2060 (+0,5% en septembre). A l’horizon 2085, la baisse est plus importante et s’étale de mai à novembre pour les 3 sources. De juin à octobre, on obtient une baisse de 3 à 5% pour S1, de 27 à 30% pour S2 et de 12% à 16% pour S3 avec une baisse de fin d’été maximale en octobre pour S1 et S3 et en septembre pour S2. Si on considère la baisse maximale obtenue avec le quartile de l’ensemble des modèles par rapport à la référence médiane, qui peut représenter les années sèches, on obtient une baisse de débit en octobre d’environ 16% pour S1, 30% pour S3 et 50% pour S2. Ces résultats illustrent la sensibilité des sources face au changement climatique et les différences de comportements liées à l’inertie des sources.
La compréhension du fonctionnement des sources d’eau potable de montagne est essentielle pour garantir leur gestion durable, en particulier dans un contexte de changement climatique. Cette étude montre que les sources présentent des dynamiques très variables, même dans un petit périmètre géographique, et que leur sensibilité aux sécheresses peut être évaluée grâce à des indicateurs simples, à condition de disposer de données fiables et continues. Le suivi du débit naturel – en amont des prélèvements – apparaît ainsi comme un élément central du diagnostic.
Les simulations réalisées avec des modèles hydrologiques montrent des tendances claires: pic de débit lié à la fonte plus précoce, débits hivernaux plus élevés, mais diminution marquée des débits estivaux et automnaux. Ces évolutions appellent à repenser la stratégie d’exploitation des captages, sur la base de la quantification des baisses de débit attendues en fin d’été, période où les besoins sont souvent les plus importants.
Les sources sont gérées localement, mais leur observation gagnerait à être mieux structurée et mutualisée. Une gestion plus centralisée des données permettrait de valoriser les efforts des communes, de standardiser les indicateurs et d’améliorer la comparabilité. En croisant les dynamiques observées sur un grand nombre de sites, il devient aussi possible de mieux comprendre les liens entre géologie, topographie et comportement – une base précieuse pour la planification.
Si les exemples analysés ici concernent des sources alpines, les principes et méthodes présentés sont transposables à d’autres contextes hydrogéologiques. Ils rappellent surtout qu’adapter les systèmes d'exploitation d'eau potable au changement climatique commence par une connaissance des ressources elles-mêmes, et donc d’un monitoring de qualité.
[1] OFEV (2025): https://www.bafu.admin.ch/bafu/de/home/themen/wasser/grundwasser/grundwasserschutz.html
[2] SEN-VS (2024): https://www.vs.ch/web/sen/protection-des-captages-eau-potable
[3] Bastiancich, L. et al. (2022): Temperature and discharge variations in natural mineral water springs due to climate variability: a case study in the Piedmont Alps (NW Italy). Environ Geochem Health 44: 1971–1994. https://doi.org/10.1007/s10653-021-00864-8
[4] Arnoux, M. et al. (2021): Low-flow behavior of alpine catchments with varying quaternary cover under current and future climatic conditions. Journal of Hydrology 592: 125591. https://doi.org/10.1016/j.jhydrol.2020.125591
[5] BRGM (2016): https://infoterre.brgm.fr/rapports/RP-55188-FR.pdf
[6] CREALP (2020): https://www.crealp.ch/rs-minerve/
[7] Bergström, S. (1995): The HBV model (Chapter 13). In: Computer Models of Watershed Hydrology, edited by: Singh, V.P. Water Resources Publications, Highlands Ranch, Colorado, USA, 443–476
[8] Lindström, G. et al. (1997): Development and test of the distributed HBV-96 hydrological model. J. Hydrol. 201(1): 272–288. https://doi.org/10.1016/S0022-1694(97)00041-3
[9] Thiéry, D. (2014): Logiciel gardÉnia, version v8.2. guide d’utilisation. rapport brgm/rp-62797-fr, 143 p., 70 fig., 2 ann.
[10] Oudin, L. et al. (2005): Which potential evapotranspiration input for a lumped rainfall–runoff model? Journal of Hydrology 303: 290–306. https://doi.org/10.1016/j.jhydrol.2004.08.026
[11] Seibert, J.; Vis, M.J.P. (2012): Teaching hydrological modeling with a user-friendly catchment-runoff-model software package. Hydrol. Earth Syst. Sci. 16: 3315–3325. https://doi.org/10.5194/hess-16-3315-2012
[12] CH2018 (2018): Climate Scenarios for Switzerland, Technical Report. National Centre for Climate Services, ZĂĽrich, 271 pp. ISBN:Â 978-3-9525031-4-0
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