La réutilisation d'eaux usées spécialement traitées comme eau non potable gagne en importance au niveau mondial. Dans cet article, la pertinence et la mise en œuvre pratique pour la Suisse sont discutées. Bien que la Suisse soit un pays riche en eau, il y a toujours des pénuries d'eau surviennent de manière temporaire et locales (PNR 61, par exemple [1]). Ainsi, les étés sec de 2018 et 2022 ont entraîné des restrictions dans l'utilisation de l'eau [2, 3]. En réaction, le postulat Rieder a soumis au Conseil fédéral une demande portant sur la sécurité de l'approvisionnement en eau et la gestion de l'eau [4]. Dans le contexte du changement climatique, il faut s'attendre à l'avenir à des périodes de sécheresse plus longues, tandis que les besoins en eau pour l'irrigation agricole et l'arrosage des espaces verts urbains devraient augmenter [5]. La réutilisation de l'eau est un moyen de réduire la demande en eau potable des ménages et de l'industrie. De plus, elle pourrait servir de ressource en eau supplémentaire pour l'irrigation agricole et urbaine.
Cet article vise à fournir une base de discussion sur la réutilisation ciblée de l'eau en Suisse. Les configurations possibles de réutilisation y sont discutées. Il présente en outre des exigences en matière de qualité de l'eau et les dispositions légales pour différents usages. Cet article se base sur les résultats d'un projet mené par l'Eawag. Le rapport final du projet fournit plus de détails et de contexte et est disponible en allemand et en français [6, 7].
La réutilisation de l'eau est une ressource en eau non conventionnelle potentielle et peut être un élément constitutif de la gestion intégrée des ressources en eau. D'autres éléments de la gestion intégrée de l'eau sont la gestion de la demande (économie d'eau) et l'exploitation de ressources en eau conventionnelles.
Les eaux usées peuvent être traitées de manière à pouvoir être utilisées en toute sécurité. La réutilisation de l'eau constitue une ressource en eau non conventionnelle qui n'est pas encore systématiquement exploitée en Suisse aujourd'hui. Les eaux usées spécialement traitées peuvent être réutilisées comme eau non potable ou même comme eau potable après un traitement plus avancé. L'eau de pluie et les eaux de ruissellement sont d'autres ressources en eau non conventionnelles.
Il existe un potentiel significatif d'économie d'eau dans les ménages, l'industrie et l'agriculture. La consommation actuelle d'eau  de ces secteurs est présentée dans la figure 1a. La consommation par habitant dans les ménages peut être réduite grâce à des appareils ménagers économes en eau et à une utilisation plus rationnelle de l'eau.
En agriculture, des méthodes d'irrigation plus efficaces peuvent être utilisées (par exemple, l'irrigation goutte-à -goutte au lieu de l'arrosage). En outre, l'agriculture peut se tourner vers des cultures alternatives plus tolérantes à la sécheresse [8].
La Suisse puise son eau potable dans les eaux souterraines, de source et de surface (fig. 1b). Les secteurs du commerce, de l'industrie et de l'agriculture utilisent principalement ces mêmes ressources pour leur propre approvisionnement (fig. 1c). De nouvelles ressources peuvent être exploitées ou les ressources existantes utilisées de manière plus flexible grâce à des réseaux de transport ou à des capacités de stockage de l'eau. Une interconnexion des réseaux d'eau potable peut également aider à pallier les pénuries locales.
Il existe plusieurs configurations possibles pour une réutilisation judicieuse de l'eau. Ces configurations diffèrent en ce qui concerne (a) le lieu et le type d'usage, (b) le lieu de traitement, et (c) le transport de l’eau traitée jusqu’à l’usage (tab. 1).
ConfigurationÂą | Lieu de traitement | Lieu et type d'utilisation | Transport |
I | Traitement à la STEP (centralisé) | Irrigation (agriculture, espaces verts urbains); Ménages et industrie (chasse d'eau, machine à laver); Eau de service pour STEP | Conduite sous pression (conduites séparées ou pipe-in-pipe) |
II | Irrigation (agriculture, espaces verts en milieu urbain); Nettoyage des rues | Citerne | |
III | Traitement dans le bâtiment (décentralisé) | Ménages et commerces (chasse d'eau, lave-linge) | Utilisation directe sur place dans le bâtiment |
IV | Irrigation (espaces verts urbains) | Utilisation directe à proximité du bâtiment | |
1 La réutilisation directe et indirecte à des fins d'eau potable n'est pas prise en compte dans ce tableau. |
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Dans les bâtiments, l'eau non potable peut être utilisée pour les chasses d'eau. Cela permet d'économiser environ 30% de la consommation d'eau domestique. Il existe un potentiel d'économie supplémentaire pouvant atteindre 50% si l'eau non potable de meilleure qualité est également utilisée pour le lavage du linge et d'autres usages similaires. En cas de réutilisation pour les chasses d'eau, le traitement doit non seulement satisfaire à des exigences esthétiques (odeur, couleur), mais surtout garantir une protection efficace contre les agents pathogènes.
Tant que toute l'eau non potable et les eaux usées excédentaires sont rejetées dans les égouts, il n'est pas nécessaire de satisfaire à des exigences supplémentaires en matière de protection des eaux.
Dans l'industrie, de nombreuses possibilités existent pour réduire la quantité d'eau prélevée grâce à la réutilisation. L'intégration de la réutilisation de l'eau dépend toutefois fortement du secteur industriel concernée et ne sera pas discutée plus en détail ici.
L'eau non potable peut être utilisée pour l'irrigation des espaces verts en ville ainsi qu’en agriculture. Les exigences en matière de qualité de l'eau doivent garantir la protection des personnes en contact avec l'eau, ainsi que la protection des sols et des eaux souterraines. En outre, la qualité des produits agricoles doit être garantie. Pour l'irrigation, des paramètres de qualité microbiologiques et chimiques doivent être pris en compte. Actuellement, en Suisse, l'irrigation avec des eaux usées spécialement traitées est considérée comme une infiltration d'eaux usées polluées et est interdite sans autorisation spéciale en vertu de l'art. 8 OEaux [11].
La production d'eau potable à partir d'eaux usées ne sera pas approfondie dans cet article. Une telle réutilisation directe (les eaux usées étant traitées jusqu’à la qualité d’eau potable) ou indirecte (par exemple, la recharge des nappes phréatiques avec des eaux usées traitées) est déjà mise en œuvre avec succès dans de nombreux endroits depuis plusieurs décennies, par exemple à Los Angeles, Windhoek ou Singapour. L'avantage d'un traitement jusqu'à la qualité d'eau potable est que les réseaux d'eau potable existants peuvent être utilisés pour la distribution.
Il existe différentes possibilités de produire de l'eau non potable à partir d’eaux usées:
Les eaux usées peuvent être traitées et réutilisées directement dans le bâtiment ou le bloc d'habitation pour une utilisation ultérieure. Il est possible de ne traiter que les eaux grises faiblement polluées (eaux issues des douches et machines à laver, excluant les eaux des toilettes) ou l'ensemble des eaux usées domestiques.
Dans plusieurs villes, comme San Francisco ou Tokyo, un tel traitement et une telle réutilisation sur site sont obligatoires pour les grands bâtiments et sont pratiqués avec succès depuis des années (voir boîte «Réutilisation de l'eau à San Francisco» ci-dessous).
La Suisse dispose d'un standard élevé en matière d'épuration des eaux usées ; dans de nombreuses STEP, les micropolluants organiques sont déjà éliminés. Un traitement plus avancé peut inclure des procédés supplémentaires tels que la filtration et la désinfection. L'exploitation et le contrôle de qualité du traitement supplémentaire peuvent être intégrés dans l'exploitation de la STEP. L'eau non potable pourrait en principe être utilisée dans les ménages et l'industrie, pour le nettoyage des rues, comme eau de service à la STEP ou pour l'irrigation.
Un aspect critique de la réutilisation de l'eau en termes de coûts et de consommation d'énergie est le transport de l'eau non potable du lieu de traitement au lieu d'utilisation.
Un traitement sur site présente l'avantage de permettre une réutilisation de l'eau sanitaire directement dans et autour du bâtiment. Cela simplifie la logistique et réduit les coûts.
Lors de la réutilisation des effluents de STEP spécialement traités, deux options principales de transport sont envisageableseau non potable. Les conduites sous pression permettent un transport efficace, mais nécessitent soit la pose de nouvelles conduites souterraines, soit l’installation de systèmes de type pipe-in-pipe dans de grandes canalisations d'eaux usées afin de réduire les coûts de pose. Un tel réseau de distribution peut fournir de l'eau non potable aux ménages ou alimenter directement certains gros consommateurs (industrie, agriculture, irrigation urbaine).
En tant que solution flexible, l'eau non potable peut également être transportée par camion-citerne de la STEP vers son lieu d’utilisation. Toutefois, ce mode de transport est très intensif en main-d'œuvre et en énergie, avec une capacité de transport limitée. Les camions-citernes sont donc plutôt pertinents pour des situations exceptionnelles.
La combinaison la plus pertinente des options (a), (b) et (c) dépend fortement des conditions locales. Si de gros consommateurs potentiels d'eau non potable ou agricole sont situés à proximité d'une STEP, une combinaison de traitement centralisé et de conduite sous pression s'impose (configuration I, tab. 1). Un tel contexte se retrouve sur le Plateau suisse, où il existe une demande significative en eau pour l'irrigation agricole ainsi qu’une forte densité de STEP (fig. 2).
Pour une irrigation d'espaces verts en ville, soit un traitement au niveau du bâtiment ou du bloc d'habitation, soit une solution pipe-in-pipe s'impose (configurations I ou IV, tab. 1). En cas de besoin urgent et ponctuel d'eau, par exemple pour l'irrigation, les camions-citernes peuvent être une solution (configuration II, tab. 1). Le besoin en eau potable peut être réduit par une réutilisation dans le bâtiment (configurations III, tab. 1). La réutilisation dans les bâtiments présente l'avantage de répondre aux besoins tout au long de l'année, alors que les besoins pour l'irrigation sont plutôt saisonniers.
La boîte ci-dessous décrit la réutilisation de l'eau à San Francisco. Dans cette ville du nord de la Californie, les services publics encouragent systématiquement les quatre configurations. Il n'y a pas de solution dominante. Cet exemple pratique montre donc qu'en plus de l'utilité de la réutilisation de l'eau, les coûts et les besoins en énergie doivent être pris en compte dans l'évaluation [15].
Le cadre juridique doit être considérée comme un facteur supplémentaire dans le choix des configurations. En Suisse, conformément à l'article 8 de l'OEaux, il est aujourd'hui interdit d'irriguer avec des eaux usées spécialement traitées [11]. L'article 8 interdit l'infiltration d’eaux usées polluées et impose des exigences pour l'infiltration d'eaux usées traitées (épuration, qualité des eaux souterraines, type d'infiltration et exploitation de l'installation de traitement). Ces prescriptions de l'OEaux visent à protéger les eaux souterraines. En ce qui concerne la réutilisation de l'eau, il faudrait toutefois discuter de la durée pendant laquelle on devrait parler d'«eaux usées» sachant que l'eau peut en principe être traitée jusqu’à n'importe quel niveau de qualité, y compris la qualité potable. L'eau devrait être jugée en fonction de sa qualité et pas seulement de son origine.
Dans l'UE, une base légale pour l'irrigation agricole avec de l'eau non potable existe depuis 2020 [16]. En outre, la nouvelle directive européenne relative au traitement des eaux résiduaires urbaines (DERU) formule explicitement l'objectif de renforcer la réutilisation de l'eau afin de réduire les prélèvements d'eau douce dans les eaux de surface et souterraines [17].
Quel est l'intérêt de la réutilisation de l'eau en Suisse? Voici une série de questions fréquemment posées sur le sujet.
Une grande partie de l'agriculture suisse se repose sur les précipitations naturelles et ne nécessite généralement pas d'irrigation. Cependant, avec la progression du changement climatique, cette situation évoluera de sorte que l'agriculture suisse devra de plus en plus recourir à l’irrigation. Dans de nombreux cas, l'irrigation permet d'augmenter ou de garantir le rendement et la qualité de manière significative. La quantité d'eau actuellement utilisée pour l'irrigation dans l'agriculture est difficile à quantifier. L'irrigation se fait souvent avec de l'eau de rivière ou de lac, mais la fréquence et la quantité des prélèvements d'eau ne sont pas relevées par tous les cantons [18]. Une estimation grossière montre que l'ordre de grandeur des futurs besoins en eau pour l'irrigation dans l'agriculture correspond à la quantité d'eaux usées traitées par les STEP suisses [6, 7, 19]. Dans ce contexte, la pertinence de l'irrigation dans une situation donnée ne dépend pas seulement de la quantité d'eaux usées, mais aussi de la distance par rapport à la STEP et des conditions locales, qui peuvent par exemple rendre difficile la pose de conduites sous pression. Il existe de nombreuses incertitudes quant à la prévision des besoins en irrigation, qui dépendent du changement climatique, du type d'irrigation et des plantes cultivées. On peut toutefois s'attendre à ce que la tendance à l'augmentation de l'irrigation et à la réduction de la disponibilité de l'eau se poursuive à long terme, et que, par conséquent, la réutilisation de l'eau gagne en importance.
En Suisse, la consommation d'eau des ménages est restée stable, voire a légèrement diminué au cours des dernières décennies, malgré l'augmentation de la population [10]. Cette tendance s'explique par une utilisation plus économe de l'eau et des appareils ménagers à faible consommation d'eau, qui ont permis de réduire la consommation par habitant. Cependant, le changement climatique va également modifier les besoins en eau des villes. Les espaces verts urbains peuvent aider à désamorcer les îlots de chaleur en ville et la réutilisation de l'eau pourrait contribuer au maintien d'une infrastructure bleu-vert (ville éponge). Dans l'ensemble, la Suisse disposera à long terme de suffisamment d'eau potable, mais des pénuries d'eau se produisent aussi localement et temporairement en Suisse. La réutilisation dans les bâtiments peut contribuer à réduire les besoins en eau potable.
Dans le cadre du projet de l'Eawag sur la réutilisation de l'eau, les offices cantonaux de protection des eaux ont été interrogés sur les besoins en matière de réutilisation de l'eau dans leur canton (fig. 3a). Cinq cantons ont identifié un besoin actuel de réutilisation de l'eau dans le canton indépendamment des périodes de sécheresse, 14 autres cantons voient un besoin de réutilisation de l'eau comme mesure d'urgence ou seulement dans des cas particuliers. Quatre cantons ne perçoivent aucun besoin de réutilisation de l'eau dans leur canton [6]. L'enquête fournit également des informations sur l'intérêt porté à des formes spécifiques de réutilisation de l'eau dans les cantons (fig. 3b).
Déjà aujourd'hui, on assiste en Suisse à une réutilisation de facto de l'eau pour l'irrigation. En effet, si l'eau provient de rivières avec de nombreux effluents de STEP, il s'agit en fait d'une réutilisation de l'eau. Les rejets actuels des STEP n'atteignent pas les exigences de qualité pour l'irrigation (par exemple, absence de désinfection). Il y a une certaine dilution dans la rivière, mais elle dépend fortement des conditions locales. Une réutilisation contrôlée des eaux usées spécialement traitées aurait l'avantage d'adapter la qualité de l'eau non potable à l'utilisation et de la contrôler, plutôt que de compter sur la dilution et la capacité d'autoépuration dans le cours d'eau. Une réutilisation directe sans passer par le cours d'eau présente également des avantages pour la protection des eaux. Le découplage du cycle naturel et urbain de l'eau réduirait l'apport de nutriments et de micropolluants organiques dans les eaux.
Une gestion intégrée de l'eau doit fournir de l'eau aux ménages, à l'industrie, à l'agriculture et aux écosystèmes aquatiques, et garantir la sécurité à long terme des ressources en eau. Dans ce domaine, il y aura toujours des conflits d'utilisation. La réutilisation de l'eau dans les ménages contribue à réduire les besoins en eau potable. Cela permet de préserver les ressources en eau. Cependant, cela réduit également la quantité d'eaux usées traitées qui se déversent dans les cours d'eau. La réutilisation pour l'irrigation urbaine aide à conserver l'eau dans la ville (ville éponge), mais réduit également la quantité d'eaux usées traitées déversées dans les cours d'eau. La quantité d'eau utilisée pour l'irrigation agricole avec des eaux usées spécialement traitées ou avec de l'eau de rivière manque finalement dans le cours d'eau. Le cycle urbain de l'eau, l'eau pour l'irrigation et le cycle naturel de l'eau sont des systèmes couplés.
La réutilisation de l'eau est une option d'action pertinente en cas de pénurie d'eau. Cette utilité de la réutilisation de l'eau doit aller de pair avec une protection des personnes, de la nature et d'autres ressources (p. ex. eaux souterraines). La qualité nécessaire et son contrôle dépendent du type d'application.
On distingue deux types d'application: l'une est la réutilisation dans les ménages et l'industrie, où l'eau excédentaire finit par se retrouver dans les égouts. Pour ces applications, les critères de qualité se concentrent sur l'effet direct lors de l'utilisation. L'accent est donc mis sur la qualité microbiologique (hygiène) afin de protéger les personnes qui entrent en contact avec l'eau. Il en va autrement pour les applications où les eaux usées spécialement traitées sont utilisées pour l'irrigation. Dans ce cas, outre l'hygiène, il faut également garantir la protection du sol, des plantes et des eaux souterraines.
Les exigences en matière de traitement dépendent du degré de pollution des eaux usées et du type d'application. Dans le bâtiment, les eaux grises légèrement polluées ou les eaux usées domestiques peuvent être traitées en vue d'une réutilisation. Les eaux grises sont les eaux usées peu polluées provenant des douches, des machines à laver et de la cuisine. Dans les ménages suisses, les eaux grises représentent environ 70% des eaux usées produites [20]. Outre les eaux grises, les eaux usées domestiques contiennent également l'eau de rinçage des toilettes. Les eaux grises contiennent significativement moins d'agents pathogènes (virus pathogènes, bactéries et protozoaires) que les eaux usées domestiques et doivent donc être moins traitées.
L'utilisation typique des eaux usées domestiques est la chasse d'eau et, possiblement, la machine à laver. Des objectifs pour la qualité microbiologique de l'eau et pour le traitement peuvent être dérivés d'une analyse quantitative du risque microbien. Cette analyse des risques consiste à estimer l'exposition des utilisateurs en cas d'utilisation normale, d'incidents et de mauvais raccordements. Les performances d'élimination nécessaires pour les virus, les bactéries et les protozoaires sont alors déduites du risque infectieux tolérable, de l'exposition et de la pollution dans les eaux usées [21].
Les objectifs de qualité microbiologique de l'eau sont exprimés en termes de cibles de réduction logarithmique (en anglais: LRT, Log-Removal Targets). Les ordres de grandeur typiques de ces LRT sont de 5 à 8 pour les virus, de 4 à 6 pour les bactéries et de 4 à 7 pour les protozoaires (exemple de lecture: un LRT de 4 correspond à une élimination de 99,99%, un LRT de 6 à une élimination de 99,9999%) [13, 25]. Pour assurer la surveillance régulière du fonctionnement des procédés de traitement, on utilise typiquement E. coli comme indicateur bactérien de contamination fécale.
En plus de la qualité microbiologique de l'eau, l'eau non potable doit également répondre à des exigences esthétiques et fonctionnelles. Elle ne doit présenter ni odeur perceptible, ni coloration. Elle doit contenir le moins de substances susceptibles d’obstruer les vannes ou les réservoirs de chasse d'eau.
En Suisse, il n'existe actuellement pas encore de prescriptions légales ou de directives concernant la réutilisation dans les bâtiments. Cette lacune est problématique, car elle permet d'utiliser des installations qui ne protègent pas suffisamment la santé des usagères et usagers. Dans ce domaine, la Suisse peut tirer profit des expériences d'autres pays en matière de normes de qualité, de validation, de certification, d'autorisation, d'exploitation et de surveillance. En Allemagne, il existe une fiche technique pour la réutilisation des eaux grises dans les bâtiments [23]. D'autres directives pertinentes pour la réutilisation dans les bâtiments existent également dans d’autres pays, par exemple aux États-Unis et en Australie [13, 14, 22, 25-28]. Il serait souhaitable que la Suisse développe des objectifs basés sur les directives existantes à l'étranger afin de garantir la protection de la santé dans des futurs projets de réutilisation de l'eau à l’échelle des bâtiments (configuration III, tab. 1).
La réutilisation pour l'irrigation des espaces verts urbains et en agriculture doit tenir compte non seulement des paramètres microbiologiques, mais aussi des paramètres chimiques. L'objectif est de protéger les plantes, le sol, les eaux souterraines ainsi que la santé humaine. Les exigences de qualité dépendent de l'utilisation ultérieure des plantes irriguées (par exemple, pour la consommation humaine). En outre, le degré d’infiltration des eaux d’irrigation vers les nappe souterraines joue également un rôle [15].
Les exigences de qualité sont établies à partir d’analyses quantitatives des risques microbiologiques et chimiques. Les paramètres chimiques comprennent les micropolluants organiques, les nutriments, les métaux lourds et la salinité.
Dans l'UE, il existe depuis 2020 un règlement fixant des exigences minimales pour l'irrigation agricole avec de l'eau réutilisée [16]. Ce règlement définit quatre classes de qualité. Sur la base de ces exigences minimales, de nombreux États membres de l'UE définissent à présent des prescriptions spécifiques qui peuvent aller au-delà de celles de l'UE (p. ex. [24]). Si la Suisse souhaite, à l'avenir, autoriser l'irrigation avec de l'eau non potable, des exigences devraient être développées suffisamment tôt. Grâce à l'élimination plus poussée des micropolluants organiques et à l'élimination des nutriments, les effluents des STEP suisses sont aujourd'hui de très bonne qualité. Avec une désinfection supplémentaire et, le cas échéant, une filtration, les exigences de l'UE en matière d'irrigation seraient respectées. Il serait souhaitable que la Suisse développe également des objectifs et des exigences pour l'irrigation en milieu urbain et dans l'agriculture. Ici aussi, la Suisse peut profiter de l'expérience et des règles de l'étranger.
Si les conditions-cadres pour une réutilisation ordonnée de l'eau étaient définies aujourd'hui en Suisse, ce serait un investissement rentable pour l'avenir. Ce cadre comprend des exigences de qualité pour la réutilisation de l'eau dans les bâtiments et pour l'irrigation. Les approches et les exigences pour la validation et la certification des technologies, l'autorisation, l'exploitation et la surveillance doivent être prises en compte. Les conditions-cadres peuvent être définies par des directives concrètes ou par des règles techniques reconnues.
Les cantons ayant déjà un besoin concret de mise en œuvre de la réutilisation en profiteraient. Cela permettrait également d'éviter une prolifération non coordonnée d’initiatives. Dans l'ensemble, la Suisse peut en profiter, car cela permettrait la réutilisation de l'eau comme un élément supplémentaire d'une gestion intégrée de l'eau.
La Suisse peut s'appuyer sur les expériences et les directives de l'étranger pour mettre en œuvre la réutilisation de l'eau. Toutefois, les autorités, les offices, les planificateurs, les exploitants et les utilisateurs doivent acquérir leur propre expérience afin de mettre en place une application pertinente et adaptée aux besoins spécifiques de la Suisse. La population doit être impliquée dans ce processus, car l'acceptation sociale constitue un aspect central dans la réussite de la réutilisation de l'eau.
Les questions de protection des eaux (y compris des eaux souterraines), de l'agriculture, de la gestion de l'eau et de la protection de la santé humaine doivent être prises en compte. Ces différents thèmes relèvent de différents offices fédéraux (Office fédéral de l'environnement, Office fédéral de l'agriculture et Office fédéral de la santé publique). Les interfaces entre les offices fédéraux doivent être définies.
Il ne s'agit pas de savoir si nous voulons réutiliser l'eau. Le cycle naturel de l'eau inclut déjà aujourd'hui dans de nombreux cas une réutilisation de facto. La véritable question est de savoir quelle doit être l'ampleur de ce cycle et de son contrôle. La réutilisation de l'eau n'est pas une fin en soi. Outre une approche globale de la gestion de l'eau, il convient de tenir compte de l'infrastructure existante, des coûts et des besoins énergétiques. En Suisse, la Confédération et les cantons élaborent actuellement de nouvelles stratégies en matière d'eau. Il est important que la réutilisation de l'eau et d'autres ressources en eau non conventionnelles soient discutées comme options possibles dans ces stratégies de l'eau.
[1] Walther, P. (2015): Nachhaltige Wassernutzung in der Schweiz. NFP 61 weist Wege in die Zukunft, vdf Hochschulverlag an der ETH ZĂĽrich
[2] EBP (2019): Trockenheit im Sommer und Herbst 2018
[3] EBP (2023): Trockenheit im Sommer 2022
[4] OFEV (2021): Rapport de base sur la sécurité de l’approvisionnement en eau et sur la gestion de l’eau - Rapport du Conseil fédéral
en réponse au postulat 18.3610 Rieder du 15 juin 2018
[5] OFEV (2023): Impulsions pour une adaptation de la Suisse aux changements climatiques - Conclusions de 50 projets pilotes de la seconde phase du programme pilote Adaptation aux changements climatiques. Office fédéral de l'environnement, Berne, p. 50. Info Environnement n° 2307
[6] Knabl, M.A. et al. (2024): Réutilisation de l'eau en Suisse: Besoins, opportunités, risques et recommandations dérivées à l'attention des responsables.
[7] Knabl, M.A. et al. (2024): Wasserwiederverwendung in der Schweiz: Bedarf, Chancen, Risiken und abgeleitete Handlungsempfehlungen fĂĽr Verantwortliche.
[8] Wuyts, N. et al. (2023): Klimaresilienter Ackerbau 2035. Agroscope Science Nr. 177, pp. 1–197Â
[9] Freiburghaus, M. (2009): Wasserbedarf der Schweizer Wirtschaft. gwa 12/2009: 1001-1009
[10] SVGW (2024): Résultats statistiques des distributeurs d'eau en Suisse - Année d'exercice 2023
[11] Conseil fédéral suisse (2021): Ordonnance sur la protection des eaux (OEaux) du 28 octobre 1998
[12] Schelbert, V. et al. (2023): Lighthouse Synthesis Report: Onsite Water Reuse Systems in San Francisco, United States
[13] Sharvelle, S. et al. (2017): Risk-Based Framework for the Development of Public Health Guidance for Decentralized Non-Potable Water Systems. Prepared by the National Water Research Institute for the Water Environment & Reuse Foundation, Alexandria, VA. WE&RF Project No. SIWM10C15
[14] Arden, S. et al. (2021):Â Onsite Non-potable Reuse for Large Buildings: Environmental and Economic Suitability as a Function of Building Characteristics and Location. Water Research 191:Â 116635
[15] Commission européenne (2022): Lignes directrices visant à soutenir l'application du règlement (UE) relatif aux exigences minimales applicables à la réutilisation de l’eau (2022/C 298/01)
[16] UE (2020): Règlement (UE) 2020/741 du Parlement europĂ©en et du Conseil du 25 mai 2020 relatif aux exigences minimales applicables Ă la rĂ©utilisation de l’eauÂ
[17] UE (2024): Directive (UE) 2024/3019 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2024 relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (refonte).
[18] Pestoni, A. et al. (2023): Datengrundlage und künftige Datenerfassung zur landwirtschaftlichen Bewässerung in der Schweiz - Projekt «Swiss Irrigation Info»: Schlussbericht Modul 1, Bericht im Auftrag des Bundesamtes für Umwelt
[19] Rist, B. (2023): Combating Water Stress: Evaluating the Volumetric Potential of Treated Wastewater for Switzerland. MSc Arbeit, ETH Zurich
[20] Eawag (2021): Fact sheet: Eaux grises
[21] Reynaert, E. et al. (2024): Greywater recycling for diverse collection scales and appliances: Enteric pathogen log-removal targets and treatment trains. Water Research 264: 122216
[22] Environmental Health Directorate of Western Australia (2010): Code of Practice for the Reuse of Greywater
[23] DWA (2016): Merkblatt DWA-M 277: Hinweise zur Auslegung von Anlagen zur Behandlung und Nutzung von Grauwasser und Grauwasserteilströmen
[24] DWA (2025): Merkblatt DWA-M 1200: Wasserwiederverwendung fĂĽr landwirtschaftliche und urbane Zwecke in Deutschland
[25] Environmental Health Directorate of Western Australia (2012): Guidelines for the Non-potable Uses of Recycled Water in Western Australia
[26] NSF (2023): NSF/ANSI 350 - 2023: Onsite residential and commercial reuse treatment systems
[27] San Francisco Public Utilities Commission (SFPUC) (2024): Independent Advisory Panel for Single-Family Water Reuse Applications Report
[28] Australian Standard (2016): On-site domestic wastewater treatment units – Part 4: Domestic greywater treatment systems
[29] British Standards Institution, London, UK (2010):Â British Standards Part 1: Greywater Systems: Code and Practices
Un coup d'œil à San Francisco montre que toutes les configurations décrites dans le tableau 1 ont leur raison d'être. Les quatre configurations sont activement soutenues par la ville - il n'y a pas de solution dominante.
San Francisco impose aux nouveaux grands bâtiments (>10'000 m² de surface de plancher) de traiter leurs eaux usées dans le bâtiment et de les utiliser pour les chasses d'eau, les machines à laver et l'arrosage des espaces verts (configurations III et IV, tab. 1). L'objectif du traitement dans le bâtiment est de produire de l'eau sanitaire et de réduire ainsi les besoins en eau potable. Dans ce cas, tous les bâtiments sont raccordés au réseau d'égouts; l'eau excédentaire va dans le réseau d'égouts et vers la STEP centrale. On parle d'un système hybride (= traitement décentralisé combiné à un raccordement aux égouts).
En outre, il existe à San Francisco, dans certaines zones, un réseau de distribution séparé pour les eaux usées spécialement traitées pour l'irrigation des parcs, pour le zoo et pour les commerces (configuration I, tab. 1) [12]. Des camions-citernes sont également utilisés pour l'irrigation des espaces verts (configuration II, tab. 1).
La réutilisation est soumise à des directives claires et strictes en matière de qualité, d'exploitation et de surveillance à San Francisco [13]. Sur la base de ce cadre clairement défini, des entreprises ont pu s'établir et proposer la construction et l'exploitation sûres des installations, en étroite collaboration avec les services publics (San Francisco Public Utilities Commission).
En plus de San Francisco, plusieurs autres villes américaines encouragent la réutilisation de l'eau pour des applications autres que l'eau potable en tant que solutions stratégiques en cas de pénurie d'eau. Il existe une plateforme1 avec des représentants des services publics, des entreprises et des autorités pour échanger sur les meilleures pratiques de gestion pour la mise en œuvre pratique de la réutilisation au niveau des bâtiments (configurations III et IV, tab. 1).
L'eau qui n'est pas directement destinée à la consommation humaine. L'eau non potable peut être de l'eau de surface ou souterraine non traitée ou des eaux usées spécialement traitées.
Lorsque de l'eau de surface contenant un pourcentage élevé d'eaux usées traitées est utilisée pour l'irrigation, on parle de réutilisation de facto.
Les eaux usées sont largement traitées, de sorte qu'elles peuvent être utilisées directement comme eau potable.
Eaux usées provenant des douches et des machines à laver, mais sans l'eau des toilettes [20].
Combinaison d'eaux grises légèrement polluées et d'eaux usées provenant des toilettes.
Les eaux usées sont largement traitées, puis infiltrées dans les eaux souterraines ou pompées dans un réservoir d'eau potable. L'eau potable est ensuite produite à partir de cette eau souterraine ou de l'eau du réservoir.
Preuve que les nouvelles installations de traitement avancé ou celles qui ont été modifiées de manière significative pour la réutilisation de l'eau atteignent de manière fiable et constante la réduction Log10 requise des indicateurs microbiologiques [24].
Quantité d'eau théoriquement nécessaire pour assurer un approvisionnement pour différentes applications.
Eau effectivement consommée pour une application donnée.
Utilisation d'eaux usées spécialement traitées pour, par ex. réduire les besoins en eau potable des ménages ou de l'industrie, ou pour l'irrigation dans l'agriculture ou les zones urbaines.
Confirmation qu'un système de traitement/une technologie a été validé(e) par une procédure de test définie et qu'il/elle remplit les critères nécessaires. Exemples: NSF 350 des Etats-Unis [26], AS 1546.4 en Australie [28] ou BS 8525-1 en Grande-Bretagne [29].
Les auteurs remercient l'Office fédéral de l'environnement (OFEV), division Eau, l'Office des déchets, de l'eau, de l'énergie et de l'air du canton de Zurich (AWEL), l'Office des eaux et des déchets du canton de Berne (AWA), l'Office de l'environnement (AfU) du canton de Soleure, la Direction générale de l'environnement du canton de Vaud pour leur soutien financier.
Les auteurs remercient les participants pour leurs discussions ouvertes et constructives lors d'échanges bilatéraux, de sondages et de deux ateliers. Les détails sur les personnes impliquées se trouvent dans le rapport de projet [6, 7].
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