La motion 20.4261 «Réduction des apports d’azote provenant des stations d’épuration» a été adoptée par le Parlement suisse en juin 2021. Cette motion demande au Conseil fédéral de s’attaquer au problème des apports d’azote (N) provenant des stations d’épuration des eaux usées et de prendre des mesures pour les réduire. Le VSA soutient l’orientation de la motion et propose une exigence en matière d’élimination de l’azote total (≥ 70%) pour les installations de plus de 10 000 équivalents-habitants (EH). Les collectivités publiques ainsi que les bureaux d’ingénieurs anticipent déjà ce changement de loi et réfléchissent actuellement aux traitements qui pourront être mis en place afin de répondre à ces nouvelles exigences. Plusieurs types de traitements biologiques permettent d’obtenir ces performances. Ces procédés impliquent tous une optimisation de la dénitrification, un métabolisme ayant besoin d’une source de carbone et de conditions anoxiques. Pour y parvenir, les traitements se reposent sur la présence de plusieurs bassins, de conditions hydrauliques variant dans le temps, le tout étant parfois contrôlé par un système de monitoring en ligne des formes de l’azote et de l’oxygène.
Parmi ces traitements, le chenal d’oxydation découple l’aération du maintien en suspension des boues, qui est assuré par des agitateurs (fig. 1). Ce procédé permet donc, dans un unique réacteur qui fonctionne en continu d’un point de vue hydraulique, d’alterner des phases oxiques et anoxiques, le tout étant contrôlé par une sonde oxygène et une sonde redox. Ce procédé simple, économique et flexible offre des performances intéressantes pour le traitement de l’azote total, avec des abattements de carbone (C) et de N qui dépassent facilement 90%. Il est bien connu et largement répandu, notamment dans des pays d’Europe avec des normes d’azote plus strictes depuis longtemps, comme en France, en Autriche et au Danemark, dans des STEP de différentes tailles (jusqu’à 1 100 000 EH à Lynetten, Danemark, 950 000 EH à Pierre-Bénite-Lyon, France). Quelques études décrivent ce procédé à large échelle, telles que Chen et al. [1] et Yang et al. [2].
Or, les cheneaux d’oxydation restent marginaux et peu connus en Suisse. L’étude présentée ici vise à mettre en évidence le fonctionnement ainsi que les performances de ce procédé dans une installation suisse, celle de la STEP de Vétroz-Conthey. Cette STEP a récemment rénové son traitement biologique en intégrant des chenaux d’oxydation. Les travaux ont été réalisés en 2020–2021 sous la direction du bureau d’ingénieurs RIBI SA et la mise en route définitive des deux files de traitement a été validée en 2022. La capacité nominale de traitement après rénovation est de 26 666 EH en période hors vendanges et de 60 666 EH en vendanges. L’ancien traitement biologique de la STEP de Vétroz-Conthey, d’une capacité de 24 000 EH, utilisait des aérateurs de surface fonctionnant en continu, ainsi que des brasseurs à hélices.
Le traitement biologique de la STEP de Vétroz-Conthey fonctionne de façon cyclique, par alternance de phases aérées/non aérées avec une période d’environ 30 minutes d’aération (qui peut être adaptée si nécessaire), puis 60 minutes sans aération. Les données issues de la supervision de la STEP montrent des durées d’injection d’air journalière d’environ 8 h/j, est des périodes aérées de 9 h/j, pour environ 16 cycles par jour. A chaque démarrage de la soufflante, il faut attendre environ 5 minutes avant de détecter une augmentation d’oxygène. Lorsque les soufflantes se coupent, il faut compter ensuite environ 8 minutes pour que l’oxygène dissous soit consommé par la biomasse. Le temps disponible d’anoxie pur par jour est donc d’environ 15 h/j.
Afin de mettre en évidence la dynamique temporelle du traitement biologique, plusieurs séries d’échantillonnages ont été réalisées avec une résolution de 10–15 minutes, chacune couvrant 2 cycles avec et sans oxygène: (1) en hiver, (2) en été, (3) en été sans le retour du filtrat (les eaux produites lors de la déshydratation des boues digérées), et (4) durant les vendanges.
Toutes les campagnes d’échantillonnages montrent des dynamiques temporelles des formes de l’azote très marquées (fig. 2). Lors des phases avec aération, les concentrations d’ammonium (NH4+)diminuent, tandis que celles des nitrates (NO3-) augmentent, de façon quasiment stœchiométrique. Il s’agit ici du résultat de l’activité des bactéries nitrifiantes. De faibles concentrations de nitrite (NO2–) peuvent s’accumuler transitoirement durant cette phase, de façon plus marquée en hiver. Lorsque l’aération est coupée, les concentrations en nitrate chutent du fait de l’activité des bactéries dénitrifiantes. Les concentrations d’ammonium remontent de façon continue lors des périodes anoxiques. Cela s’explique pour une arrivée constante d’eau usée non traitée, par une ammonification qui reste active en l’absence d’oxygène (minéralisation de l’azote organique en NH4+), et par une inhibition des bactéries nitrifiantes dans ces conditions sans oxygène.
Les concentrations en oxygène sont constamment mesurées par la STEP afin de contrôler la puissance des soufflantes. Il est intéressant de noter ici que dans toutes les conditions échantillonnées, les teneurs en oxygène augmentent plus rapidement lorsque les concentrations en ammonium atteignent un minimum. Ce point d’inflexion pourrait être utilisé pour couper l’aération et optimiser le traitement d’un point de vue énergétique. Similairement, le même phénomène est observé durant les phases anoxiques avec la mesure de potentiel redox (qui a été rajoutée durant les échantillonnages), qui diminue plus rapidement lorsque tout le nitrate a été consommé. La régulation dynamique par ces 2 mesures simples permet un contrôle efficace de ce procédé biologique, en servant de signal pour passer d’une phase à l’autre. Une sonde d’ammonium peut être utilisée à la place de la sonde redox mais demandera beaucoup plus d’entretien et de recalibration régulière de la part de l’exploitant.
Des différences intéressantes apparaissent entre les différents échantillonnages effectués (fig. 2). En hiver, les concentrations des différentes formes d’azote sont plus importantes, car les bactéries nitrifiantes sont supposément moins actives dans des eaux plus froides. Cette plus faible activité se traduit par des concentrations en oxygène plus élevées, ce dernier étant moins consommé. En été, les concentrations des formes d’azote sont plus faibles, tout comme celle de l’oxygène avant le point d’inflexion, ce qui montre que l’activité biologique y est plus importante.
Un second échantillonnage a été réalisé en été, sans l’apport en retour des eaux issues de la déshydratation des boues anaérobiques (fig. 2). Le filtrat est très chargé en azote, avec une concentration de 400–500 mg N-NH4+/ l, et augmente la charge totale d’azote d’environ 20–25% (par rapport à la charge d’azote apportée par les eaux usées). Sans cet apport, l’échantillonnage dynamique montre des concentrations en azote inorganique environ 2 fois plus faibles, et des teneurs en oxygène qui atteignent le point d’inflexion beaucoup plus rapidement, après 7 minutes, contre 18 avec le retour du filtrat.
Durant la période de vendanges, à cause de l’augmentation de la charge à traiter par la STEP, le fonctionnement des soufflantes est adapté et l’aération est légèrement augmentée. Les analyses dynamiques ne montrent pas de différences notables avec les échantillonnages précédents (fig. 2). Le nitrate et l’ammonium évoluent de façon stœchiométrique. A la fin de chaque phase, les concentrations en nitrate (en fin de phase anoxique après le point d’inflexion de la sonde redox) et en ammonium (en fin de phase oxique après le point d’inflexion de la sonde oxygène) sont chaque fois très faibles. Les concentrations de nitrites restent très basses, inférieures à 0,02 mg N-NO2–/l.
Les abattements de carbone et d’azote organique au niveau de la STEP ont été mesurés sur plusieurs mois, et montrent des performances remarquables (fig. 3). L’abattement moyen du COT (carbone organique total) et de l’azote total sont en moyenne de 92% et 93%, respectivement. En été, lorsque les températures sont plus chaudes, ces abattements atteignent 96% et 99%, respectivement.
Ces performances restent globalement stables lorsque les charges organiques et hydraulique augmentent. L’abattement du COT reste supérieur à 84%. Un abattement de 96% a été mesuré avec une charge de 2200 kg DCO/j (DCO: demande chimique en oxygène; une charge correspondant à plus de 18 000 EH), et un débit de traitement de 5500 m3/j (fig. 4). Pour l’abattement de Ntot, une valeur plus faible a été mesurée à 69% dans des eaux froides (9 °C). En dehors de cette valeur, l’abattement est resté en tout temps supérieur à 85%, même lorsque le débit de traitement a atteint 9900 m3/j et lorsque les charges en Ntot ont atteint les 170 kg/j et la DCO 2700 kg/j (soit 22 500 EH) (fig. 5).
Il est important de noter ici que la charge moyenne de DCO de la STEP correspond à 13 600 EH (tab. 1). Cette valeur est inférieure à la valeur de dimensionnement de l’ouvrage (26 666 EH). Cela peut donc en partie expliquer les excellents résultats de traitement présentés ici. Lorsque la charge augmente, les performances baissent mais restent très satisfaisantes: abattement de 96% du COT à 18 000 EH et de 85% du Ntot à 22 500 EH). La concentration en matière sèche (MS) des chenaux, 2,8 g/l en moyenne, a cependant été choisie en fonction de la charge réelle reçue pour obtenir une charge massique de 0,1 kg DBO5 /kg MVS/j (DBO5: demande biochimique en oxygène à 5 jours; MVS: matières volatiles sèches = matières organiques). Le respect de cette valeur permet d’obtenir un rendement moyen en azote total > 90% tout au long de l’année sans aucune difficulté. Dans les années à venir, en fonction de l’augmentation de la charge à traiter sur la STEP, la concentration en MS sera également augmentée afin de maintenir la même charge massique. La marge de manœuvre est importante, la concentration en MS dans les bassins pouvant être augmentée jusqu’à 4 à 5 g/l. En France, les stations en chenaux sont généralement dimensionnées à 5 g/l pour la charge nominale.
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|  | Ancienne STEP (2019) | Nouvelle STEP (2023–2025) | 
| Entrée STEP | ||
| Débit (m3/j) | 4170 | 3757 | 
| DCO (mg/l) | 390 | 421 | 
| DCO (kg/j) | 1656 | 1660 | 
| COT (mg/l) | 101 | 97 | 
| NH4 (mg/l) | 23 | 25 | 
| Ntot (mg/l) | 32 | 35 | 
| Ntot (kg/j) | 136 | 134 | 
| DCO/Ntot | 12.3 | 12.8 | 
| EH (estimé depuis DCO) | 13 790 | 13 836 | 
| Traitement biologique | ||
| Vol. bassins biologiques (m3) | 5630 | 4920 | 
| Volume bassin par EH (m3/EH) | 0.41 | 0.36 | 
| Âge des boues (j) | ? | 22.1 | 
| Conc. matière sèche (g MS/l) | 2.2 | 2.8 | 
| Charge DBO massique (kg DBO/kg MVS/j) | 0.11 | 0.10 | 
| Charge DBO volumique (kg DBO/kg MVS/j) | 0.16 | 0.22 | 
| Vitesse nitrification (mg N/h/g MSV) | 0.71 | 0.57 | 
| Sortie STEP | ||
| NH4 (mg N/l) | 18 | 13 | 
| Ntot (mg/l) | 0.1 | 0.1 | 
| Abattement DCO (%) | ? | 2.2 | 
| Abattement COT (%) | 95.5% | 96.8% | 
| Abattement NH4 (%) | ? | 92.0% | 
| Abattement Ntot (%) | 99.6% | 99.6% | 
| Consommation électrique | ||
| Soufflantes (kWh/j) | 1480 | 557 | 
| Agitation (kWh/j) | 187.2 | 491 | 
| Traitement biologique (kWh/j) | 1667.2 | 1048 | 
| Par kg de DCO traitée (kW/kg) | 1.2 | 0.7 | 
Le tableau 1 compare différentes valeurs de performance de la nouvelle STEP (données de 2023 à 2025) à l’ancienne (données 2019). Entre ces 2 versions, les charges ainsi que les EH raccordés sont restés très similaires: 1650 kg DCO /j, 33 kg N/j (ratio de DCO/N de 12,5), et environ 13 600 EH. Pour un traitement aussi performant au niveau du carbone et supposément plus performant pour l’azote (l’abattement de N n’a pas été mesuré pour l’ancienne STEP), la consommation électrique passe de plus de 1670 kWh/j (1,2 kWh/kg DCO traité ou 0,4 kWh/m3) à 1050 kWh/j (0,7 kWh/kg DCO traité ou 0,28 kWh/m3) avec les chenaux d’oxydation, soit une diminution de l’ordre de 40% de la consommation électrique.
En analysant attentivement les courbes d’oxygène enregistrées sur la supervision de la STEP, il est possible de déterminer à quel moment les soufflantes auraient pu être idéalement arrêtées, c’est-à -dire au point d’inflexion de la courbe, lorsque les teneurs en oxygène augmentent plus rapidement. En analysant les données issues de la supervision avec cette approche, il apparait que le temps de fonctionnement des soufflantes pourrait être coupé par deux, que ce soit en hiver ou en été. Ce ne serait toutefois pas conseillé, car il est important de garder des temps d’aération de 6 h/j au minimum, afin d’éviter tout risque de fermentation, surtout en été. En appliquant cette durée minimale de 6 h/j, la consommation électrique du traitement biologique pourrait passer de 1050 à 860 kWh/j, soit 0,6 kWh/kg de DCO traité (soit une économie de 20%).Cette estimation reste toutefois grossière. Elle ne tient pas compte, par exemple, de la variation de la fréquence des moteurs, qui diminue à la fin de certains cycles d’aération. Cette approximation nécessiterait donc une étude plus approfondie pour être affinée.
Une sonde redox peut Ă©galement ĂŞtre installĂ©e afin de suivre la phase anoxique du procĂ©dĂ©. Elle servirait Ă relancer l’aĂ©ration lorsque les concentrations de nitrate deviennent faibles. Ainsi, le procĂ©dĂ© serait pilotĂ© de manière optimisĂ©e grâce Ă l’utilisation combinĂ©e de deux sondes (oxygène et redox), permettant un contrĂ´le prĂ©cis de la durĂ©e de chaque phase.Â
Les excellents résultats obtenus sur la STEP de Vétroz-Conthey peuvent également être atteints par d’autres procédés comme la dénitrification en cascade ou le système A/I (nitrification/dénitrification alternée/intermittente), plus difficilement avec une boue activée avec zone anoxie en tête. Par rapport à ces procédés, la force des chenaux d’aération réside dans leur grande souplesse de fonctionnement et dans leur simplicité d’exploitation.Ce procédé n’est pas contraint par de volumes prédéfinis comme une zone d’anoxie spécifique ou une zone aérée permanente. Il va donc s’adapter beaucoup plus facilement à des variations de charges par la simple modification automatique de la durée d’aération. Il ne nécessite pas de recirculation interne des liqueurs mixtes ou de systèmes d’alternance des zones d’alimentation en eau à traiter. Seuls des agitateurs à vitesse lente sont nécessaires pour son fonctionnement, là où les autres systèmes ont besoin de pompes, de vannes automatiques et de systèmes de diffusion d’air plus importants. L’exploitation est donc facilitée, avec moins de matériel à entretenir, une meilleure optimisation de l’aération et un consommation électrique réduite. Les chenaux d’aération sont donc moins couteux à construire et plus simples et plus économiques à exploiter.
Le chenal d’oxydation constitue un procédé de traitement biologique très intéressant pour les STEP. Ce traitement biologique est:
Durant cette étude, il n’a pas été possible de monitorer les émissions de protoxyde d’azote (N2O) des cheneaux d’oxydation, par manque de moyens financiers. Ce gaz est 300 fois plus puissant que le CO2 en termes d’effet de serre. Il est estimé que les STEP sont responsables de 0,3%–1,4% des émissions directes en Suisse, via ce composé qui est produit lors du traitement biologique. D’après Gruber et al. [3], plus la STEP est performante à réduire l’azote total, moins elle émet de N2O. Ainsi, il est probable que les cheneaux d’oxydation constituent une méthode efficace pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, ce qui reste à confirmer par une campagne de mesure.
Sur la base de ces performances, nous considérons que ce procédé a un rôle important à jouer dans les futurs projets de réhabilitation de traitement biologique en Suisse, en prévision de l’abaissement de la norme de rejet pour l’azote total.
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[1] Chen, X. et al. (2019): Assessment of Full-Scale N2O Emission Characteristics and Testing of Control Concepts in an Activated Sludge Wastewater Treatment Plant with Alternating Aerobic and Anoxic Phases.
[2] Yang, Y. et al. (2011): Study on two operating conditions of a full-scale oxidation ditch for optimization of energy consumption and effluent quality by using CFD model.
[3] Gruber, W. et al. (2021): Estimation of countrywide N2O emissions from wastewater treatment in Switzerland using long-term monitoring data.
Nous remercions les administrations de Vétroz et de Conthey qui nous accordé l’autorisation de réaliser cette étude sur leur STEP. Le personnel de la STEP de Vétroz-Conthey, Messieurs Philippe Papilloud et Fabrice Roh, sont chaleureusement remerciés pour leur aide, leur disponibilité, et les analyses supplémentaires réalisées chaque semaine pour cette étude. César Gaillard et Joëlle Seppey sont également remerciés pour leur aide durant les échantillonnages et les analyses laboratoire. Florence Bonvin et Jean-Julien Dessimoz sont remerciés pour leur relecture du manuscrit et leurs commentaires.
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