Évaluation basée sur Les oligochètes de la matrice poreuse – cas de la STEP de Muri

Les effets négatifs des activités humaines sur les écosystèmes aquatiques comprennent la réduction ou la modification de la connectivité des eaux de surface et des eaux souterraines, ainsi que la contamination de ces ressources [1, 2]. La dynamique des échanges hydrologiques verticaux dépend du contexte géomorphologique mais peut être significativement affectée par les activités anthropiques [3, 4]. L’infiltration des eaux de surface dans les eaux souterraines peut être causée par un certain nombre de facteurs, notamment un pompage excessif des eaux souterraines (abaissement du niveau de la nappe) et une élévation des débits des cours d’eau (hautes-eaux ou crues). Celle-ci est favorisée par la présence de surfaces imperméables dans le bassin versant (ruissellement accru) [5, 6]. Inversement, des exfiltrations peuvent se produire lorsque le niveau des eaux souterraines aux abords du cours d’eau est plus élevé que celui des eaux de surface, par ex. en cas de faible débit du cours d’eau (dans ces conditions, les eaux souterraines peuvent alimenter le cours d’eau) [6–7]. Le fonctionnement de l’écosystème du cours d’eau peut être défini comme le résultat des interactions entre la dynamique des échanges hydrologiques verticaux et les apports de substances chimiques (nutriments et polluants) [5, 8–10].

Rôle écologique de la matrice poreuse

Les sédiments grossiers de surface et le milieu hyporhéique, qui sont ici collectivement appelés «matrice poreuse», sont généralement des habitats prédominants dans les cours d’eau et jouent un rôle écologique important [1, 2, 11–13]. Ces compartiments possèdent la capacité de stocker les polluants et servent de filtres à travers lesquels se produisent les échanges hydrologiques verticaux. De tels échanges ont le potentiel de faciliter l’autoépuration du cours d’eau [14]. Cependant, les échanges hydrologiques verticaux ont également le potentiel d’altérer la qualité des eaux de surface, de la matrice poreuse et des eaux souterraines [6]. En effet, l’infiltration d’eaux de surface polluées peut entraîner la contamination de la matrice poreuse et des eaux souterraines, tandis que l’exfiltration d’eaux souterraines polluées peut conduire à une dégradation de la qualité de la matrice poreuse et des eaux de surface [15]. Il est donc recommandé que les programmes de surveillance environnementale incluent une évaluation de la qualité biologique de la matrice poreuse et de la dynamique des échanges hydrologiques verticaux [4, 5, 11, 14].

Étude des Communautés des oligochètes dans la matrice poreuse

Les oligochètes sont un élément important de la faune interstitielle des matrices poreuses des écosystèmes aquatiques (fig. 1). Ce groupe faunistique comprend des espèces présentant des degrés divers de résistance aux pollutions chimiques et caractéristiques des sédiments de surface ou des eaux souterraines [5, 14, 16]. La méthode des Traits Fonctionnels (TRF), basée sur l’étude des communautés d’oligochètes dans les sédiments grossiers de surface et le milieu hyporhéique, permet d’évaluer simultanément les effets des polluants présents dans ces compartiments et la dynamique des échanges hydrologiques entre les eaux de surface et les eaux souterraines [5, 14].

La méthode TRF a été appliquée en Suisse en amont et en aval des effluents de plusieurs stations d’épuration des eaux usées (STEP) obsolètes pour déterminer si cette méthode était adaptée pour détecter les effets spécifiques de ces effluents sur les cours d’eau récepteurs malgré un contexte de bassin versant déjà impacté par les activités humaines [17, 18]. Les résultats des oligochètes ont montré une qualité biologique et un fonctionnement du cours d’eau plus altérés en aval qu’en amont de l’effluent de chaque STEP, à la fois dans les sédiments grossiers de surface et le milieu hyporhéique. De plus, la méthode nous a permis d’identifier plusieurs sites où le cours d’eau présentait une forte capacité d’autoépuration (par exfiltration d’eaux souterraines non polluées) et d’autres sites où les eaux souterraines étaient vulnérables aux pollutions des eaux de surface. La méthode TRF a également été appliquée suite à la rénovation d’une de ces STEP (à Oberglatt) pour évaluer si cette méthode pouvait permettre de suivre les effets d’une rénovation de STEP sur le cours d’eau récepteur [18]. Les résultats ont montré, par rapport à l’état avant rénovation, une réduction significative du pourcentage de taxons très résistants aux pollutions de type chimique (indicateurs d’un effet «boues polluées») en aval de l’effluent, à la fois dans les sédiments grossiers de surface et le milieu hyporhéique.

Parmi les STEP étudiées en Suisse, celle située à Muri a aussi fait l’objet d’une rénovation et la méthode TRF a également été appliquée suite à sa rénovation. Le but du présent travail est de présenter les résultats de la méthode TRF obtenus au niveau de cette STEP avant sa rénovation [18] ainsi que les nouveaux résultats obtenus suite à sa rénovation.

Matériel et méthodes

STEP et Sites étudiés

La STEP de Muri (canton d’Argovie) a été sélectionnée car identifiée comme une source importante de pollution pour le cours d’eau récepteur. La rénovation de la STEP a consisté en l’ajout d’une étape de traitement au charbon actif en grain (CAG) [19]. Ce procédé vise principalement à réduire les concentrations de micropolluants, mais a également comme effet de réduire les concentrations de nutriments et de métaux (Marc Böhler, comm. pers.). Ce nouveau traitement a été opérationnel dès l’automne 2024.

Deux campagnes d’échantillonnage ont été effectuées, l’une avant rénovation de la STEP en mai 2021 et l’autre après sa rénovation en mai 2025 (tab. 1). Deux rejets différents provenant de la STEP sont à distinguer, un déversoir et l’effluent. Au total, 6 sites dans la rivière Bünz ont été sélectionnés pour la campagne de mai 2021: deux sites en amont des deux rejets (AM0a: en amont de la confluence avec la rivière Sörikerbach; AM1: en aval de cette confluence), un site (AM2) entre le déversoir et l’effluent de la STEP et trois sites (AV1–3) en aval de l’effluent de la STEP. Lors de la campagne de 2025, seuls les sites AM0a, AM1, AM2 et AV1 ont été étudiés. Les sites d’échantillonnage en aval des rejets ont été choisis de manière à ce que les eaux rejetées soient complètement mélangées à l’eau du cours d’eau au niveau de l’ensemble de son lit. A la fois les sédiments grossiers de surface et le milieu hyporhéique ont été étudiés lors de chaque relevé sauf au niveau du site AM2 en mai 2025. Lors de ce relevé, le milieu hyporhéique n’a pas pu être échantillonné en raison du colmatage des trous de la sonde, problème technique qui se produit toutefois assez rarement.

Notons que le bassin versant de la rivière Bünz en amont des sites d’échantillonnage et de la rivière Sörikerbach comprend des zones agricoles, industrielles et urbaines, de sorte qu’une certaine pollution chimique était attendue au niveau des sites en amont du déversoir et de l’effluent de la STEP.

Analyse des communautés d’oligochètes

Échantillonnage et procédures de laboratoire

Au niveau de chaque site, quatre sous-échantillons (espacés de 10 à 20 m) de sédiments grossiers de surface et de matériel hyporhéique ont été prélevés, puis regroupés (un récipient de 5 l contenant les sédiments grossiers de surface et un autre contenant le matériel hyporhéique).

Les sédiments grossiers de surface (5 à 10 cm de profondeur) ont été prélevés à l’aide d’une pelle. La taille des grains des échantillons de sédiments grossiers était similaire entre les sites (principalement du gravier, avec du sable et des galets).

Les échantillons de milieu hyporhéique ont été prélevés à l’aide d’une sonde insérée dans les sédiments grossiers de surface à une profondeur de 20 à 30 cm et d’une pompe Bou-Rouch [20] fixée à la sonde (Uwitec, Mondsee, Autriche).

L’eau surnageante a été tamisée sur le terrain à l’aide d’un tamis de vide de maille de 0,2 mm et le matériel retenu sur le tamis a été transféré dans le récipient.

Pour chaque échantillon (sédiments grossiers de surface et milieu hyporhéique), la procédure suivante a été appliquée pour obtenir une concentration finale de 4% de formaldéhyde dans le récipient: après avoir enlevé l’eau surnageante, tout d’abord 800 ml d’eau de la rivière, puis 200 ml de formol à pH neutre (contenant 20% de formaldéhyde) ont été ajoutés. Les échantillons ont ensuite été transportés au laboratoire à température ambiante et conservés à 4 °C.

Au laboratoire, les échantillons de sédiments grossiers de surface et de milieu hyporhéique ont été tamisés sur une colonne de deux tamis de vide de maille de 5 mm et 0,2 mm (Fisherbrand, Fisher Scientific, Reinach, Suisse) dans les 1 à 7 jours suivant l’échantillonnage. Le matériel retenu sur le tamis de vide de maille de 0,2 mm a été conservé dans de l’éthanol absolu à −20 °C (dans une boîte en plastique). Pour l’extraction des oligochètes, chaque échantillon tamisé a été transféré dans une cuve de sous-échantillonnage carrée comportant 25 cases.Le contenu de cases sélectionnées au hasard a été transféré dans une boîte de Petri et examiné à la loupe binoculaire (Olympus, modèle SZ51, Bâle, Suisse). Des cases successives ont été examinées jusqu’à l’obtention de 100 oligochètes identifiables. Les spécimens d’oligochètes ont été montés entre lame et lamelle dans un milieu d’enrobage semi-permanent composé d’acide lactique, de glycérol et d’alcool polyvinylique (Mowiol 4-88) [21] et identifiés à l’aide d’un microscope (Olympus, modèle BX43, Bâle, Suisse) au niveau taxonomique le plus bas (espèce si possible, sinon genre ou famille).

Le nombre de spécimens identifiés par site devrait être de 100. Cependant, les résultats de l’analyse des communautés peuvent être interprétés lorsque le nombre de spécimens obtenus par site est inférieur à 100, ce qui est fréquent dans les échantillons de milieu hyporhéique. Cependant, si le nombre de spécimens est inférieur à 20, les résultats doivent être interprétés avec réserve.

Traits fonctionnels

La classification des taxons d’oligochètes de la matrice poreuse en 5 catégories de TRF proposée par Vivier [14], Lafont et Vivier [4] et Lafont et al. [5] a été utilisée (tab. 2). L’analyse des pourcentages de ces 5 TRF obtenus par site permet d’évaluer le degré de pollution chimique du milieu ainsi que la dynamique des échanges hydrologiques entre les eaux de surface et les eaux souterraines:

• Le TRF1 regroupe les taxons indiquant la présence d’exfiltration d’eaux souterraines. Ils sont soit souterrains, soit stygophiles, c’est-à-dire vivant à la fois dans les eaux de surface et les eaux souterraines.
• Les TRF2, TRFi et TRF3 regroupent, respectivement, les taxons sensibles, moyennement résistants et résistants aux pollutions chimiques.
• Le TRF4 regroupe les taxons très résistants aux pollutions chimiques, indiquant la présence de boues polluées dans les espaces interstitiels de la matrice poreuse.

Un pourcentage significatif de taxons du TRF1 dans la matrice poreuse indique une exfiltration des eaux souterraines. L’intensité de l’exfiltration peut être évaluée approximativement comme suit: TRF1 < 15%: faible intensité; 16–30%: intensité modérée; 31–50%: intensité élevée; > 50%: intensité très élevée.

Inversement, la prédominance de taxons appartenant à un TRF autre que TRF1 dans le milieu hyporhéique indique une infiltration des eaux de surface. L’infiltration des eaux de surface est faible si le pourcentage de ces taxons dans le milieu hyporhéique est < 15%; modéré (16–30%); élevé (31–50%); très élevé (> 50%).

Les taxons du TRF1 peuvent appartenir au TRF2 (taxons sensibles aux pollutions) ou au TRF3 (taxons résistants aux pollutions) ou à aucun autre TRF (aucun statut de résistance aux pollutions attribué). Par exemple, Marionina argentea appartient aux TRF1 et TRF2, Pristina jenkinae aux TRF1 et TRF3 et Stylodrilus heringianus au TRF1 uniquement. Le calcul des pourcentages de taxons résistants et sensibles inclus dans le TRF1 permet d’évaluer l’état de pollution des eaux souterraines. Par ex., si le TRF1 est très présent dans la matrice poreuse et comprend un pourcentage élevé de P. jenkinae (TRF3), cela indique une probable pollution des eaux souterraines.

Potentiel écologique

Le potentiel écologique (PE) décrit l’état de fonctionnement de la matrice poreuse (chaque compartiment séparément) et est calculé à l’aide de l’équation suivante [5]:

Le PE correspond au rapport entre la somme des pourcentages de TRF

considérés comme représentatifs d’un fonctionnement préservé et la somme des pourcentages de TRF représentatifs d’un fonctionnement altéré. Le PE permet de distinguer différents états de fonctionnement, de préservé à très altéré, comme le montre le tableau 3.

Résultats

Etat avant rénovation de la STEP

Dans chaque compartiment (sédiments grossiers de surface et milieu hyporhéique), une première augmentation du pourcentage de TRF3 (taxons résistants aux pollution) entre les sites AM0a /AM1 et le site AM2 (aval du déversoir), puis une seconde augmentation du pourcentage de TRF3 entre le site AM2 et les sites AV1-3 (aval de l’effluent) ont été observées (tab. 4). Aucun échantillon n’a cependant présenté un effet «boues polluées» significatif (faibles pourcentages de TRF4). Dans les deux compartiments, les pourcentages de TRF2 (taxons sensibles aux pollution) étaient plus faibles aux sites AV1–3 qu’aux sites AM0a, AM1 et AM2, à l’exception du site AM0a dans le milieu hyporhéique. Dans les deux compartiments, le degré d’exfiltration des eaux souterraines, tel qu’indiqué par le pourcentage de TRF1, a diminué de l’amont vers l’aval selon la tendance: AM0a > AM1 > AM2 > AV1–3. Enfin, dans les deux compartiments, les valeurs de PE étaient plus élevées aux sites AM0a et AM1 qu’aux sites en aval du déversoir et de l’effluent de la STEP. Une diminution progressive des valeurs de PE depuis les deux sites en amont vers les sites en aval a même été observée: AM0a/AM1 (fonctionnement modérément altéré ou altéré) > AM2 (fonctionnement altéré) > AV1–3 (fonctionnement très altéré).

Etat après rénovation de la STEP

Les pourcentages de TRF3 dans les deux compartiments étaient toujours plus élevés au site AV1 qu’aux sites AM0a, AM1 et AM2 (tab. 5 et 6). Toutefois, les pourcentages de ce TRF au site AV1 étaient nettement plus faibles après la rénovation de la STEP qu’avant sa rénovation. Les pourcentages de TRF3 étaient déjà plus élevés au site AM1 qu’au site AM0a dans les deux compartiments. Contrairement à l’état avant rénovation, les sites AM1 et AM2 présentaient un pourcentage de TRF3 similaire mais le pourcentage de TRF2 était plus faible au site AM2 qu’au site AM1. En comparaison avec le site AM2, le site AV1 présentait un pourcentage de TRF3 plus élevé mais aussi un pourcentage de TRF2 plus élevé, comparable à celui obtenu au site AM1. On peut donc considérer que la qualité biologique baissait entre les sites AM0a et AM1, puis entre les sites AM1 et AM2/AV1. Comme en 2021, aucun échantillon n’a présenté un effet «boues polluées» significatif (faibles pourcentages de TRF4). Au niveau du site AV1, la majorité des spécimens appartenant à des espèces sensibles appartenaient également au TRF1 (72% en surface et 87% dans le milieu hyporhéique). Les pourcentages de TRF2 au site AV1 étaient nettement plus élevés dans les deux compartiments après la rénovation de la STEP qu’avant sa rénovation. Contrairement à l’état avant rénovation de la STEP, les pourcentages de TRF1 obtenus au site AV1 indiquaient la présence d’exfiltrations importantes et donc une autoépuration du cours d’eau. Le site AM2 présentait la plus faible valeur de TRF1, indiquant la présence de faibles exfiltrations. Au niveau du site AV1, le TRF1 comprenait 61% et 68% de taxons du groupe TRF2, respectivement, dans les sédiments grossiers de surface et dans le milieu hyporhéique et aucun taxon du groupe TRF3. Le site AM0a présentait un fonctionnement faiblement altéré et les trois autres sites un fonctionnement altéré ou moyennement altéré. Les valeurs de PE étaient plus faibles au site AV1 qu’au site AM1, mais celles obtenues aux sites AM2 et AV1 (sédiments grossiers de surface) étaient similaires. Le site AV1 présentait des valeurs de PE nettement plus élevées après la rénovation de la STEP (fonctionnement altéré) qu’avant sa rénovation (fonctionnement très altéré) (fig. 2).