Plateforme pour l’eau, le gaz et la chaleur
Article technique
30. janvier 2023

CAD Fribourg

Un réseau de 250 km pour chauffer l’agglo de Fribourg de manière renouvelable

Pascal Abbet, Valentin Felder, Fabrice  Reymond, 

Répondre aux besoins thermiques de l’agglomération fribourgeoise avec une énergie renouvelable de qualité, tel est l’objectif que s’est fixé Groupe E. A terme, un seul réseau de chauffage à distance réunira les 11 réseaux indépendants existants et sera développé pour s’étendre à l’ensemble du territoire de l’agglomération (fig. 1). Un programme ambitieux qui compte plus de 200 projets et pour lequel 250 kilomètres de conduites seront déployés afin de relier quelque 4000 bâtiments (habitats groupés, industries, bureaux).
«Les défis sont nombreux», note Pascal Abbet, directeur de Groupe E Celsius. «Assurer l’approvisionnement en énergies renouvelables, développer nos infrastructures dans un tissu déjà densément bâti ou encore le faire à une cadence qui permette de suivre la demande en hausse constante en sont les principaux.»

Multiplier les sources renouvelables

L’un des premiers réseaux de chauffage à distance de l’agglomération fribourgeoise a été développé au début des années 2000 pour valoriser la chaleur fatale de l’usine d’incinération des déchets de Châtillon (SAIDEF) (voir fig. 1). Une énergie considérée comme renouvelable. «Basés principalement sur cette production, nos réseaux fonctionnent aujourd’hui avec environ 60% d’énergie renouvelable», détaille le directeur de Groupe E Celsius. Mais le marché tend vers un taux toujours plus élevé d’énergie propre.» Sur les contrats qu’il propose à ses nouveaux clients, le distributeur stipule actuellement un ratio à 75% de renouvelable. D’autres options au taux renouvelable plus ambitieux encore sont également proposées.
Pour répondre aux attentes du marché et aux exigences à venir, Groupe E va donc multiplier les sources d’énergie renouvelable: bois local, biogaz, pompes à chaleur ou encore rejets thermiques de l’industrie, etc. (fig. 2). «Dès que nous avons connaissance d’une opportunité où nous pourrions récupérer de l’énergie, nous analysons la situation», relève Valentin Felder, ingénieur HES en mécanique et responsable du programme de chauffage à distance de l’agglo fribourgeoise (CAD Fribourg) au sein de la direction de Groupe E Celsius.
Ainsi, la chaleur résiduelle de la STEP des Neigles, par exemple, est prévue d’être intégrée. Des réflexions sont également en cours pour évaluer la pertinence de récupérer la chaleur émise par des groupes de froid exploités par de grands distributeurs de l’alimentation ou encore des data centers de grandes entreprises spécialisées.

Infrastructures réhabilitées

Valentin Felder mentionne encore un projet particulier qui a valeur de projet pilote: «Nous avons réhabilité une ancienne infrastructure industrielle des années 1960 de l’entreprise Illford, à Marly. Grâce à l’installation d’une pompe à chaleur sur cette ancienne installation, nous pouvons récupérer de la chaleur issue de l’eau du lac de la Gruyère. Cette chaleur alimente le réseau de chauffage à distance en développement au sud de l’agglo, notamment dans l’Ecoquartier de l’Ancienne Papeterie.»
Sur la base de cette première expérience réussie, plusieurs centrales hydroélectriques existantes seront adaptées et exploitées également à des fins thermiques. «Nous allons pouvoir nous greffer sur les infrastructures existantes pour pomper l’eau et valoriser les calories qu’elle contient. C’est un joli challenge que de donner une nouvelle dynamique à ces installations parfois plus que centenaires.»

Autre source de chaleur possible: géothermie profonde

Une autre source d’énergie renouvelable présente un potentiel important: la géothermie profonde. «Des études sont actuellement menées par GPFR SA, société fondée par Groupe E et par l’Etat de Fribourg», relève Pascal Abbet. «Le projet vise à exploiter un système de doublet géothermique dans un aquifère à une profondeur de 3000 à 3500 mètres. Il est encore dans sa phase d’organisation du projet.»

Températures et pressions à harmoniser

Basé sur 11 réseaux indépendants en 2019, dont plusieurs ont déjà été réunis, le CAD Fribourg exploitera à terme 21 centrales de chauffe. «A l’avenir, il sera nécessaire d’en ajouter une dizaine, avec des sources d’énergie qui resteront multiples et qui nous permettront de nous adapter à la demande et à la disponibilité du marché», poursuit le directeur.
Reste qu’intégrer ces différentes sources à un seul et même réseau sera un autre challenge. «Cela implique une harmonisation des différents niveaux de température et de pression de nos réseaux», souligne Valentin Felder. Actuellement, les températures varient de 85 °C à 105 °C. Une fois harmonisée, elle devrait se situer aux alentours de 85 °C.
«Dans l’idéal, nous aimerions même l’abaisser davantage», indique Pascal Abbet. «Ce qui permettrait de limiter les pertes de chaleur lors du transport.» Mais, pour que la température du réseau unifié puisse être abaissée, les bâtiments alimentés devront avoir été assainis et isolés.
Quant aux pressions en jeu dans les différents réseaux, elles proviennent pour moitié de la topographie spécifique à la région, avec près de 200 m de dénivelé à certains endroits (soit 20 bars hydrostatiques). Ce qui pose de nombreux problèmes techniques lorsqu’il s’agit d’assembler des infrastructures initialement dimensionnées de manière indépendantes à une pression de service de 6 bars. Des solutions impliquant des échangeurs de chaleur sont en cours d’analyse. Elles devraient permettre d’éviter d’entraver le fonctionnement bidirectionnel du réseau unique (voir aussi encadré ci-dessous).

S’inscrire dans le tissu bâti

Aujourd’hui, un quart du réseau final est en fonction. Il approvisionne 260 bâtiments. «Pour qu’il s’étende à l’ensemble du périmètre de l’agglomération, soit huit communes – Avry, Fribourg, Givisiez, Granges-Paccot, Hauterive, Marly, Matran et Villars-sur-Glâne – nous allons devoir construire des centrales et installer des conduites dans un tissu urbain très dense», glisse Pascal Abbet. «Ce sera probablement l’autre défi majeur, avec celui des ressources en énergie, ces prochaines années.»
Les premières démarches de mise à l’enquête apportent déjà leur lot de complications. Pour ajouter encore à la difficulté, le réseau de chauffage à distance devra s’insérer dans des secteurs à fortes valeurs historiques et patrimoniales, notamment au cœur de la ville de Fribourg et de son centre médiéval. «Les interventions devront être finement coordonnées et pilotées», souligne Pascal Abbet. «D’autant que nous ne sommes pas les seuls utilisateurs du sous-sol.» Entre la levée des oppositions, les fouilles archéologiques et la durée des travaux, Groupe E devra également trouver le bon rythme de développement.

Comme une urgence

«Le contexte actuel, avec la hausse des prix des énergies fossiles et les incertitudes géopolitiques, est favorable à l’essor de notre réseau de chauffage à distance», commente le directeur. Certains clients dont le système de chauffage à gaz ou à mazout n’est pas encore en fin de parcours font d’ores et déjà part de leur intérêt urgent à changer d’énergie. «Nous devons trouver des solutions pour qu’ils puissent attendre que notre réseau se déploie.»
Si le programme est dans le pipeline depuis 2019 déjà, ces cinq prochaines années seront marquées par des avancées significatives. Quelque 120 millions de francs ont été débloqués par Groupe E sur un budget total estimé à près d’un demi-milliard de francs. Cette première enveloppe permettra le déploiement de l’ensemble du réseau de transport. Quatre centrales thermiques renouvelables seront ensuite construites. Elles permettront de raccorder les 300 prochains propriétaires, qui en ont d’ores et déjà fait la demande. A la première échéance stratégique, en 2027, la quantité de chaleur distribuée aura presque doublé et atteindra près de 300 GWh/an.

Diviser pour mieux gérer

Un programme estimé à près de 500 millions de francs et s’étalant sur quarante ans ne se gère pas d’un seul tenant. Pour maîtriser son déploiement, sa planification et la gestion de ses coûts, il a été subdivisé en 200 projets distincts. «Grâce à ce découpage, nous pouvons être plus agiles dans la gestion, dans la répartition des responsabilités et viser ainsi le maintien des tarifs dans une fourchette abordable», explique Pascal Abbet, directeur de Groupe E Celsius.
Les 200 projets sont répartis selon trois types d’infrastructures: les centrales de chauffe (40 projets), le réseau de transport (40) et le réseau de distribution (120). «Le réseau unique sera construit sur un modèle similaire à celui d’un microgrid électrique», précise Valentin Felder, responsable du programme CAD Fribourg. «Les centrales de chauffe seront intégrées sur le réseau de transport. Ce dernier sera rendu bidirectionnel, ce qui est assez inédit dans les systèmes de chauffage à distance traditionnels et qui nous permettra de doubler la capacité des conduites chaque fois que cela sera nécessaire.»
Le déploiement du réseau de chauffage à distance sera accompagné par celui de la fibre optique. Les données du CAD Fribourg pourront ainsi être centralisées quasi instantanément. «Un centre de conduite pilotera alors l’entier du réseau», note Valentin Felder. «Il définira en temps réel quelles centrales fonctionneront en priorité en fonction de la demande en chaleur des clients.» L’ensemble sera automatisé. «Mais, avant cela, il s’agira de disposer des compétences nécessaires afin d’optimiser ce fonctionnement basé sur la consommation réelle et immédiate», fait remarquer Pascal Abbet.

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