Plateforme pour l’eau, le gaz et la chaleur
Article technique
31. août 2020

Convergence des réseaux énergétiques

Evolution des réseaux de distribution de gaz naturel

La consommation des bâtiments pour la production de chaleur est appelée à diminuer en Suisse ces prochaines années, notamment suite à des politiques encourageant la rénovation des bâtiments. Cela aura un impact sur le réseau de gaz naturel, en parallèle à la pénétration des pompes à chaleur électriques. Au travers d’un schéma d’optimisation détaillé, l’évolution du réseau de distribution de gaz naturel est étudiée sur une période future de trente ans et sur le territoire d’un grand canton Suisse.
Massimiliano Capezzali, Marten Fesefeldt, 

Infrastructure essentielle: Réseaux d’énergie

Les réseaux énergétiques sont au cœur de nos villes et de nos régions. Or, sauf les pylônes de la moyenne et de la haute tension ou les fameux poteaux oranges qui signalent les réseaux de gaz à haute pression, tout ceci est essentiellement invisible aux yeux de la population. Dans les discussions politiques, les réseaux sont aussi souvent oubliés ou, du moins, considérés comme des éléments infiniment élastiques qui peuvent, sans autre, absorber des grands changements soit du côté de la consommation ou du côté de l’approvisionnement (notamment décentralisé).
Tous les réseaux énergétiques ont essentiellement été payés soit directement par les contribuables, soit au travers de différents «timbres» qui s’ajoutent à nos factures d’électricité, de gaz naturel ou de chauffage à distance (CAD). Leur valeur totale s’estime en dizaines de milliards de francs suisses et les réseaux font donc partie de ces infrastructures indispensables pour nos sociétés. Cela a été ultérieurement démontré par la crise sanitaire que nous traversons depuis plusieurs mois.

Pour une approche multi-énergies 

Jusqu’à maintenant, les réseaux énergétiques ont été installés, dimensionnés et utilisés «en silos», c’est-à-dire indépendamment les uns des autres, bien que certains d’entre eux soient en interaction directe: pensons, par exemple aux innombrables réseaux CAD qui sont alimentés par des chaudières à gaz en ruban et/ou en pointe. Or, on se rend progressivement compte qu’il conviendrait de changer cette manière de procéder et de penser les réseaux non plus sur la base des vecteurs énergétiques qu’ils convoient, mais bel et bien sur leurs caractéristiques physiques et sur les services qu’ils peuvent contribuer à apporter, pour les ménages, les industries et les services. En effet, ce que l’on nomme la «convergence des réseaux» permettrait non seulement de favoriser la pénétration des énergies renouvelables [1] – en jouant notamment sur le rôle de stockage-tampon que peut prendre le réseau de gaz naturel avec ou sans power-to-gas –, mais aussi de diminuer les coûts d’investissements liés à ces infrastructures, d’optimiser l’usage du sous-sol et d’augmenter la résilience du système énergétique [2]. Le projet que nous avons mené à la HEIG-VD, grâce à un financement de la HES-SO et de la Fondation ProTechno et en collaboration avec les Services Industriels de Genève (SIG), se situe clairement dans le domaine de l’interopérabilité des réseaux et de leur convergence.

projet Networks_In_City

Optimisation sous contraintes 

Le projet «Networks_In_City» (http://iese.heig-vd.ch/projets/networks-in-city) se pose trois objectifs principaux, à savoir: (i) réaliser une optimisation d’un grand réseau de gaz existant sous contraintes; (ii) tester les résultats par rapport à différents scénarios de réglementations – notamment liées à des politiques visant à diminuer la demande énergétique des bâtiments – et de prix; (iii) quantifier la contribution de l’utilisation de technologies telles que la cogénération pour une interopérabilité avec le réseau de distribution électrique et favoriser la pénétration de technologies énergétiques considérées comme durables telles que les pompes à chaleur.
Les aspects innovants d’un tel projet sont nombreux. En effet, d’une part, les réseaux de gaz naturel sont rarement optimisés sauf dans le cas d’importantes extensions – construction de nouveaux grands quartiers ou de zones industrielles – ou pour le transport sur de très grandes distances. D’autre part, l’optimisation proposée ici tient compte de la baisse de consommation attendue – et globalement souhaitée – dans le domaine du chauffage des bâtiments et d’une future interdiction de nouvelles installations de chaudières au mazout et, à moyen terme, au gaz naturel [3]. Sur cette base, notre approche prévoit la pénétration de pompes à chaleur électriques (PAC) et d’unités de micro-cogénération (CCF) alimentées au gaz naturel (considéré dans un premier moment comme vecteur fossile, mais une étude ultérieure pourra tenir compte d’une proportion croissante de biométhane renouvelable) et propose le couplage de ces deux technologies pour répondre aux besoins de chaleur des villes, en plus des réseaux CAD existants. On associe ainsi une technologie considérée comme durable au sens environnemental, les pompes à chaleur, et une technologie à très haute efficacité exergétique, soit les CCF, qui mettent pour ainsi dire «en communication» les réseaux de gaz naturel et électriques.
L’optimisation est faite sur une balance entre les coûts et les profits, dans une approche globale (global wealth approach en anglais). Les premiers incluent les coûts d’investissement pour le réseau et pour les technologies de conversion (CAPEX), les coûts opératoires qui sont liés (OPEX) et l’achat des vecteurs énergétiques. Les revenus sont générés par la vente de l’électricité produite par les unités de micro-cogénération.

Travail préparatoire sur les données

Avant de pouvoir lancer les calculs d’optimisation, un long et détaillé travail sur les données a été effectué. Il s’agit d’une étape qui est souvent sous-estimée mais qui constitue un élément chronophage, d’une part, et qui requiert une compréhension des dynamiques énergétiques territoriales de l’autre [4].
Les données de consommation énergétique pour les bâtiments ont été extraites du Service d’information du Territoire Genevois (SITG). Elles ont été validées et complétées sur la base d’hypothèses liées au type de bâtiment, à son âge et à son utilisation, selon des approches couramment utilisées. De même, les technologies de conversion présentes dans les bâtiments ont été caractérisées par typologie, puissance et années d’installation. Toutes ces données sont géolocalisées.
Du point de vue approvisionnement, toute l’architecture du réseau de distribution de gaz naturel sur le Canton de Genève a été fournie par les Services Industriels de Genève (SIG). Les diamètres des conduites, les niveaux de pression et les détendeurs ont été inclus dans le calcul, ainsi que les caractéristiques des multiples points d’injection. Les équations usuelles des fluides dans les conduites ont été intégrées dans le calcul d’optimisation, alors que le réseau électrique est considéré comme infiniment élastique du point de vue de la puissance soutirée. Ainsi, un mapping précis entre le réseau et les points de consommation est entièrement réalisé.
Finalement, afin de garder l’effort numérique dans des proportions traitables, des jours-type ont été définis, afin de pouvoir réaliser le calcul d’optimisation sur les 30 prochaines années, par périodes de cinq ans. Les résultats dépendent de ce choix qui, lui-même, dépend de la grandeur de la zone étudiée. Ainsi si l’on prenait une zone plus petite qu’un canton entier – comme dans cette étude spécifique –, on pourrait ajouter des détails afin de tenir compte de variations saisonnières plus fines.

 

RÉSULTATS

Le calcul d’optimisation fournit l’évolution du système pour six pas de temps de cinq ans, c’est-à-dire qu’il permet de se projeter sur une période future de 30 ans. Plusieurs scénarios de prix des énergies et d’évolution de la demande ont été calculés et confirment la robustesse de la méthode de calcul.

Evolution du réseau de gaz naturel

Premièrement, le calcul fournit l’évolution précise de toutes les branches et des nœuds du réseau de distribution de gaz naturel. Ainsi, on constate avant tout que le réseau ne perd pas sa structure globale, c’est-à-dire qu’il ne se forme pas des ilôts autour des points d’injection qui seraient déconnectés les uns des autres. La redondance, même dans des scénarios agressifs de rénovation énergétique des bâtiments – et donc de diminution de la demande en gaz naturel –, reste notamment assurée. Le réseau de distribution de gaz naturel devient moins «fin» en perdant certains branchements et diminue de longueur totale – voir figure 1 – mais continue à couvrir tout le territoire considéré. Le calcul permet ainsi de gérer les actifs de réseaux par rapport aux coûts opérationnels que ceux-ci génèrent et à leur amortissement, en fonction de l’évolution de la consommation de gaz naturel. Si l’on souhaite utiliser ces résultats dans le cadre d’une planification précise pour une zone urbaine, il serait alors clairement nécessaire d’affiner ce calcul, qui fournit par contre une première et cohérente «vision d’ensemble».

Technologies de conversion

Deuxièmement, l’optimisation donne la distribution des technologies de conversion énergétique en termes de puissance pour chaque période de 5 ans. Nous avons notamment introduit une interdiction d’installation de nouveaux chauffages directs basés sur des énergies fossiles, immédiate pour le mazout et après 10 ans pour le gaz naturel, comme hypothèses simplifiées correspondant à l’évolution probable du cadre réglementaire suisse en termes d’émissions de CO2. Sur la figure 2, on remarque donc la pénétration des pompes à chaleur électriques, d’une part, et des unités de co-génération de l’autre, alimentées par le réseau de gaz naturel, qui permettent de couvrir une bonne partie de la demande en chaleur sur le territoire étudié. Différents scénarios de pénétration de pompes à chaleur ont été étudiés, en fixant le toit maximal de puissance nouvellement installée par année (e. g. 20 MWél par année sur la figure 2). Les installations des unités de co-génération dépendent, quant à elles, fortement du prix de reprise de l’électricité: dans les scénarios étudiés, on constate que l’électricité produite de manière décentralisée par les CCF permet de couvrir environ la moitié de la nouvelle demande électrique générée par les PAC, apportant ainsi une contribution potentiellement importante au réseau de distribution électrique. En effet, alors que ce dernier a été bien dimensionné dans la plupart des zones urbaines suisses, il sera fortement mis à contribution par le double défi des générations décentralisées renouvelables (notamment PV) et de l’augmentation attendue des consommations (PAC, mais aussi mobilité électrique). L’installation à large échelle d’unités de co-génération permet d’apporter une réponse à cette situation, en identifiant une piste évitant de probables investissements pour le renforcement des réseaux basse tension dans les zones urbaines. La convergence des réseaux améliore donc les aspects économiques, tout en augmentant la résilience globale du système énergétique.

Localisation des PAC et unités CCF

Troisièmement, le calcul d’optimisation permet de localiser spatialement les pompes à chaleur et les unités de co-génération. Dans ce dernier cas, la localisation est accompagnée par le flux de gaz naturel sur toutes les branches du réseau. On constate que cette distribution est très homogène sur le territoire. Dans un futur projet, il est prévu d’étudier l’intégration CCF-PAC sur des réseaux basse tension de quartier, afin de bien comprendre cette interaction en temps réel, en insistant sur le fait que la demande électrique des PAC correspond en principe aux périodes de production des unités de co-génération, soit les périodes froides.

Evolution des Ă©missions de CO2

Quatrièmement, on peut estimer l’évolution des émissions de CO2 liées aux choix de technologies qui résulte du calcul d’optimisation, en se basant sur les attributions du KBOB (Conférence de coordination des services de la construction et des immeubles des maîtres d’ouvrage publics) et en se concentrant sur la demande de chaleur uniquement. Le résultat est montré sur la figure 3. On constate que, malgré la continuation de l’existence d’un réseau de gaz naturel – qui, dans notre hypothèse, est alimenté entièrement par du méthane d’origine fossile, ce qui ne sera fort probablement plus le cas dans le futur de par l’injection de biométhane et/ou de gaz de synthèse –, le territoire considéré va voir diminuer ses émissions de CO2. Ce résultat est partiellement biaisé par le fait que le KBOB attribue une partie des émissions des CCF à la production électrique et ne considère qu’un impact annuel pour l’électricité consommée par les PAC – ce qui est remis en cause par la situation actuelle d’importations électriques massives en hiver –, mais cela ne remet pas en cause l’ampleur de la diminution qui peut être attendue.

Conclusion

En conclusion, il a été démontré que l’on peut procéder à une optimisation sous contraintes d’un réseau de distribution de gaz naturel au niveau d’une région entière (dans notre cas, un canton d’un demi-million d’habitants), en tenant compte de la diminution attendue de la demande de chaleur au niveau des bâtiments. Une interaction entre les pompes à chaleur et les unités de co-génération permet, d’une part, de couvrir une partie importante de la nouvelle demande électrique et, d’autre part, d’assurer la viabilité financière du réseau de distribution de gaz. Lorsque la proportion de gaz renouvelables augmentera dans le mix de distribution suisse, de telles configurations pourront, en plus, avoir un impact environnemental très positif.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Gillesse, B. et al. (2019): Natural gas as a bridge to sustainability: Infrastructure expansion regarding energy security and system transition. Applied Energy 251: 113377. https://doi.org/10.1016/j.apenergy.2019.113377

[2] Puerto, P. et al. (2019): Proceedings IBPSA 2019, 1365–1370 (disponible auprès des auteurs)

[3] Quiquerez, L. (2017): Décarboner le système énergétique à l’aide des réseaux de chaleur: état des lieux et scénarios prospectifs pour le canton de Genève. PhD Thesis (5056), University of Geneva. Disponible à l’adresse https://archive-ouverte.unige.ch/unige: 93380

[4] Cherix G. et al. (2015): Proceedings of 10th Conference on Sustainable Development of Energy, Water and Environment Systems (SDEWES 2015)

REMERCIEMENTS

Rectorat HES-SO, Fondation ProTechno, Services Industriels de Genève, Université de Genève

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