Plateforme pour l’eau, le gaz et la chaleur
Article technique
27. octobre 2022

Géométhanisation

Du gaz renouvelable issu du sous-sol suisse

Un projet de recherche actuel suscite l’espoir que le sous-sol suisse puisse être utilisé comme réservoir de gaz renouvelable. Il s’agit d’un processus au cours duquel des micro-organismes transforment de l’hydrogène et du dioxyde de carbone renouvelables en méthane, le principal composant du gaz naturel. Des chercheurs de l’Université de Berne ont repérés sur le Plateau suisse des formations rocheuses poreuses susceptibles d’être utilisées pour ce qu’on appelle la géométhanisation.
Benedikt Vogel 

Les technologies Power-to-Gas permettent de transformer l’électricité en gaz. Pour ce faire, on utilise souvent un électrolyseur qui décompose l’eau en hydrogène et en oxygène sous l’effet de l’électricité. Si l’électrolyseur est alimenté par de l’électricité d’origine renouvelable (par ex. photovoltaïque), de l’hydrogène renouvelable est produit. L’hydrogène peut être utilisé à des fins énergétiques. Il peut également être transformé en méthane («méthanisation») par l’ajout de dioxyde de carbone (CO2). La méthanisation requiert idéalement quatre parts d’hydrogène et une part de CO2. Ce dernier est notamment produit par les processus industriels. Ce gaz à effet de serre, lequel est généralement rejeté dans l’atmosphère, se prête bien à la production de méthane renouvelable en combinaison avec de l’hydrogène renouvelable.

Le méthane renouvelable est neutre en termes de CO2 dans la mesure où il libère exactement la même quantité de CO2 que celle utilisée pour sa production lors de sa combustion. Le gaz méthane présente en outre l’avantage d’être comparativement facile à stocker. Il peut être utilisé pour stocker l’électricité qui ne trouve pas preneur pendant les mois d’été, jusqu’à ce que l’énergie soit nécessaire pendant les mois d’hiver où la consommation est élevée (sous forme de gaz ou reconvertie en électricité). Les technologies power-to-gas pourraient donc jouer un rôle important dans l’approvisionnement futur de la Suisse en énergie renouvelable.

Les micro-organismes produisent du méthane

Le mĂ©thane peut ĂŞtre stockĂ© dans des rĂ©servoirs, des cavernes ou des gazoducs, mais seulement en quantitĂ©s limitĂ©es. Les formations rocheuses poreuses, Ă  partir desquelles le gaz naturel Ă©tait autrefois extrait, offrent une autre possibilitĂ© de stockage. Les gisements de gaz naturel exploitĂ©s sont utilisĂ©s dans le monde entier pour le stockage Ă  grande Ă©chelle et Ă  long terme du gaz naturel, par exemple par l’entreprise autrichienne de stockage de gaz RAG Austria AG. Cette entreprise a fait une dĂ©couverte remarquable il y a une dizaine d’annĂ©es: lorsque l’hydrogène et le CO2 sont introduits dans le sous-sol dans des conditions appropriĂ©es, les micro-organismes (archĂ©es) qui y sont naturellement prĂ©sents assurent la mĂ©thanisation de l’hydrogène, c’est-Ă -dire sa transformation en mĂ©thane. Ce mĂ©thane peut ensuite ĂŞtre prĂ©levĂ© dans le rĂ©servoir souterrain et utilisĂ© comme le gaz naturel traditionnel.

De 2013 Ă  2020, la RAG Austria AG a Ă©tudiĂ© ce procĂ©dĂ©, les spĂ©cialistes parlent de gĂ©omĂ©thanisation, dans le cadre de deux projets, a rĂ©alisĂ© des essais dans une installation pilote Ă  Pilsbach (entre Salzbourg et Linz) avant de le breveter. Lors des essais sur le terrain, jusqu’à 10% en volume d’hydrogène et 2,5% en volume de CO2 ont Ă©tĂ© ajoutĂ©s Ă  un rĂ©servoir rempli de gaz naturel: les micro-organismes ont transformĂ© les deux gaz en mĂ©thane en quelques semaines, des taux de conversion de 10 Ă  90% ayant Ă©tĂ© observĂ©s. Bilan des auteurs de l’étude: «MĂŞme si l’hydrogène et le CO2 n’ont pas Ă©tĂ© complètement convertis, nous avons de fortes preuves que la gĂ©omĂ©thanisation pourrait ĂŞtre une vĂ©ritable option pour un cycle fermĂ© du carbone dans un futur système Ă©nergĂ©tique». Par «cycle fermĂ© du carbone», on entend que le CO2 produit par les processus de combustion est rĂ©utilisĂ© pour la production de gaz renouvelable (fig. 1 et 2).

Vaste partenariat de recherche

En Suisse, le fournisseur de gaz et d’énergie Energie 360° (de Zurich) a pris connaissance des rĂ©sultats intĂ©ressants de la recherche autrichienne. En 2020, il a lancĂ©, en collaboration avec la RAG Austria AG, un projet de recherche sur trois ans auquel participent, du cĂ´tĂ© suisse, l’UniversitĂ© de Berne, la Haute Ă©cole spĂ©cialisĂ©e de Suisse orientale et le Laboratoire fĂ©dĂ©ral d’essai des matĂ©riaux et de recherche (Empa) (fig. 3 et 4). L’OFEN soutient financièrement le projet dans le cadre de l’ERA-Net Smart Energy System.

Une Ă©quipe de recherche de l’UniversitĂ© de Berne a cherchĂ© Ă  savoir s’il existait des formations gĂ©ologiques susceptibles d’être utilisĂ©es pour la gĂ©omĂ©thanisation dans le sous-sol suisse. Le responsable de ce sous-projet est Larryn W. Diamond, professeur de gĂ©ochimie et de pĂ©trologie Ă  l’Institut de gĂ©ologie. MĂŞme si les travaux ne sont pas encore terminĂ©s, il conclut Ă  une Ă©valuation positive: «Les recherches que nous avons menĂ©es jusqu’à prĂ©sent nous permettent de conclure que des roches de stockage appropriĂ©es pour la gĂ©omĂ©thanisation devraient ĂŞtre disponibles en Suisse, et ce, au pied sud du Jura dans la rĂ©gion de Genève et dans la rĂ©gion de Soleure-Olten-Baden-Schaffhouse. Une autre formation rocheuse potentiellement appropriĂ©e s’étend du lac de Constance Ă  Berne en passant par les lacs de Zurich et de Zoug», explique Diamond (fig. 5).

Les chercheurs ne peuvent pas encore dire oĂą exactement un rĂ©servoir poreux pourrait ĂŞtre construit pour la gĂ©omĂ©thanisation. Les rĂ©gions mentionnĂ©es prĂ©sentent toutefois des formations rocheuses qui remplissent les principaux critères pour un tel stockage (fig. 6): premièrement, la roche est poreuse et peut absorber 20% ou plus de gaz en volume. On trouve de telles roches de sable, de calcaire et de dolomite dans le sous-sol du Plateau suisse. Deuxièmement, ces formations rocheuses poreuses sont fermĂ©es vers le haut par une couche supĂ©rieure impermĂ©able, ce qui empĂŞche le gaz de s’échapper. Les roches argileuses (par exemple les argiles Ă  Opalinus) ou les couches de sel sont adaptĂ©es Ă  cette fin. Et troisièmement, les couches de roches offrent de bonnes conditions d’existence aux micro-organismes, ce qui est le cas entre 30 et 60°C. Les micro-organismes ne peuvent donc pas se dĂ©velopper dans ces conditions. De telles tempĂ©ratures règnent sous la surface jusqu’à une profondeur de 1600 mètres.

La Suisse a besoin d’une solution propre

Les résultats des recherches menées jusqu’à présent permettent de conclure que les conditions géologiques sont réunies en Suisse pour la géométhanisation. Les scientifiques de l’Université de Berne souhaitent encore affiner leurs propositions de sites. L’étape suivante pourrait consister à rechercher des formations rocheuses de la taille requise par des études géophysiques, suivies de forages pour explorer des sites concrets de stockage en milieu poreux.

Il est d’ores et déjà certain que le concept de géométhanisation doit être mis en œuvre en Suisse sous une forme adaptée: en effet, contrairement à l’Autriche, la Suisse ne dispose pas de gisements de gaz naturel exploités qui pourraient être directement utilisés pour la géométhanisation. À la place, la Suisse aurait recours à des aquifères salins, c’est-à-dire des roches poreuses remplies d’eau salée (fig. 6). Pour y stocker des gaz, il faut d’abord évacuer l’eau salée par pression. «Cela représente un travail supplémentaire et comporte le risque de provoquer des tremblements de terre perceptibles, ce qui doit être soigneusement étudié», explique le géologue Diamond.

Grand besoin de recherches

Aujourd’hui, la gĂ©omĂ©thanisation est encore de la recherche fondamentale. Pour l’instant, on ne sait pas encore si un stockage poreux d’hydrogène et de CO2 dans le sous-sol suisse est techniquement rĂ©alisable et Ă  quoi ressemblerait un modèle commercial concluant sur le plan Ă©nergĂ©tique et Ă©conomique. «L’approche et les rĂ©sultats obtenus jusqu’à prĂ©sent sont toutefois si prometteurs que nous devons poursuivre nos recherches dans ce domaine», explique Andreas Kunz, responsable des installations Ă©nergĂ©tiques chez Energie 360°, qui dirige le projet de recherche en Suisse. Les rĂ©servoirs poreux ne promettent pas seulement de grandes capacitĂ©s de stockage, ils ont Ă©galement l’avantage, selon les connaissances actuelles, de ne pas nĂ©cessiter d’apport d’hydrogène (H2) et de CO2 dans des proportions fixes (4 parties de H2 et une partie de CO2). Les rĂ©servoirs pourraient ainsi ĂŞtre remplis de CO2 en permanence, mais d’hydrogène uniquement pendant les mois d’étĂ©, lorsque l’électricitĂ© excĂ©dentaire est disponible pour sa production. Daniel Sidler, qui coordonne le projet pour Energie 360° avec les partenaires de recherche, Ă©voque le grand potentiel de cette technologie pour la Suisse: «Les calculs de scĂ©narios de la production d’énergie nationale effectuĂ©s par l’Empa dans le cadre du projet de recherche montrent qu’en 2050, la gĂ©omĂ©thanisation pourrait thĂ©oriquement nous permettre de couvrir la totalitĂ© des besoins en gaz de la Suisse ou jusqu’à la moitiĂ© de la pĂ©nurie d’électricitĂ© hivernale de la Suisse».

En savoir plus

Site Internet du projet: www.underground-sun-conversion.at

Andreas Kunz, responsable du projet de recherche de l’OFEN 'Underground Sun Conversion - Flexible Storage' (USC FlexStore) en Suisse, communique des informations sur ce projet.

Vous trouverez plus d’articles spécialisés concernant les projets pilotes, de démonstration et les projets phares dans le domaine de l’électricité sur www.bfe.admin.ch/ec-electricite.

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