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04. mai 2023

Gaz renouvelables

Le biogaz liquéfié pourrait faire avancer les camions

Le biogaz est utilisé de diverses manières en Suisse: principalement pour la production de chaleur et d’électricité, mais également en tant que carburant pour les voitures à gaz. Jusqu’à présent, le gaz issu de sources renouvelable n’est guère utilisé pour les camions. Pourtant, l’utilisation du biogaz liquide (bioGNL) serait techniquement réalisable et aurait un potentiel considérable de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Telle est la conclusion d’un projet pilote et de démonstration mené par la Haute école spécialisée de Suisse orientale (OST) en collaboration avec un détaillant et une entreprise de transport.
Benedikt Vogel 

En Suisse, le biogaz est produit dans environ 110 installations agricoles et 35 installations industrielles. L’une des plus grandes installations se situe à Inwil, dans le canton de Lucerne. C'est là que SwissFarmerPower Inwil AG produit du gaz renouvelable à partir de déchets verts communaux ainsi que de déchets organiques issus de l’industrie alimentaire et de l’agriculture. Par an, plus de 36 GWh de biogaz y sont produits. La majeure partie (32 GWh) est injectée dans le réseau régional de gaz naturel. Environ 2 GWh sont transformés sur place en électricité et en chaleur, fournissant ainsi de l’électricité à 600 foyers moyens de quatre personnes et de la chaleur à 400 foyers moyens de quatre personnes. Une station-service pour voitures à gaz se trouve également sur le site. Si toute la production d’énergie de SwissFarmerPower Inwil était utilisée dans le secteur des transports, le gaz suffirait à faire rouler 5500 voitures de tourisme avec une autonomie annuelle de 10'000 km.

Un carburant sous forme gazeuse

Selon les statistiques annuelles de l’Association Suisse de l’Industrie Gazière, le biogaz couvre environ 6% des besoins en gaz de la Suisse. Si l’on considère les différents domaines d’application du gaz, le biogaz joue un rôle considérable dans le secteur du transport: parmi les carburants gazeux, le biogaz représente environ un quart (fig. 1). Cela est également dû au fait que le carburant vendu dans les stations-service de gaz naturel suisses est mélangé à au moins 20% de biogaz.

Fig. 1 En Suisse, environ un quart des besoins en gaz pour la propulsion des véhicules sont couverts par le biogaz. (Graphique: VSG)

Le carburant dont les vĂ©hicules Ă  gaz font gĂ©nĂ©ralement le plein aujourd’hui est certes gazeux, mais comprimĂ© (d’oĂą l’appellation «compressed natural gas», en abrĂ©gĂ© CNG). Grâce Ă  la compression, il est possible de multiplier le contenu Ă©nergĂ©tique pour une taille de rĂ©servoir donnĂ©e par rapport Ă  un gaz non comprimĂ©, typiquement d’environ 200 fois pour les voitures de tourisme. Il est possible de mettre encore plus d’énergie dans un rĂ©servoir de gaz en liquĂ©fiant le gaz, en le refroidissant Ă  environ -162 Â°C. Le gaz peut ĂŞtre utilisĂ© pour le chauffage, le refroidissement et la climatisation. Le gaz naturel liquĂ©fiĂ© (GNL) a une densitĂ© Ă©nergĂ©tique 600 fois supĂ©rieure Ă  celle du gaz naturel dans des conditions normales et permet des autonomies comparables Ă  celles des vĂ©hicules diesel. «Ce carburant liquide Ă  base de gaz est de plus en plus utilisĂ© dans le transport lourd. Il permet de rĂ©duire les Ă©missions de CO2 de 5 Ă  20% par rapport au diesel», explique Elimar Frank, professeur Ă  la Haute Ă©cole spĂ©cialisĂ©e de Suisse orientale OST. «Dans ce contexte, nous avons voulu examiner dans une Ă©tude la contribution que le biogaz liquĂ©fiĂ© (bioGNL) pourrait apporter Ă  un transport de marchandises respectueux du climat en Suisse».

Camion suisse avec bioGNL norvégien

Le projet «HelloLBG» (LBG signifie «liquified biogas», soit biogaz liquĂ©fiĂ© en anglais) s’est achevĂ© au printemps 2023, après une pĂ©riode de quatre ans. Il a Ă©tĂ© soutenu financièrement par l’OFEN, le Fonds de recherche, de dĂ©veloppement et de promotion de l’industrie gazière suisse (FOGA) et Lidl Suisse SA. Le dĂ©taillant Ă©tait impliquĂ© en tant que partenaire pratique, tout comme l’entreprise de transport Krummen Kerzers AG, qui travaille notamment pour Lidl Suisse. Dans le cadre du projet, cette dernière a mis Ă  disposition deux de ses camions GNL dont les Ă©missions ont Ă©tĂ© relevĂ©es pendant un an. Les mesures rĂ©alisĂ©es dans ce contexte devaient initialement ĂŞtre rĂ©alisĂ©es avec du bioGNL, mais dans la mesure oĂą celui-ci n’était pas disponible en raison de la pandĂ©mie, les scientifiques ont optĂ© pour le GNL, dont la composition est presque identique (d’un point de vue chimique, le bioGNL et le GNL sont tous deux presque entièrement du mĂ©thane). Le GNL comme le bioGNL gĂ©nèrent des Ă©missions de CO2 lors de la combustion, mais le bioGNL est considĂ©rĂ© comme respectueux du climat car le carbone libĂ©rĂ© a Ă©tĂ© prĂ©alablement extrait de l’atmosphère par des plantes.

L’équipe de projet a calculé, sur la base de mesures et de l’évaluation des données d'exploitation, dans quelle mesure les émissions de gaz à effet de serre pourraient être réduites si une flotte de camions suisses se ravitaillait en bioGNL d’origines diverses au lieu du diesel. Le résultat: les émissions de gaz à effet de serre diminuent d’un peu plus de quatre cinquièmes (82%) en cas d’utilisation de bioGNL issu d’une production à grande échelle en Norvège, si l’on considère l’ensemble de la chaîne de valeur. Ceci inclus la production (y compris la liquéfaction), le transport, le stockage et l’utilisation dans le véhicule (analyse «well-to-wheel») (fig. 2). Pour le calcul, l’équipe scientifique a supposé que pour la production et la liquéfaction du bioGNL des énergies renouvelables étaient utilisées, et que le transport vers la Suisse s’est fait avec du diesel fossile.

Fig. 2 Un camion fonctionnant au biogaz liquide (bioGNL) ne gĂ©nère que 18% des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre par rapport Ă  un camion diesel. Les Ă©missions restantes sont dues pour environ deux tiers Ă  la production de biogaz et pour un tiers au transport du carburant vers la Suisse et Ă  son utilisation. Le calcul prĂ©suppose que le carburant bioGNL a Ă©tĂ© produit en Norvège puis transportĂ© en Suisse.

Influence de la technologie de moteur sur les Ă©missions de gaz Ă  effet de serre

Dans le projet «HelloLBG», un camion GNL (liquified natural gas, LNG) équipé de la technologie de moteur HPDI (injection directe à haute pression) et un camion GNL équipé d’un moteur à essence (Otto) ont été comparés (fig. 3). Le véhicule à moteur Otto présentait des émissions de CO2 plus élevées lors de l’utilisation de GNL que le véhicule à moteur HPDI (qui utilise également du diesel pour l’allumage), et également des émissions plus élevées qu’un camion diesel. La haute quantité de gas à effet de serre émise est causé par l’efficacité moindre du moteur à essence étudié dans le projet, par rapport au véhicule HPDI. En revanche, lors de l’utilisation du bioGNL, les émissions du moteur à essence ont été inférieures à celles du moteur HPDI. La raison: les moteurs HPDI ne peuvent pas être entièrement convertis au bioGNL dans la mesure où il faut toujours un reste d’environ 10% (en masse) de diesel.

Fig. 3 Comparaison des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre d'un camion GNL Ă©quipĂ© d'un moteur HPDI  et d'un camion GNL Ă©quipĂ© d'un moteur Ă  essence (Otto). (Graphique: Rapport final de «HelloLBG»)

Opportunités pour la production nationale

Les camions bioGNL sont donc respectueux du climat, mais ne sont pas climatiquement neutres. Dans la chaĂ®ne de valeur du bioGNL, il existe deux sources possibles d’émissions de mĂ©thane, lequel a un potentiel de rĂ©chauffement global de gaz Ă  effet de serre 28 fois plus important que le CO2. D’une part, il y a les Ă©missions directes de mĂ©thane lors de la production de biogaz qui ne peuvent pas ĂŞtre totalement Ă©vitĂ©es. D’autre part, des Ă©missions de mĂ©thane peuvent rĂ©sulter du «venting» (voir aussi encadrĂ© 1). Lors du transport du bioGNL vers la Suisse, le carburant utilisĂ© Ă  cet effet dĂ©termine une part des Ă©missions totales de la chaĂ®ne de crĂ©ation de valeur ayant un impact sur le climat. Les auteurs du rapport final «HelloLBG» constatent toutefois que le transport de bioGNL importĂ© (par exemple de Norvège) ne joue qu’un «rĂ´le secondaire» dans le bilan climatique. Les Ă©missions pourraient ainsi ĂŞtre rĂ©duites, par exemple en choisissant d’autres moyens de transport ou en Ă©vitant le venting.

L’alternative la plus Ă©vidente Ă  l’importation serait la production de bioGNL en Suisse. Selon les calculs de l’équipe du projet, le biogaz liquide pourrait dĂ©jĂ  ĂŞtre produit dans des installations de production relativement petites (production annuelle de 1500 Ă  2000 t de bioGNL) Ă  des coĂ»ts raisonnables (moins de 2 Fr./kg de bioGNL; fig. 4). En Suisse, il existe dĂ©jĂ  quelques installations de biogaz avec des volumes de production correspondants. Des installations comme celle d’Inwil, mentionnĂ©e ci-dessus, pourraient fournir du bioGNL pour plus de 100 camions (100'000 km par an). En incluant le potentiel de biomasse encore inexploitĂ© en Suisse, il serait thĂ©oriquement possible d’alimenter l’ensemble de la flotte suisse de camions, explique Elimar Frank.

Fig. 4 Selon les calculs de l’équipe «HelloLBG», la production d’un kilogramme de bioGNL en Suisse, qui a une capacitĂ© de production d’environ 5 tonnes par jour, pourrait coĂ»ter environ 2 francs. Environ 15% de ces coĂ»ts (soit environ 30 centimes) sont liĂ©s au traitement et Ă  la liquĂ©faction du biogaz. La plus grande partie des coĂ»ts (environ trois quarts) est liĂ©e Ă  la production du biogaz. (Graphique: adaptĂ© Ă  partir du rapport final de «HelloLBG»)

Les prix élevés freinent le changement

Cette vision se conjugue au conditionnel dans la mesure oĂą le gaz liquĂ©fiĂ© se voit actuellement confrontĂ© Ă  des vents contraires. En 2022, les prix de GNL et du bioGNL ont fortement augmentĂ© en raison de la crise Ă©nergĂ©tique d’origine gĂ©opolitique. Pour l’instant, le bioGNL n’est pas compĂ©titif, explique Sabine Krummen, responsable du dĂ©veloppement durable chez l’entreprise de transport Krummen Kerzers. «Si cela ne tenait qu’à nous, nous aurions dĂ©jĂ  fait le plein de nos 30 camions GNL avec du bioGNL, car selon notre expĂ©rience de ces dernières annĂ©es, ce carburant fonctionne sans problème. Mais, malheureusement, il existe des obstacles importants Ă  l’importation de bioGNL ainsi qu’à sa reconnaissance en tant que gaz biogĂ©nique, et le manque d’incitations Ă©conomiques empĂŞche le fuel-switch». Pour remplacer les camions fonctionnant au diesel, Krummen Kerzers mise donc sur des vĂ©hicules Ă  gaz alimentĂ©s en GNL, complĂ©tĂ©s par des camions purement Ă©lectriques. «Par rapport aux camions Ă©lectriques, les vĂ©hicules GNL n’ont pas de perte d’autonomie et de charge utile, de plus ils font rapidement le plein - il s’agit d’avantages considĂ©rables, notamment pour le transport international ou le transport lourd sur de longues distances», explique Krummen.

Pour que le biogaz liquide ait une chance d’être utilisé dans le transport par poids-lourd, des incitations financières sont indispensables, est également convaincu le professeur Frank de l’OST. Concrètement, il plaide pour la reconnaissance des certificats européens, à condition que les exigences suisses soient remplies pour les substrats utilisés, afin que l’exonération de l’impôt sur les huiles minérales accordée en principe au biogaz s’applique également au bioGNL importé. De plus, si la redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations (RPLP) était réduite, par exemple à 50%, pour les camions bioGNL, le biogaz liquide serait compétitif avec le diesel, souligne Frank. «L’utilisation de bioGNL permettrait de rendre rapidement le transport lourd plus respectueux du climat, même s’il ne s’agit que d’une technologie de transition jusqu’à ce qu’une bonne offre de véhicules électriques et suffisamment d’électricité renouvelable soient disponibles pour le transport routier de marchandises».

ENCADRÉ 1
Un venting indésirable

Le biogaz liquide (bioGNL) a un grand contenu Ă©nergĂ©tique et est respectueux du climat. Point de vue inconvĂ©nient, le bioGNL a besoin d’énergie pour ĂŞtre liquĂ©fiĂ© (selon les calculs de l’équipe «HelloLBG», environ 10% de l’énergie contenue dans le biogaz). Le bioGNL a alors une tempĂ©rature de -162 Â°C. Pour maintenir cette basse tempĂ©rature, il est transportĂ© et stockĂ© dans des rĂ©servoirs sous vide (sans refroidissement actif). Lors des trajets de plusieurs jours en camion, une partie du bioGNL s’échauffe et se transforme en gaz. Il en rĂ©sulte une surpression dans le rĂ©servoir. Celle-ci peut ĂŞtre rĂ©duite en renvoyant une partie du mĂ©thane Ă  la station-service pendant le ravitaillement. Si la pression de la station-service est supĂ©rieure Ă  9,5 bars, cette restitution n’est pas possible et le mĂ©thane «excĂ©dentaire» doit ĂŞtre rejetĂ© dans l’atmosphère (en anglais 'venting'). Le mĂ©thane, dont le bioGNL est principalement composĂ©, est alors renvoyĂ© dans l’environnement. Cela n’est pas souhaitable car le mĂ©thane est un gaz Ă  effet de serre agressif. Dans le projet OST «HelloLBG», l’équipe de scientifiques a pu dĂ©montrer que les ventings «peuvent ĂŞtre rĂ©duits Ă  presque rien grâce Ă  un taux de conversion de mĂ©thane plus Ă©levĂ© Ă  la station-service (environ 2000 kg par jour) ainsi qu’à des adaptations ciblĂ©es dans la disposition des camions», comme l’indique le rapport final du projet.

ENCADRÉ 2
Projets pilotes et de démonstration de l’OFEN

Le projet présenté dans le texte principal a été soutenu par le programme pilote et de démonstration de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN). Avec ce programme, l’OFEN encourage le développement et l’expérimentation de technologies, de solutions et d’approches innovantes, lesquelles contribuent de manière significative à l’efficacité énergétique ou à l’utilisation des énergies renouvelables. Les demandes d’aide financière peuvent être soumises à tout moment.

Informations complementaires

Le rapport final du projet «Utilisation du biogaz liquéfié (bioGNL) pour le transport lourd en Suisse ('HelloLBG')» est disponible sur: https://www.aramis.admin.ch/Texte/?ProjectID=44233

Men Wirz (men.wirz@bfe.admin.ch), co-responsable du programme pilote et de démonstration de l'OFEN, et Sandra Hermle (sandra.hermle@bfe.admin.ch), responsable du programme de recherche Bioénergie de l’OFEN communiquent des informations supplémentaires à ce sujet.

Vous trouverez plus d’articles spécialisés concernant les projets pilotes, de démonstration et les projets phares dans le domaine de la bioénergie sur www.bfe.admin.ch/ec-bioenergie.

 

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