Plateforme pour l’eau, le gaz et la chaleur
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01. septembre 2025

Projet Deep Blue Hydrogen

De la croissance des macrophytes lacustres à la production d’énergie

Dans l’optique de diversifier ses ressources énergétiques, Viteos se penche sur la valorisation de la biomasse lacustre en collaboration avec l’entreprise CleanCarbonConversion AG et la Maison de la Rivière. Dénommé Deep Blue Hydrogen, ce projet, qui a débuté en 2023 et est soutenu par le FOGA, vise à déterminer le potentiel énergétique des macrophytes collectés dans le lac et la possibilité de développer la culture en aquaferme.
Nicolas  Zwahlen, Hugo Mireur, Alexandre Closset, 

Face à la dépendance énergétique hivernale de la Suisse et à la neutralité carbone visée pour 2050, le projet Deep Blue Hydrogen explore à l’origine la gazéification de biomasse lacustre – les macrophytes issus du faucardage mais aussi la possibilité de cultiver des macrophytes sur des plateformes immergées – pour produire de l’hydrogène ou du biométhane vert grâce à un procédé d’Hydrolyse à Ultra-Haute Température (UHTH) développé par l’entreprise CleanCarbonConversion AG (CCC) (voir encadré 1).

Prototype de ferme de macrophytes

Pour démontrer la reproductibilité d’une culture de macrophytes à grande échelle, un prototype de radeau immergé a été conçu. Après un long parcours d’autorisations et négociations, la plateforme contenant quatre substrats pour les tests de culture a finalement été ancrée dans la baie de Morges en septembre 2023 (fig. 1).

L’hiver 2023-24 a confirmé la robustesse du radeau et la stabilité des quatre substrats permettant dès le printemps la transplantation de macrophytes. Le potamot perfolié (Potamogeton perfoliatus L.; voir la photo du titre), espèce retenue pour la phase pilote en raison de sa croissance rapide et de sa valeur écologique, s’est implanté sans difficulté sur les quatre substrats. Ils ont formé des herbiers denses qui attirent la faune piscicole. Les essais ont montré que le potamot perfolié est une espèce facilement cultivable.

De la biomasse au Gaz de synthèse

Traitement et séchage des macrophytes pour la gazéification

Entre 2023 et 2024, cinq essais successifs ont été menés pour mécaniser la réduction d’humidité et la transformation des macrophytes avant gazéification.

Les analyses d’échantillons issus du premier test 2024 confirment que la séquence «mélangeuse + séparateur» plafonne à ≈ 64% d’humidité moyenne, imposant un séchage solaire complémentaire pour atteindre les 20% requis par la technologie CCC. Globalement, les séparateurs à vis se sont révélés inadaptés seuls; la déshydratation rentable passe par un pré-hachage efficace, et une séparation suivie d’un séchage naturel, avec une forte réduction de volume (facteur 10). Le séchage solaire pourrait être remplacé par un séchage par l’utilisation de la chaleur résiduel émise par la machine de CCC.

Essais de gazéification
Production de gaz de synthèse

En sachant que les déchets de macrophytes ne seraient pas suffisants pour alimenter une machine CCC, des tests de gazéification ont été réalisés aussi bien sur des macrophytes que du compost et des rejets de compost. Les essais menés sur le prototype T5 de CCC (5 tonnes par jour; fig. 2) ont fait apparaître des teneurs en N2 nettement supérieures aux valeurs de référence internes de l’entreprise (tab. 1 et encadré 1). La durée du test était trop courte pour assurer une évacuation complète de l’azote présent dans le système, or, la présence résiduelle d’azote dilue les gaz de synthèse et réduit leur concentration en hydrogène et en monoxyde de carbone, impactant ainsi l’efficacité énergétique observée.

Tab. 1 Composition des gaz de synthèse obtenus lors des essais de gazéification avec différents matériaux de départ. Les valeurs attendues pour les macrophytes sont basées sur l’échantillon de la ville de Lausanne en corrigeant la valeur d’azote élevée due au problème mentionné dans le text. La quantité d’hydrogène est quelque peu limitée par les teneurs élevées en CO et CO2 issus de la décomposition des carbonates alcalins (principalement le CaCO3 qui provient très probablement des moules quagga).


Biomasse utilisée


Valeurs attendues pour les macrophytes
Macrophytes (collectées par Ellee Motion) Macrophytes reçu de la ville de Lausanne Mélange de macrophytes & composte (Ecorecyclage)(sans plastique) Macrophytes & composte issu du digestat de méthanisation de la SATOM
Date de gazéification Nov. 2022 Jan. 2025 Juin 2024 Jan. 2025  
Taux d’humidité (%) 20 7,5 40 20  
Composition du gaz
H2 (vol. %) 32,0 20,4 42,1 34,6 29,5
CO (vol. %) 35,5 35,1 27,8 31,5 41,3
CO2 (vol. %) 23,7 8,9 12,1 10,0 17,9
CH4 (vol. %) 6,9 6,8 6,0 7,7 8,0
N2 (vol. %) 1,9 28,8 12,0 16,2 3,3

Parallèlement, le rendement de gazéification plafonnait à 45–50%, très en dessous des 85% attendus pour le modèle industriel T25 (25 tonnes par jour) sur la base des données constructeur, révélant ainsi des performances préliminaires nettement inférieures à nos objectifs. Le prototype utilisé pour ces essais n’est pas au même niveau d’optimisation technologique que les unités commerciales actuelle­ment déployées. De plus, il est à relever qu’en raison de la teneur en composés organiques relativement faible et de la faible absorption d’énergie de la matière cela a influencé négativement l’efficacité totale. Un débit plus important de matière première devrait entraîner une efficacité totale plus élevée.

 

Ces tests semblent donc illustrer un scénario de performance minimale (worst case), tandis que la simulation fondée sur les données constructeur décrit le scénario de performance maximale (best case).

Résidus solides

Les résidus solides issus des macrophytes ou du compost (pH 11-13, 12–19% carbone) ne répondent pas aux critères du biochar; il faudrait donc ajouter du bois si l’on veut co-produire un amendement agricole.

Côté approvisionnement, les mesures de terrain indiquent qu’il faut en moyenne 37 m3 de macrophytes humides pour obtenir 1 tonne de matière sèche; leur pré-essorage, puis séchage pourrait faire abaisser les coûts communaux d’évacuation de 40–50% dans le cadre d’une valorisation énergétique, par rapport au compostage classique.

Déploiement à Grande Échelle

Basé sur l’étude complète de rentabilité de la gazéification du bois, la gazéification des macrophytes seuls, avec une machine CCC, serait économiquement viable si les communes payaient un minimum de 36 francs la tonne pour le traitement de leurs macrophytes humides. Malheureuse­ment, nous n’avons pas pu démontrer des résultats de gazéification aussi prometteur qu’avec le bois.

Les Perspectives 2050+ de l’OFEN estiment qu’en 2050 la Suisse consommera entre 3,9 et 5,6 TWh d’hydrogène dans le scénario «ZÉRO base», principalement pour le transport [1], tandis que l’étude de l’AES et Empa [2] projette un usage bien plus élevé, 14,6 à 27 TWh, dès lors que l’hydrogène servirait aussi à produire de l’électricité et de la chaleur industrielle. La production indigène resterait plafonnée à ≈1,9 TWh, ce qui implique un recours massif aux importations ou à de nouvelles capacités nationales.

Le biochar, obtenu par pyrolyse de biomasse, se négocie aujourd’hui entre 500 et 1300 €/t. Le marché européen croît rapidement, passant de 130 à 171 usines entre 2022 et 2023 et visant 115 000 t de capacité en 2024. En Suisse, l’offre actuelle ne dépasse pas 2000 t/an, alors que le potentiel théorique atteint 780 000 t/an (3,46 Mt de biomasse ligneuse sèche), soit l’équivalent de 40% des émissions nationales de CO2.

Les macrophytes faucardées sur les grands lacs romands (lacs Léman, Neuchâtel, Bienne et Morat) représentent environ 146 t de matière sèche par an, loin des 8000 t nécessaires au fonctionnement d’une unité CCC-T25. De plus, les quantités varient fortement selon les saisons et les communes. En complément, la Suisse génère quelque 2,02 Mt/an de biodéchets potentiellement valorisables (bois de criblage, digestats, composts, lisiers, etc.). De plus, la pollution plastique qui s’insère dans la récupération des déchets de biomasse solide coûte très cher à trier et à éliminer et les volumes sont conséquents.

Conclusion et Perspectives

Indépendamment de la production d’hydrogène, les plateformes pourraient être des hots-spots de biodiversité et devenir des mesures de compensation des impacts dans les lacs de retenues de barrage. Il serait ainsi possible d’adapter le radeau prototype pour en faire des habitats de substitution favorable à la création d’herbiers subaquatiques pour les invertébrés et les poissons et en surface des zones de nidification pour certains oiseaux.

Au vu des difficultés rencontrées pour installer une plateforme prototype dans le Léman, et les pêcheurs ne voulant pas voir ce type de structure s’implanter à large échelle sur les lacs, installer des fermes de macrophytes sur plusieurs hectares dans les lacs naturels ne sera pas envisageable pour augmenter les volumes de macrophytes disponibles. En conséquence, lors de la gazéification, les déchets de macrophytes devraient être mélangés à d’autres sources de déchets végétaux.

La valorisation de la biomasse à large échelle avec la technologie de CleanCarbonConversion est sérieusement envisageable mais nécessiterait de meilleurs tests de gazéification avec des quantités plus élevées de matières premières et sur une machine de 25 tonnes par jour. Dans cette perspective, des contacts ont été pris avec des compostières et des sites de méthanisation, pour proposer des projets potentiels qui pourraient voir le jour. Chaque projet nécessitant bien sûr une étude détaillée de faisabilité technico–économique.

 

Bibliographie

[1] OFEN: Perspectives énergétiques 2050+.

[2] AES, EMPA (2022): Avenir énergétique 2050.

Le Procédé d’Hydrolyse à Ultra-Haute Température

L’hydrolyse est la décomposition chimique de substances par réaction avec l’eau. En utilisant des températures très élevées (> 1000 °C), l’hydrolyse à ultra-haute température permet d’obtenir une décomposition plus rapide et plus efficace des substances cibles. Le procédé est modulaire et se compose des étapes suivantes pour l’UHTH développée par CCC (voir fig. 3):

  1. Matériau de base: les matériaux ayant une teneur en humidité maximale d’environ 20 à 30% et une taille maximale de 1,5 cm3 (selon le matériau) peuvent être traités par le processus UHTH.
  2. Avant que le matériau n’entre dans le réacteur d’hydrolyse, l’oxygène doit être éliminé.
  3. Le matériau traverse lentement la hot-box, le réacteur UHTH proprement dit, où il est transformé en gaz de synthèse à des températures extrêmement élevées (environ 1100 °C) et en l’absence d’oxygène.
  4. Séparation des parties du matériau de départ qui n’ont pas été transformées en gaz de synthèse sous forme de matière solide.
  5. Traitement de gaz: le gaz de synthèse produit est purifié en milieu acide et basique.
  6. Gaz de synthèse composé de (selon les indications de CCC): méthane (CH4): 1–30 Vol.-% ¦ éthane (C2H6): 0–2 Vol.-% ¦ azote (N2): 0–5 Vol.-% ¦ monoxyde de carbone (CO): 10–45 Vol.-% ¦ dioxyde de carbone (CO2): 0,5–20 Vol.-% ¦ hydrogène (H2): 40–65 Vol.-%

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