La gazéification hydrothermale est une technologie de transformation thermochimique de la matière organique humide en gaz renouvelable. Elle se déroule dans un environnement aqueux, sous des conditions de température (> 374 °C) et de pression (> 221 bars) élevées dans lesquelles l’eau se trouve à l’état supercritique. Contrairement aux technologies thermiques conventionnelles, la gazéification hydrothermale ne nécessite pas de déshydratation préalable, ce qui en fait une solution idéale pour le traitement de déchets à forte teneur en eau.
Il existe deux variantes principales:
Â
Par rapport aux solutions traditionnelles comme l’incinération, la méthanisation ou le compostage, la gazéification hydrothermale présente plusieurs avantages clés:
La gazéification hydrothermale pourrait contribuer à une réduction significative des émissions de gaz à effet de serre ainsi que des coûts dans le secteur du traitement des déchets humides, tout en générant une énergie bas carbone localement consommable. Son intégration au sein de la stratégie climatique et de la stratégie énergétique 2050 [1] est cohérente avec les objectifs de neutralité défini aux niveaux fédéraux. Actuellement, la gazéification hydrothermale est en phase de démonstration à l’échelle pilote en Suisse (Ecorecyclage, Lavigny, VD; cf. photo de titre), notamment via des projets soutenus par des acteurs industriels. Elle suscite un intérêt croissant en tant que solution circulaire et économique, capable de renforcer l’indépendance énergétique, la décarbonation et la résilience du système de gestion des déchets.
L’étude réalisée en 2025 par le bureau STS-Conseils, sur mandat de la Société des Gaziers Romands (SGR) et du Service de la Promotion de l’Économie et de l’Innovation (SPEI) du canton de Vaud, visait à évaluer de manière transversale les conditions de développement d’une filière de gazéification hydrothermale en Suisse. L’étude a permis de quantifier le potentiel valorisable sur le territoire selon différents scénarios, d’identifier les acteurs clés de la production de déchets spéciaux et de leur traitement, tout en évaluant de manière qualitative les principales contraintes et opportunités associées au déploiement de la gazéification hydrothermale à l’échelle suisse.
L’étude s’est appuyée sur une collecte de données sectorielles [2–4], l’analyse de scénarios technologiques et territoriaux, des entretiens avec des acteurs-clés, ainsi qu’une analyse spatiale du potentiel via un Système d’Information Géographique (SIG).
La première phase a consisté à identifier et regrouper les données disponibles sur les types de flux organiques concernés, leurs volumes, leur localisation et leurs modalités actuelles de traitement ou d’élimination. Une base de données centralisée a été construite, permettant d’estimer la disponibilité de la ressource.
A partir de cette base consolidée, la modélisation énergétique a été menée à l’aide de coefficients de conversion spécifiques à la gazéification hydrothermale, en tenant compte du pouvoir calorifique des flux, de l’humidité, et des rendements observés dans des démonstrateurs existants. Deux scénarios principaux (potentiel brut et potentiel résiduel) ont été élaborés.
Enfin, une série d’entretiens a permis de recueillir les perceptions, attentes, freins et conditions de succès selon les parties prenantes. Cette analyse qualitative permet de positionner la gazéification hydrothermale dans le tissu économique et dans le paysage suisse des politiques.
Les différentes modélisations réalisées durant l’étude permettent de caractériser, quantifier et localiser les flux, les acteurs impliqués, les voies de traitement actuelles et les perspectives de valorisation énergétique à court et moyen terme. Les résultats mettent en lumière les atouts mais aussi les défis opérationnels, techniques, logistiques et réglementaires d’un déploiement de la gazéification hydrothermale en Suisse.
L’Ordonnance fédérale sur le mouvement des déchets (OMoD, RS 814.610; [3]) régit le transport, le traitement et la traçabilité des déchets spéciaux soumis à contrôle en Suisse. Elle impose aux acteurs publics et privés une collecte de données détaillées sur les flux de déchets transportés et éliminés, en s’appuyant sur un système de classification basé sur le Catalogue Européen des Déchets (CED; [5]). Chaque type de déchet est identifié par un code à six chiffres: les deux premiers désignent le secteur industriel d’origine, les deux suivants le procédé industriel, et les deux derniers la nature spécifique du déchet. Les méthodes de traitement sont également codifiées, avec «D» pour l’élimination et «R» pour le recyclage ou la valorisation [6]. L’étude s’est concentrée sur les déchets du chapitre 07 (procédés de la chimie organique), qui représentent la majorité du gisement analysé. Toutefois, les caractéristiques de la technologie de gazéification hydrothermale la rendent potentiellement applicable à d’autres types de déchets humides et complexes identifiés dans d’autres chapitres de l’OMoD.
Les plus grands volumes proviennent du chapitre 07 du CED (déchets des procédés de la chimie organique), et représentent 237 303 tonnes par an. L’ensemble des flux des autres chapitres (08, 13, 19 et 20) représentent 132 649 tonnes par an, composés essentiellement de boues et d’huiles issues de traitements physico-chimiques, d’huiles usagées, de boues contaminées et de déchets contenant des solvants. Ainsi, l’ensemble des flux potentiellement valorisables représentent un gisement théorique maximal de 369 952 tonnes de matière organique humide par an pouvant être valorisées par gazéification hydrothermale selon les conditions technologiques et réglementaires appropriées (fig. 1).
Â
L’étude a modélisé deux scénarios distincts pour estimer le potentiel énergétique de la filière de gazéification hydrothermale:
À court terme, et dans le cas du scénario «résiduel», le gisement immédiatement mobilisable est estimé à 80 GWh/an, tandis que le potentiel du scénario «brut» des déchets du chapitre 07 du CED pourrait atteindre 1 TWh/an, soit 3,6% de la consommation nationale de gaz naturel. À moyen terme, avec l ’optimisation technique de la technologie, la valorisation de solvants halogénés du chapitre 07 (0,3 TWh/an) et des déchets spéciaux hors chapitre 07 compatibles avec la gazéification hydrothermale (1,2 TWh/an) permettrait d’atteindre un total de 2,5 TWh/an. Enfin, si l’on intègre également les déchets biogéniques, issus d’autres secteurs, tels que les boues d’épuration ou les digestats, le potentiel énergétique théorique maximal à long terme s’élève à 12,5 TWh/an, selon les données de l’OFEV [2] et les publications existantes (fig. 2). Ces résultats confirment l’intérêt stratégique de la gazéification hydrothermale pour atteindre les objectifs énergétiques et climatiques suisses, à condition de lever les verrous techniques, logistiques et réglementaires à moyen terme.
L’analyse spatiale réalisée dans l’étude a permis d’identifier, sous réserve du développement d’un système logistique efficient, les cantons présentant un potentiel énergétique significatif pour le déploiement de la gazéification hydrothermale, à partir des données déclarées sur les flux de déchets spéciaux. Les résultats montrent une forte concentration des gisements dans certains territoires industriels, notamment dans les cantons du Valais, Bâle, Argovie et Genève, ainsi qu’une hétérogénéité marquée de la balance énergétique cantonale.
En effet, la distribution cantonale du potentiel est influencée par les volumes, mais aussi par la valeur énergétique des effluents (PCI). Le canton du Valais se caractérise par des volumes importants de déchets à faible PCI, tandis que le canton de Bâle présente des quantités moindres mais composées de flux à PCI élevé.
Cette répartition reflète à la fois la densité industrielle, la typologie des flux présents et la concentration des sites de production concernés par le chapitre 07 du CED et influence directement les choix stratégiques en matière de ciblage des marchés.Cette analyse a également permis de repérer les zones où l’approvisionnement pourrait être mutualisé entre plusieurs producteurs de déchets, en tenant compte de la proximité géographique et du volume des flux. Ces résultats contribuent à orienter les scénarios de démonstration vers les territoires les plus favorables en termes de logistique, de densité de flux et d’infrastructures existantes.
Les acteurs interrogés partagent une vision globalement favorable de la gazéification hydrothermale, perçue comme une technologie innovante, capable de répondre aux enjeux environnementaux et énergétiques actuels. Plusieurs facteurs-clés influençant le déploiement de la technologie ont été identifiés.
Sur le plan économique, les parties prenantes soulignent le besoin de clarifier le modèle économique et d’assurer la stabilité de l’accès aux flux de déchets. L’incertitude sur les coûts d’investissement, le prix du gaz renouvelable et les conditions de valorisation du sous-produits hydrothermaux sont perçues comme des obstacles à court terme. Les aspects logistiques sont aussi considérés comme un facteur clé. Les contraintes de transport, la dispersion géographique des gisements et le besoin de mutualisation des flux entre plusieurs producteurs sont régulièrement mentionnés. Dans ce contexte, les entreprises de regroupement jouent un rôle essentiel en consolidant les flux avant leur acheminement vers les installations de gazéification hydrothermale. Cette étape est cruciale pour garantir la stabilité de l’approvisionnement et la rentabilité du procédé, et elle influencera largement le choix entre un déploiement centralisé ou régionalisé de la technologie.
Par ailleurs, les contraintes réglementaires et territoriales pèsent de plus en plus sur la filière traditionnelle d’incinération. La législation se durcit, tandis que les espaces disponibles pour construire de nouveaux incinérateurs deviennent rares. La Suisse pourrait donc être confrontée à un déficit de capacités de traitement à moyen terme. L’exportation vers les pays voisins, déjà pratiquée, reste coûteuse et peu écologique. Dans ce contexte, la gazéification hydrothermale apparaît comme une solution adaptée, durable et régionale, capable de soulager les infrastructures existantes et de réduire la dépendance du pays à l’égard de l’étranger.
Du point de vue institutionnel, l’étude met en évidence un intérêt de certaines autorités locales pour des projets pilotes, à condition qu’ils s’intègrent dans les politiques existantes de gestion des déchets ou de production énergétique renouvelable. Plusieurs répondants insistent sur la nécessité d’un accompagnement public dans la phase initiale, afin de lever les incertitudes techniques et réglementaires.
Enfin, plusieurs acteurs soulignent la nécessité de renforcer les partenariats public-privé pour faire évoluer le cadre réglementaire et faciliter l’émergence de la filière de gazéification hydrothermale dans un cadre cohérent.
Le cadre actuel offre des opportunités certaines pour la mise en œuvre de la gazéification hydrothermale en Suisse. La valorisation énergétique des déchets humides s’inscrit dans les objectifs de transition énergétique et de neutralité carbone poursuivis par la Confédération. La logique de circularité, soutenue par des politiques fédérales et cantonales, crée un contexte favorable à l’émergence de nouvelles filières telles que la gazéification hydrothermale. Cependant, plusieurs incertitudes subsistent sur le statut réglementaire de cette technologie. Les acteurs expriment un besoin urgent de clarification sur la reconnaissance de la filière en tant que voie de valorisation, ainsi que sur les modalités d’intégration dans la planification cantonale et l’accès au réseau gazier. L’absence actuelle de cadre incitatif spécifique constitue un frein au développement de projets pilotes. Des efforts de coordination entre les niveaux fédéral et cantonal, ainsi qu’avec les acteurs industriels, sont jugés nécessaires pour inscrire la gazéification hydrothermale dans un cadre législatif cohérent, stable et propice à l’investissement.
Les résultats de l’étude confirment le potentiel de la gazéification hydrothermale pour valoriser des déchets humides complexes issus des procédés de la chimie organique. Elle a permis d’identifier des gisements importants, notamment dans les cantons du Valais, Bâle, Argovie et Genève, et constitue une base d’aide à la prise de décision pour le déploiement de la gazéification hydrothermale sur le territoire suisse. Le potentiel énergétique associé à ces flux est estimé entre 80 GWh/an (scénario résiduel à court terme) et 2,5 TWh/an à moyen terme, avec un maximum théorique de 12,5 TWh/an si l’on intègre les déchets biogéniques issus d’autres secteurs. Des projets pilotes doivent être encouragés rapidement pour valider les conditions techniques, logistiques et institutionnelles de son déploiement. La capacité de la gazéification hydrothermale à traiter et recycler l’eau contenue dans ces effluents aqueux aujourd’hui incinérées, et à éliminer des polluants persistants comme les PFAS renforce sa pertinence en tant que solution d’avenir.
En parallèle, l’étude met en évidence plusieurs leviers d’action prioritaires pour soutenir le développement de la filière en Suisse: clarifier le cadre réglementaire applicable, sécuriser l’accès aux flux pertinents, établir des incitations ciblées pour les premiers projets, et développer des partenariats public-privé autour de démonstrateurs territoriaux.
Une coordination renforcée entre la Confédération, les cantons et les acteurs industriels sera essentielle pour inscrire la gazéification hydrothermale dans une stratégie nationale cohérente de valorisation des déchets et de transition énergétique. Enfin, l’optimisation de la technologie, la capitalisation sur les retours d’expérience des projets pilotes et la mise en place d’un cadre facilitant la levée des obstacles économiques, logistiques et politiques permettront le déploiement de la gazéification hydrothermale à l’échelle industrielle en Suisse, tout en s’inscrivant dans les objectifs de transition énergétique et de sécurité d’approvisionnement.
Â
[1] OFEN (2023): Stratégie Énergétique 2050.
[2] OFEV (2024): Statistique des déchets spéciaux 2023 (traités en Suisse).
[3] RS 814.610: Ordonnance sur les mouvements de déchets (OMoD).
[4] RS 152.3: Loi fédérale sur le principe de transparence dans l’administration (Loi sur la transparence, LTrans).
[5] Agence Européenne de l’Environnement (2002): Catalogue Européen des Déchets (CED).
[6] RS 814.610.1: Ordonnance du DETEC concernant les listes pour les mouvements de déchets.
[7] SIG (2024): Étude de valorisation des effluents. Rapport interne non publié
[8] Burg, V. et al. (2018): Analyzing the potential of domestic biomass resources for the energy transition in Switzerland. Biomass and bioenergy 111: 60–69
Avec l'abonnement en ligne, lisez le E-paper «AQUA & GAS» sur l'ordinateur, au téléphone et sur la tablette.
Avec l'abonnement en ligne, lisez le E-paper «Wasserspiegel» sur l'ordinateur, au téléphone et sur la tablette.
Kommentare (0)